Qui sont les professeurs de la littérature classique ?

Vous les avez aimés, détestés, craints, ils vous ont émus ou amusés, parfois influencés… A l’approche de la rentrée des classes, il nous fallait revenir sur la figure du professeur dans la littérature classique. Petit aperçu non exhaustif de celles et ceux qui nous auront peut-être, d’une certaine manière, donné envie de retourner sur les bancs de l’école.

Le professeur-stagiaire qui est pris pour un élève : Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir

Dans Le Rouge et le Noir, Julien Sorel est  un jeune homme lettré qui s’est littéralement construit par les livres, par la culture. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il devienne, au début du roman, précepteur. Et c’est un jeune professeur débutant que rencontre Mme de Rênal.

Mme de Rênal attend l’arrivée « du futur précepteur de ses enfants, lorsque survient un « jeune paysan presque encore enfant »[1]. Mme de Rênal ne peut imaginer que cette « pauvre créature, arrêtée à la porte d’entrée, et qui évidemment n’osait pas lever la main jusqu’à la sonnette »[2] puisse être le précepteur de ses enfants, mais c’est bel et bien le cas ! Julien Sorel, quant à lui, est tout intimidé, pareil à un jeune professeur débutant. Comme nous le raconte Stendhal : « Madame de Rênal regardait les grosses larmes, qui s’étaient arrêtées sur les joues si pâles d’abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d’une jeune fille ; elle se moquait d’elle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, c’était là ce précepteur qu’elle s’était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants ! »[3]

Stendhal nous narre ici le cas typique du jeune professeur-stagiaire que l’on confond, le jour de la rentrée, avec ses élèves !

Le professeur qui travaille moins pour gagner plus : le maître de philosophie dans Le Bourgeois gentilhomme

M. Jourdain est un bourgeois enrichi qui rêve d’imiter la noblesse de la cour du roi. Pour y parvenir, ce personnage médiocre et un tant soit peu ridicule prend toutes sortes de leçons et notamment des leçons d’éloquence avec son maître de philosophie.

M. Jourdain demande en premier lieu à son maître de philosophie de lui enseigner l’orthographe. Ce dernier va passer tout un moment à lui enseigner non pas tant l’orthographe que la prononciation des voyelles et consonnes, ce qu’il maîtrise bien sûr déjà. Le « cours » de diction tourne au ridicule, l’élève ne se rendant pas compte que le professeur se moque de lui. Voici un extrait de ce cours resté dans les annales :

« MAITRE DE PHILOSOPHIE. – Soit. Pour bien suivre votre pensée et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer selon l’ordre des choses, par une exacte connaissance de la nature des lettres, et de la différente manière de les prononcer toutes. Et là-dessus j’ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles parce qu’elles expriment les voix ; et en consonnes, ainsi appelées consonnes parce qu’elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les différentes articulations des voix. Il y a cinq voyelles ou voix : A, E, I, O, U. 
MONSIEUR JOURDAIN. – J’entends tout cela. »[4]

A n’en pas douter, le maître de philosophie apparaît un professeur particulier qui n’a qu’une obsession : en faire le moins possible, tout en gagnant de l’argent. Travailler moins, pour gagner plus, c’est un concept ; quitte à se moquer – cruellement – de ses élèves, voilà l’enseignement que dénonce Molière.

Le professeur qui ne soutient pas ses élèves : le professeur de Charles dans Madame Bovary

Si nous avons déjà consacré un article à la rentrée scolaire de ce pauvre Charles Bovary, il nous semble important de revenir sur cet événement traumatisant, non pas du point de vue de l’élève mais cette fois-ci du côté du professeur.

Si la rentrée du héros de Flaubert tourne à la catastrophe, c’est en grande partie à cause de son professeur  – et non du couvre-chef de Charles !

Nouvel élève arrivant dans un univers totalement étranger pour ne pas dire hostile, Charles n’est absolument pas soutenu par son « maître d’études », ni par le proviseur. A peine entré dans la classe, le proviseur explique, devant toute la classe, que Charles n’a pas l’âge d’être en cinquième, qu’il devrait être chez les plus grands. Charles est d’ores et déjà considéré comme un mauvais élève, inapte à rejoindre la classe à laquelle son âge le destine (« Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d’études : — Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l’appelle son âge.[5])

Bien que prononcées « à demi-voix », ces paroles sont entendues par les élèves de la classe, comme en témoigne la focalisation omnisciente du passage.

Plus tard, lorsque « Charborari » sera ridiculisé par ses camarades, le maître d’études ne lui sera absolument d’aucun secours et ne fera même qu’aggraver la situation.

Le maître d’études de Charles Bovary appartient à cette catégorie de professeurs qui nous ont longtemps hantés pour ne pas dire traumatisés. On en retrouve, pour ne citer que ces œuvres, dans La Leçon, de Ionesco, ou dans L’Enfant de Jules Vallès…

L’élève traumatisée qui rêve de devenir un professeur sadique : Zazie

Faut-il vous faire un dessin ? Jugez-en plutôt à travers cet extrait de Zazie dans le métro

« – Alors ? pourquoi que tu veux l’être, institutrice ?
– Pour faire chier les mômes, répondit Zazie. Ceux qu’auront mon âge dans dix ans, dans vingt ans, dans cinquante ans, dans cent ans, dans mille ans, toujours des gosses à emmerder.
– Eh bien, dit Gabriel.
– Je serai vache comme tout avec elles. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l’éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses. Parce que je porterai des bottes. En hiver. Hautes comme ça (geste). Avec de grands éperons pour leur larder la chair du derche. »[6]

Que vos professeurs ressemblent à Julien Sorel, à Zazie, que vous vous retrouviez dans le portrait de M. Jourdain ou dans celui de ce pauvre Charles Bovary, nous vous souhaitons à tous une très belle rentrée scolaire !

Vous souhaitez relire la rentrée scolaire de Charles Bovary ou la rencontre de Julien Sorel et Mme de Rênal ? Téléchargez notre appli Un texte Un jour !

Illustration : Sandrine Kiberlain et Michel Galabru dans Le petit Nicolas (Laurent Tirard, 2009)

 

 

[1] Stendhal, Le Rouge et le Noir, Chapitre 6,  1830

[2] Stendhal, Le Rouge et le Noir, Chapitre 6,  1830

[3] Stendhal, Le Rouge et le Noir, Chapitre 6,  1830

[4] Molière, Le Bourgeois Gentilhomme, Acte II, scène 4, 1670

[5] Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857

[6] Raymond Queneau, Zazie dans le métro, 1959

Qui sont les pires beaux-parents de la littérature classique ?

On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille… On ne choisit pas non plus ses beaux-parents ! Petit tour d’horizon des beaux-parents les plus pénibles de la littérature classique française…

La belle-mère qui préférait l’ancienne : Mme Pernelle dans Tartuffe et Mme Bovary mère chez Flaubert

Mme Pernelle, mère d’Orgon et grand-mère de Mariane et Damis, dans Tartuffe, est également la belle-mère de la jeune et coquette Elmire, deuxième épouse d’Orgon. A la fois tyrannique et extrêmement critique, Mme Pernelle  use sans vergogne de son statut de matriarche pour juger sévèrement la conduite de chacun des membres de la famille et s’immiscer dans l’éducation de ses petits-enfants. Rien d’étonnant à ce qu’Orgon ait pu rechercher auprès de Tartuffe le « soutien » que sa mère ne lui offrait pas.

Mme Pernelle est notamment très sévère envers sa belle-fille et ne se gêne pas pour lui rappeler qu’elle n’est « que » la deuxième épouse d’Orgon :

« Ma bru, qu’il ne vous en déplaise, / Votre conduite, en tout, est tout à fait mauvaise ; / Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux ; / Et leur défunte mère en usait beaucoup mieux. / Vous êtes dépensière ; et cet état me blesse, / Que vous alliez vêtue ainsi qu’une princesse. / Quiconque à son mari veut plaire seulement, /Ma bru, n’a pas besoin de tant d’ajustement. »[1]

Si la mère de Charles Bovary n’a pas l’aplomb ni l’autorité de Mme Pernelle, elle nourrit un profond ressentiment envers Emma, deuxième épouse de Charles. Là où Mme Pernelle apparaît comme une femme froide et distante avec son fils, Mme Bovary mère semble surtout viscéralement attachée à son fils, qu’elle a manifestement toujours voulu protéger. Après lui avoir trouvé une première épouse, Héloïse, et assisté, impuissante, au naufrage de cette première union, Mme Bovary mère se résout, la mort dans l’âme, au mariage d’Emma et Charles. Sa nouvelle belle-fille, aux antipodes d’Héloïse, lui apparaît comme une femme qu’elle ne comprend pas et qui lui enlèvera pour de bon son fils. C’est sans étonnement que le lecteur découvre l’attitude de Mme Bovary mère lors du mariage des deux jeunes gens :

« Madame Bovary mère n’avait pas desserré les dents de la journée. On ne l’avait consultée ni sur la toilette de la bru, ni sur l’ordonnance du festin ; elle se retira de bonne heure. Son époux, au lieu de la suivre, envoya chercher des cigares à Saint-Victor et fuma jusqu’au jour, tout en buvant des grogs au kirsch, mélange inconnu à la compagnie, et qui fut pour lui comme la source d’une considération plus grande encore. »[2]

Les beaux-parents qui nous insupportent :  Monsieur et Madame Le Perthuis des Vauds dans Une Vie

« Petite mère » et « le baron » sont Adélaïde et Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds, les parents de Jeanne, l’héroïne d’Une Vie, et les beaux-parents de Julien de Lamare. Aristocrates foncièrement bons et aux joies simples et terrestres, « le baron » et « petite mère » ont élevé Jeanne sous cloche et l’ont  préparée, sans le vouloir, à une vie remplie de désillusions. Très attachée à ses parents, Jeanne ne peut vivre loin d’eux. Et c’est parce que Julien n’a plus de famille (et est d’ailleurs beaucoup moins riche que Jeanne) qu’une fois mariés Jeanne et Julien s’installent aux Peuples, la propriété familiale. Les beaux-parents de Julien sont constamment présents, imposent aux deux jeunes gens une routine familiale à laquelle il semble impossible de déroger et l’agacement de Julien envers ses beaux-parents se fait très vite sentir.

Julien, en homme cruel et insensible qu’il est, juge ses beaux-parents trop bons, trop faibles, pesants et maladroits, même s’ils lui apportent un nom, le gîte et le couvert, ainsi qu’une épouse. Navrés des très nombreux écarts de conduite de leur gendre, les parents de Jeanne, quant à eux, lui pardonnent tout, ou presque, et sont incapables d’aller au moindre conflit avec lui, ce qui ne fait qu’envenimer la situation. Les liaisons de Julien avec Rosalie ou Gilberte apparaîtront au jeune homme comme les seules échappatoires possibles à une vie familiale étouffante, et à un couple mal assorti.

Les beaux-parents qui nous déçoivent : le père et la mère Duroy dans Bel-Ami

La « Mé Duroy » et le « pé Duroy », comme ils se désignent eux-mêmes,  sont les parents de Georges Duroy, le héros de Maupassant, et qui deviennent, dans la seconde partie du roman, les beaux-parents de Madeleine Forestier.

C’est grâce à son ami Charles Forestier, rencontré au début du roman, que Georges intègre le journal La Vie française, et c’est grâce à sa femme Madeleine qu’il y reste. En effet, cette dernière, femme brillante et cultivée, tombée sous le charme de Georges, n’hésite pas à retravailler ses articles. Lorsque Charles Forestier tombe subitement malade, c’est Georges qui accourt au chevet de Madeleine et la soutient. Tous deux ne savent que trop bien ce qui est train de se jouer, et c’est peu de temps après le décès de Charles que Georges et Madeleine se marient, au mépris des commérages. Le jeune homme devient « Georges Duroy de Cantel », en référence au village de « Canteleu », près de Rouen, dont il est originaire.

A cette occasion, Madeleine, malgré les mises en gardes répétées de son mari, insiste pour rencontrer les parents de Georges, persuadée qu’elle les aimera beaucoup. « Les nouveaux époux » rencontrent donc « les vieux paysans ». Bien évidemment, la sophistication de Madeleine déroute les parents de Georges qui voient en leur bru « une traînée, cette dame-là, avec ses falbalas et son musc ». Madeleine, quant à elle, « ne mangeait guère, ne parlait guère, demeurait triste avec son sourire ordinaire figé sur les lèvres, mais un sourire morne, résigné. Elle était déçue, navrée. Pourquoi ? […] Les avait-elle vus de loin plus poétiques ? Non, mais plus littéraires peut-être,  plus nobles, plus affectueux, plus décoratifs. »[3]

Malgré ses propres origines populaires, malgré toute la meilleure volonté du monde, malgré sa curiosité pour un monde qui n’est pas le sien, Madeleine doit se rendre à l’évidence : ses beaux-parents la déçoivent, ne répondent en rien aux attentes qui étaient les siennes. Les jeunes mariés écourtent leur escapade normande, et Georges, sur le chemin du retour, l’avoue : ce voyage était une erreur.

Les beaux-parents qui nous humilient : Monsieur et Madame de Sotenville dans George Dandin

La palme des pires beaux-parents revient sans aucun doute à Monsieur et Madame de Sotenville, parents d’Angélique, qui est la femme du pauvre George Dandin.

George Dandin, un paysan fortuné, a souhaité s’élever par le mariage et a donc épousé Angélique de Sotenville, fille d’un gentilhomme campagnard. Malheureusement, la jeune femme n’est que mépris envers son mari  et George Dandin reconnaît qu’il a fait « une sottise la plus grande du monde ». Monsieur et Madame de Sotenville sont quant à eux extrêmement condescendants envers leur gendre et ne cessent de lui rappeler qu’ils ne sont pas du même monde.  Lorsque George réalise que sa femme est infidèle, et en informe ses beaux-parents, ces derniers prennent immédiatement le parti de leur fille, issue « d’une race trop pleine de vertu » et qui plus est de la « maison de la Prudoterie ».[4]

Pire encore, Monsieur et Madame de Sotenville exigeront de leur gendre que ce dernier implore, à genoux et publiquement, le pardon de sa femme pour l’avoir offensée. George Dandin devra aussi, tel un enfant pris en faute, répéter mot à mot les paroles de son beau-père et promettre « de mieux vivre à l’avenir »[5], alors que c’est Angélique qui est en faute ! C’en est trop pour George Dandin, qui ne voit qu’une issue possible à ce mariage infernal : « c’est de s’aller jeter dans l’eau la tête la première. »[6]

Au-delà du comique de caractère propre à la farce moliéresque, Monsieur et Madame de Sotenville, infatués de leur nom et de leur fortune,  apparaissent comme des personnages extrêmement cruels, renvoyant un homme à sa solitude, à son chagrin, et à un éventuel prochain suicide. Si leur nom prête à sourire, leurs propos et leurs actes confinent au drame !

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Illustration : Dustin Hoffman, Ben Stiller, Barbra Streisand, Teri Polo et Blythe Danner dans Mon beau-père, mes parents et moi (Jay Roach, 2004)

 

[1] Molière, Tartuffe, I, 1, 1664

[2] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Première partie, Chapitre IV, 1857

[3] Maupassant, Bel-Ami, Deuxième partie, Chapitre I, 1885

[4] Molière, George Dandin, I, 4, 1668

[5] Molière, George Dandin, III 7, 1668

[6] Molière, George Dandin, III 8, 1668