De Kœnigsmark à L’Atlantide, deux très bonnes raisons de relire Pierre Benoit

Ses héros sont aimantés par le goût du voyage et l’appel de l’aventure et c’est pour ses héroïnes, dont le prénom commence toujours par la lettre A (procédé que lui empruntera Albert Cohen…), que le nom de « romanesque » semble avoir été inventé. Les romans de cet Albigeois nous emmènent en Afrique, aux États-Unis, en Europe centrale,  ou au Moyen-Orient, et ses personnages ne semblent parcourir la Terre, que pour célébrer sortir de l’ombre et capter la chaleur et le soleil.

Pierre Benoit aurait pu être une légende, il est devenu un grand malentendu. Parce qu’il avait érigé l’inattendu en maxime de vie, et bien des fois ulcéré son entourage par ses frasques, ses conquêtes féminines et succès littéraires. Parce qu’il était de droite, admirateur de Maurras et Barrès, et parce que ses œuvres sont qualifiées hâtivement de colonialistes. Parce qu’il était rentré à l’Académie française à quarante-cinq ans seulement. Parce qu’il avait choisi de renoncer à la vie tranquille de fonctionnaire pour parcourir le monde. Parce qu’il est selon moi un croisement entre Pierre Loti et Henry de Montherlant.

Pour apprécier et comprendre Pierre Benoit, il faut selon moi oublier cette dimension coloniale, et apprécier ses œuvres pour ce qu’elles sont : des romans de voyage, d’onirisme, de parfaite facture, qui vous emportent presque malgré vous dans des contrées lointaines. Il n’est nulle question de politique, d’histoire, ou d’engagement, et c’est sûrement ce qu’on a reproché à l’écrivain. Pierre Benoit laisse cela à d’autres. On sait combien il est difficile de faire du très bon divertissement. Chez Pierre Benoit, tout commence à chaque fois de manière très anodine, à pas feutrés, par une petite porte. Nos héros sont entraînés presque malgré eux dans une histoire dont ils ne peuvent saisir les tenants et aboutissants. C’est l’Aventure avec un grand A. Ils se laissent guider, non pas tels des pantins, mais tels des héros curieux, intrigués, puis peu à peu aimantés et prisonniers.

Retour sur deux des plus grands succès –  et premiers romans – de Pierre Benoit, Kœnigsmark et L’Atlantide.

 

Kœnigsmark

Il faut savoir que Kœnigsmark inaugurera la collection du Livre de Poche chez Hachette, dont il porte encore aujourd’hui le numéro 1 !

Bien écrit, haletant, parfaitement construit, le roman raconte le parcours de Raoul Vignerte (j’aime infiniment ce prénom qui est aussi celui du vicomte de Bragelonne), un étudiant boursier parisien originaire de Mont-de-Marsan, qui échoue d’un rien au concours de l’École normale supérieure. Son destin bascule lorsqu’il croise un ancien camarade d’Henri IV, Étienne de Ribeyre, qui lui fait miroiter la perspective d’un poste de précepteur au sein du Grand-duché de Lautenbourg-Detmold, un État allemand.

Raoul part pour Lautenbourg, la capitale du grand-duché, où il devient précepteur de Joachim, fils unique du grand-duc Frédéric Auguste. Raoul y rencontre surtout Aurore de Lautenbourg-Detmold, une princesse aux yeux verts, fille d’un fantasque prince Tumène, Wassili,  qui, lors d’un voyage en France, avait épousé la duchesse de Hesse-Darmstadt sur un pari. Aurore ensorcèle tout son peuple et se distingue par une surprenante alchimie avec la nature. Chasseuse hors-pair capable de recueillir entre ses mains et de baiser l’oiseau qu’elle vient de tuer, Aurore est aussi une excellente cavalière, un « Murat androgyne », à laquelle son cheval fougueux, nommé Tarass Boulba, est entièrement soumis.

Tout en apprenant à connaître Aurore, avec laquelle il partage un même amour de la poésie française, Raoul enquête sur la disparition de Rodolphe, le premier mari d’Aurore. Car, comme le lui a dit M. Thierry, « il paraît qu’on ne meurt pas toujours de mort naturelle à la cour de Lautenbourg-Detmold. »

Roman policier, roman d’aventure, mais aussi roman d’apprentissage et d’une éducation sentimentale, Kœnigsmark mêle plusieurs genres. D’abord perçu comme un curieux état fantoche, le duché de Lautenbourg-Detmold gagne peu à peu en réalité et le roman brosse surtout un inoubliable portrait d’Aurore. À noter que Pierre Benoit excelle notamment dans l’attention portée aux couleurs et aux symboles, qui nous font voyager jusqu’en verte Mongolie.

L’Atlantide

Grand prix du roman de l’Académie française, L’Atlantide s’inspire des souvenirs de Pierre Benoit qui passa une partie de sa jeunesse en Afrique du Nord, où son père officiait en tant que militaire.

Lors d’une expédition « jusqu’aux lieux où l’on ne rencontre plus des hommes qui pensent et qui raisonnent », le lieutenant de Saint-Avit et le capitaine Morhange, deux Français appartenant à l’Armée d’Afrique, tombent sous l’emprise d’Antinéa, une femme polyglotte, érudite mais aussi dresseuse de guépard, « aussi intelligente que belle ».

Petite-fille de Neptune et dernière descendante des Atlantes selon la légende, Antinéa règne sans partage sur le massif montagneux du Hoggar, « pays de la peur » situé en  plein désert du Sahara. Véritable mythe indissociable du désert et de ses mystères, Antinéa obsède archéologues et historiens. « Cette femme, la reine, la sultane, la souveraine absolue du Hoggar » emprisonne, envoûte et tue chaque homme ayant osé s’aventurer sur ses terres, après les avoir rendus fous d’amour. Nul n’échappe au pouvoir d’Antinéa, nul ne revient indemne du palais de marbre rouge où sont conservés les corps de ceux que la mort a fauchés dans leur prime jeunesse et insolente beauté.

Lire L’Atlantide, c’est plonger dans une autre temporalité, savourer une langue aussi lente que poétique, découvrir une Afrique qui n’est plus, et accepter de ne pas avoir toutes les réponses – le roman se présente d’ailleurs comme un manuscrit égaré.

Geôlière d’un monde disparu dont elle entretient le souvenir, Antinéa est l’archétype absolu de la Femme Fatale. Mourir d’aimer est son précepte.

Vous souhaitez relire les romans de Pierre Benoit ? Découvrez-les dans la collection Livre de Poche : les préfaces d’Adrien Goetz sont extrêmement précieuses !

Les Sirènes d’Atlantis (Siren of Atlantis) de Gregg G.Tallas © Artus Films (l’adaptation la plus célèbre de L’Atlantide, réalisée en 1949, avec Maria Montez (Antinéa), Jean-Pierre Aumont (Saint-Avit), Dennis O’Keefe (Morhange))

 

 

 

 

« Honoré et moi »​ de Titiou Lecoq ou Balzac réinventé

« Les gens qui aiment ne doutent de rien ou doutent de tout ». Honoré de Balzac.

Balzac, lui, ne doutait pas de grand chose, en tout cas ni de son destin, ni de son talent ni de ses rêves, ou alors si peu. C’est le parcours d’un homme à qui la vie fait des croche-pieds, mais avance toujours, même en rampant, que Titiou Lecoq raconte dans Honoré et moi, aux éditions de L’Icononclaste, un livre drôle, irrévérencieux, passionnant, et qui témoigne de la modernité de l’homme, mais plus encore de ses romans.

Lire un roman de Balzac, comme cette biographie, c’est avant tout se plonger dans un moment particulier de de l’histoire française. Les rapports entre nobles et non-nobles ont laissé place aux rapports d’argent, et le citoyen lui-même a disparu pour laisser place à l’individu. Sans aucun avenir politique propre, la noblesse est entrée directement au service de la monarchie bourgeoise, ou joue le jeu du capitalisme et de l’affairisme. La famille balzacienne est le lieu dont on ne peut réchapper, les crimes domestiques peuvent être plus effroyables encore que ceux des bandits, et seul le héros ambitieux, a une (maigre) chance de s’en sortir.

Visionnaire, Balzac est cet écrivain qui pressent, digère, et dissèque tout cela. Il dit avant tout le monde et mieux qu’aucun autre la soif de l’or, la dépendance à l’argent, la corruption, le pourrissement d’un régime que ne porte plus rien, mais aussi la vanité de ces jeunes filles qui font un « mariage d’ambition », et découvrent l’amour à trente ans.

Sur le plan personnel, Balzac est un enfant du spectacle paré d’imposture qui n’aspire qu’à être aimé, et reconnu dans sa vérité. Honoré est ce sempiternel malchanceux qui, tout en portant une estocade aux insinuations et compromissions dont l’exercice du pouvoir fait sa toile, se révèle incapable de clairvoyance et de choix justes quand il est question de sa vie personnelle. Titiou Lecoq narre son parcours, mais aussi les femmes qui l’ont construit. Car n’a-t-il pas tout créé pour n’être que mieux regardé par les femmes qu’il aimait ?

Un ouvrage qui se lit comme un roman, qui est formidablement documenté, et que je recommande à tous ceux qui veulent, un jour, découvrir et comprendre Balzac.

Vous souhaitez redécouvrir l’œuvre de Balzac ? Plus de vingt extraits de son œuvre sont à retrouver sur l’application Un texte Un jour