Dix œuvres pour aborder dix grands auteurs

Vous aimeriez découvrir Léon Tolstoï, Marguerite Yourcenar, Guillaume Apollinaire, Chateaubriand ou Balzac, pour ne citer qu’eux, mais vous ne savez pas par où commencer ? Suivez le guide : cet article vous présente dix œuvres à la fois accessibles et très représentatives d’une esthétique, d’un style, d’une œuvre entière.

René (1802) pour découvrir l’esthétique de Chateaubriand

Exilé aux États-Unis après la Révolution française, Chateaubriand y rencontre George Washington et séjourne chez les Indiens. Cette dernière expérience et sa traversée des grands espaces le marqueront durablement, et sont toutes deux au cœur du roman René. Le personnage éponyme, alter ego de l’auteur, est un Français mélancolique exilé en Amérique, et recueilli par une tribu indienne, les Natchez.

Par son hypersensibilité, et le sentiment du néant qui l’habite, René présente de très nettes analogies avec Cleveland, Saint-Preux, Werther, ou Oberman, et il est l’incarnation parfaite du héros atteint du Mal du Siècle. L’œuvre, courte et belle, est une parfaite introduction aux Mémoires d’outre-tombe, le chef-d’œuvre de Chateaubriand dans lequel l’homme politique et écrivain, qui fut  un des témoins privilégiés de grands bouleversements historiques – deux Révolutions, le Directoire, le Consulat, l’Empire, puis enfin la Restauration – mêle autobiographie, réflexions historiques et tableau d’une monarchie en déclin.

Eugénie Grandet (1834) pour s’initier au rythme et aux descriptions d’Honoré de Balzac

Balzac est réputé pour ses longues descriptions et il est vrai qu’il faut souvent du temps pour entrer dans ses romans. De plus, ses évocations de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, des changements sociaux qui ont, en peu de temps, considérablement modifié la société française, peuvent être difficilement compréhensibles, et l’on peut lire une œuvre de Balzac en passant à côté de tout un pan de son propos. Plus simple que La Duchesse de Langeais ou Le père Goriot, bien plus court qu’Illusions perdues, moins ambitieux que La cousine Bette, Eugénie Grandet est une très belle surprise, une très bonne idée pour un premier roman de Balzac. Son héroïne, féministe par bien des aspects, peut aisément parler aux adolescents. L’intrigue se déroule  à Saumur, ville de province aux airs de mouroir. D’une avarice maladive, Félix Grandet est prêt à toutes les bassesses et cruautés pour économiser le moindre sou. Il vit avec sa femme, sa fille Eugénie et leur servante Nanon qu’il prive de tout. Eugénie tombe amoureuse de son cousin Charles dont le raffinement et les projets lui font subitement prendre conscience que l’argent est un moyen, et non une fin. Elle offre à Charles, en gage de son amour, toutes ses économies. Un éloge de la révolte contre la cruauté d’un destin tout tracé.

Thérèse Raquin (1868) pour se délecter du talent de conteur d’Émile Zola

Troisième roman et premier grand succès d’Émile Zola, Thérèse Raquin n’appartient pas à la fresque des Rougon-Macquart mais c’est un roman captivant, un page-turner que l’on dévore avec un vrai plaisir coupable. Thérèse Raquin, née à Oran et abandonnée par ses parents, a été recueillie et élevée par sa tante. Elle grandit aux côtés de son cousin Camille, un personnage falot et frappé par la maladie, avec lequel elle se voit contrainte de se marier. Alors qu’elle dépérit, Thérèse entame une liaison avec Laurent, un artiste raté et une vieille connaissance de Camille. Laurent et Thérèse connaissent la fièvre d’une relation passionnelle avant de purement et simplement liquider le mari encombrant.

Un cœur simple (1877) pour comprendre le travail sur le style de Gustave Flaubert

Soucieux du mot exact, de la phrase juste, Gustave Flaubert aura fait de la maîtrise du style son cheval de bataille. L’auteur de Madame Bovary en est convaincu, le réalisme passe par l’écriture : ce sont la perfection du style et le choix d’un mot plutôt qu’un autre qui font l’illusion du réel, la suspension de l’incrédulité du lecteur.  Aussi économe de moyens que juste, Un cœur simple relate la pathétique existence de Félicité, une domestique confrontée à une âpre et grandissante solitude. Les ellipses, le jeu sur les pronoms, la place des sujets et verbes dans une phrase : tout concourt à l’effacement de la pathétique Félicité. Du grand art, dont la première phrase de cette nouvelle rend parfaitement compte.

Résurrection (1899) pour s’initier aux grands thèmes de Léon Tolstoï

Léon Tolstoï sut, à nul autre pareil, s’emparer de trajectoires individuelles pour construire de véritables fresques historiques et épiques. La Guerre et la Paix ainsi que Anna Karénine, ses deux chefs-d’œuvre, témoignent des préoccupations sociales, politiques, humanistes et religieuses d’un écrivain tourmenté et qui était soucieux d’un monde meilleur. Résurrection est un roman court et renversant, empreint du souffle romanesque et des valeurs qui ont fait de Tolstoï un immense écrivain. L’histoire ? Enfant naturelle, Katioucha Maslova est recueillie par deux demoiselles dont elle devient ni tout à fait la fille adoptive, ni tout à fait la femme de chambre. Le prince Dimitri Nekhlioudov, neveu des demoiselles, en tombe passionnément amoureux. Il la séduit, et enceinte, Katioucha s’arrange pour se faire renvoyer. S’ensuivent des années d’errance et de difficultés. Lorsque le roman commence, l’on vient chercher la Maslova, emprisonnée, car elle est traduite en cour d’assises. Dans le Palais de Justice, parmi les jurés : Dimitri Nekhlioudov, qui ne l’a jamais oubliée.

Alexis ou le Traité du vain combat (1929) pour saisir l’exigence et la sobriété de Marguerite Yourcenar

Mémoires d’Hadrien ou L’Œuvre au noir peuvent se révéler difficiles à lire pour une première approche de Marguerite Yourcenar. Contexte historique, exigence de la langue, dimension philosophique du propos – les obstacles sont nombreux. Et si vous commenciez par Alexis ou le Traité du vain combat ? Ce roman se présente comme une lettre d’Alexis, musicien et père de famille, à son épouse Monique. Alexis évoque son parcours et son homosexualité qu’il a, durant des années, occultée. Conscient d’avoir été un piètre époux, il demande à Monique de l’excuser non pas de la quitter, mais d’être resté trop longtemps. Un examen de conscience d’une grande sobriété, écrit dans une très belle langue. La préface, signée Marguerite Yourcenar, est elle aussi à lire.

Prisons et paradis (1932) pour savourer la langue de Colette

Il n’est pas difficile d’entrer dans l’œuvre de Colette, mais il peut être compliqué de savoir par quoi commencer, tant ses écrits sont éclectiques. Composé de plusieurs sections (« Le Feu sous la Cendre », « En Bourgogne », « etc.) Prisons et paradis est un recueil de textes qui disent l’électron libre qu’était Colette et qui restituent l’essence de son esthétique. Délivrée des contraintes de la fiction, l’œuvre célèbre les animaux, le vin, la cuisson des confitures, comme les arômes des sous-bois, dans la prose charnelle et langoureuse qui fut la plus belle signature de la femme de lettres.

Le Guetteur mélancolique (1952) pour prendre la mesure de l’éclectisme de Guillaume Apollinaire

Recueil posthume, Le Guetteur mélancolique rassemble plusieurs poèmes d’inspirations diverses. La section « Les Rhénanes » reprend l’atmosphère germanique d’Alcools. « Poèmes à Yvonne » associe la muse du poète à Mélusine, la fée qui se transporte en femme-serpent. « Le suicidé » renouvelle le lyrisme romantique, « La fuite » pare le thème du triangle amoureux d’une coloration médiévale. « Hélène » s’inspire de la mythologie grecque, « Je la connus Ah merdemore » rend hommage à Dante et Pétrarque. Vous y retrouverez des vers parmi les plus connus du poète, comme « Mon automne éternel ô ma saison mentale » (« L’automne et l’écho »), ou encore le poème « Hôtel », qui aura valu le tube « Je ne veux pas travailler » au groupe Pink Martini ! Vous l’aurez compris, Le Guetteur mélancolique est une œuvre variée, idéale pour une première approche du poète.

Le Roman inachevé (1956) pour apprécier le lyrisme de Louis Aragon

Le Roman inachevé n’est pas un roman, mais il y est question de faire, ou non, de sa vie un roman ! L’œuvre est une autobiographie poétique, le roman de la vie d’un poète. Un poète amoureux d’Elsa Triolet (« Un amour qui commence est le pays d’au-delà le miroir », « Toute une nuit j’ai cru que mon âme était morte »), un poète engagé qui rend hommage au groupe Manouchian (« Strophes pour se souvenir »), un poète qui déplore les dramatiques leçons de l’histoire dont l’homme ne retient pas les enseignements (« Ce qu’il m’aura fallu de temps pour tout comprendre »). Entre lyrisme et politique, entre tragédies récentes et éternité du temps de l’amour, le recueil, dont Léo Ferré et Jean Ferrat s’emparèrent, est une très belle porte d’entrée dans l’œuvre poétique d’Aragon. Il dit le poète populaire car chantre de l’amour universel.

Les Choses (1965) pour toucher du doigt l’ironie de Georges Perec

Faiseur de mots, artisan du style littéraire, Georges Perec donne à la fantaisie littéraire ses lettres de noblesse. Sous des aspects légers, ses livres témoignent d’un immense travail de création et de réflexion sur le langage, mais aussi d’un regard lucide et pénétrant posé sur ses contemporains. Chacun de ses ouvrages apparaît comme un petit laboratoire au sein duquel il va développer un concept, et pour comprendre l’œuvre de Perec, il en faut en saisir tous les niveaux de lecture. Moins ambitieux que W ou le souvenir d’enfance ou La Vie mode d’emploi, plus lisible que La disparition, Les Choses est un roman acide qui a pour héros un couple, Jérôme et Sylvie. Tous deux appartiennent à la petite bourgeoisie et sont sensibles à la beauté, à l’esthétique, et au raffinement, mais, dans la France du début des années 1960, le couple n’a malheureusement pas les moyens de ses désirs. Les Choses narre la façon dont ils vivent leur frustration. L’écriture, et notamment l’emploi du conditionnel, fait toute l’originalité du livre.

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© Ana Girardot dans Un homme idéal, Yann Gozlan, 2015 (photographie Antoine Roch)

Paris – Athènes : Naissance de la Grèce moderne 1675-1919

2021 marque un double anniversaire : le bicentenaire des débuts de la guerre de Libération de la Grèce, et l’entrée au Louvre de la Vénus de Milo, découverte un an auparavant, en avril 1820.

Pour fêter ce double anniversaire le musée du Louvre vous propose, du 30 septembre 2021 au 7 février 2022, une exposition sur la naissance de la Grèce moderne en tant que nation. Alors que nous sommes nombreux à penser connaître la Grèce, celle-ci demeure assez méconnue. Cette exposition, riche et aux supports multiples, vous fera découvrir des artistes modernes grecs, et, à travers eux, un autre visage de la Grèce.

L’exposition est organisée de façon chronologique, autour d’un fil rouge : les liens diplomatiques et culturels entre la France et la Grèce moderne, par-delà la fascination de la France pour la Grèce antique. Il est notamment question du  philhellénisme, mouvement pour l’indépendance de la Grèce.

L’exposition commence en 1675, à Athènes, et s’achève en 1919 à Paris. Elle est organisée en cinq grandes étapes.

I) La Grèce, une province de l’Empire ottoman

Dès le XVIe siècle, la France instaure des liens diplomatiques avec l’Empire ottoman et ses sultans. La perception française de la Grèce est alors celle d’une province un peu endormie de l’Empire. En 1675, l’ambassadeur de Louis XIV dans l’Empire ottoman est le marquis de Nointel. L’exposition s’ouvre avec un tableau de l’ambassade du marquis.

Cette province quelque peu endormie de l’Empire ottoman a une particularité : ses habitants sont de confession orthodoxe. La première partie de l’exposition rappelle donc  la force de cette identité chrétienne orthodoxe grâce à un rassemblement exceptionnel d’icônes byzantines de la fin du XVe siècle jusqu’au XIXe siècle. Par la Crète et par les Îles Ioniennes, la peinture d’icônes est perméable aux influences occidentales. Cette première partie permet donc de comprendre que la culture grecque repose à la fois sur l’héritage de l’Antiquité, et sur celui de la culture orthodoxe et byzantine.

II) La guerre d’indépendance grecque (1821-1832)

En 1821, la guerre d’indépendance grecque, soutenue militairement et financièrement par plusieurs pays européens, suscite un enthousiasme populaire. Le philhellénisme est un mouvement d’opinion international. Libérée en 1829, la Grèce proclame Athènes comme capitale en 1834, mais continue sa lutte contre l’Empire ottoman.

En 1826, nous sommes à un moment critique de la guerre. Missolonghi est prise par les Ottomans, la population est massacrée et déportée. A Paris, à la galerie Lebrun, une vente d’œuvres est organisée au profit des Grecs. Cette deuxième partie de l’exposition rassemble les œuvres présentées, et met en exergue l’engagement des intellectuels (parmi lesquels Victor Hugo, Chateaubriand, Berlioz, ou Lord Byron) envers le philhellénisme.

Eugène Delacroix, La Grèce sur les ruines de Missolonghi, vers 1863

Cette mobilisation pour la Grèce est l’occasion d’un nouveau tournant dans l’exploration archéologique ; et plusieurs vestiges archéologiques dénichés à Milo sont présentés. C’est d’ailleurs à ce moment précis que la Vénus de Milo est découverte et acquise légalement par l’ambassadeur de France.

Après la libération du Péloponnèse par l’armée française, la France envoie des missions scientifiques (botanistes, spécialistes, architectes) avec l’idée de recenser tout ce que l’on sait sur la culture grecque. Plusieurs traces de ces expéditions sont également à découvrir dans cette partie de l’exposition.

III) Athènes, capitale culturelle d’un nouvel état ou l’invention d’une nation

En 1834, alors qu’Athènes est une toute petite ville, pour ne pas dire un village ottoman, elle est choisie pour être capitale. Les puissances internationales qui ont œuvré pour l’indépendance, la France, la Russie et le Royaume-Uni, désignent un souverain pour la Grèce. Othon Ier de Grèce, fils cadet du roi de Bavière, règne de 1833 à 1862.

Des artistes munichois accompagnent le roi et créent l’architecture d’Athènes. Athènes devient, sur le plan architectural, une nouvelle Munich, et le nouvel État grec construit son identité culturelle moderne en puisant aux sources du néoclassicisme français et allemand.

Des peintres, sculpteurs et artistes grecs sont envoyés à Munich pour se former – on parle d’une école de Munich –  et vous pourrez découvrir le travail de ces artistes au cours de cette troisième étape. Des costumes et photographies racontent également ce moment de l’histoire grecque où il a fallu tout construire et inventer. Le musée Benaki, musée d’art et d’histoire de la Grèce fondé à Athènes a notamment prêté des costumes nationaux et de cour, comme celui de la princesse Marie Bonaparte.

Habit de cour de Marie Bonaparte

IV) Les grandes fouilles

La quatrième étape de cette exposition est la plus spectaculaire. Elle présente plusieurs pièces des collections des musées archéologiques de Delphes et de Délos – les fouilles sur ces deux sites ont lieu dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Ces sites antiques attestent toujours aujourd’hui des liens durables entre les deux pays, car la France continue d’y travailler.

L’École française d’archéologie est créée en 1846 à Athènes, par Louis-Philippe, à l’origine avec la volonté de diffuser la langue française. La création de cette École, et par la suite celle des autres instituts archéologiques, encourage le développement de cette discipline scientifique. Les premières fouilles de l’École, en 1870 à Santorin, mettent au jour une histoire inconnue de la Grèce et ces vestiges constituent une source d’inspiration pour les artistes grecs modernes.

Alfred-Nicolas Normand, Athènes, L’Arc d’Hadrien et l’Acropole en 1852

V) Artistes grecs à Paris

Dans la seconde partie du XIXe siècle, le centre artistique européen se déplace de Munich à Paris, et les artistes grecs sont de plus en plus nombreux à aller étudier dans la capitale française.

La cinquième et dernière section de l’exposition est consacrée aux artistes grecs à Paris, et témoigne des différences entre les écoles munichoises et parisiennes. Ont été rassemblés et reconstitués le pavillon de la Grèce à l’exposition universelle de Paris de 1889 et celui du pavillon de la Grèce à l’exposition de 1900. L’architecture de ces deux pavillons montre qu’en dix ans, la Grèce est passée d’une revendication de l’héritage antique à une revendication de l’héritage byzantin, avec la volonté de recouvrer Constantinople comme capitale de l’état grec.

Vous découvrirez de grands noms de la peinture grecque comme Iakovos Rizos, qui travaille et meurt  à Paris. Son tableau Soirée Athénienne, qui a été choisi pour figurer sur les affiches de l’exposition du Louvre, est fortement influencé par l’Art nouveau et la Belle Époque parisienne.

Paris – Athènes : Naissance de la Grèce moderne 1675-1919, c’est une exposition à découvrir au musée du Louvre, du 30 septembre 2021 au 7 février 2022.

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