Il paraît que les enfants adorent nous imiter, je tâcherai donc surtout de ne pas m’arrêter de lire !
Après avoir découvert en 2014 son très inspirant ouvrage Elles ont réussi dans le digital,Success stories à l’usage des hommes aussi !, j’ai suivi de près le parcours de Marine Deffrennes, qui était alors directrice de la rédaction à Terrafemina. Elle est désormais co-créatrice du magazine en ligne Les Louves, qui bouscule l’univers des sites dédiés à la maternité et que je ne peux que vous inviter à découvrir. L’occasion d’en savoir plus sur cette passionnée de digital et ayant suivi des études de lettres. Interview de Marine Deffrennes.
Marine, quelle lectrice êtes-vous, et notamment quelle lectrice de classiques êtes-vous ?
Je ne peux pas m’endormir sans lire, même une ou deux pages, et je suis du genre à savourer plutôt que dévorer les livres. J’adore partir en vacances avec 5 bouquins pour avoir le choix et arrêter si l’un ne me plaît pas. J’ai fait une pause avec les classiques après mes études de lettres, j’avais fait une petite overdose je pense, j’avais besoin de voir autre chose, et j’y suis revenue ensuite en choisissant mes auteurs…
Etes-vous issue d’une famille de lecteurs ? Comment les livres sont-ils arrivés à vous ?
C’est ma maman qui m’a transmis le virus de la lecture : bibliothèque rose, verte, et puis j’ai commencé à lire beaucoup avec des romans historiques très romantiques ! (Type Juliette Benzoni, Jean Diwo…) Ensuite j’ai découvert les grands auteurs en khâgne et j’ai adoré les étudier.
Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?
J’ai rédigé un mémoire sur La Vie de Marianne de Marivaux et je m’y replonge de temps en temps avec plaisir. Et il y a certains titres que j’ai déjà lu plusieurs fois et auxquelles je suis très attachée, je les relirai encore, c’est certain : Un balcon en forêt de Julien Gracq, les trois tomes de la série Les jeunes filles de Montherlant, Le Lys dans la vallée de Balzac, et ce n’est pas un classique mais le roman qui m’a donné envie de lire les auteurs étrangers après mes études (et que j’ai déjà lu trois fois) : Kafka sur le rivage, de Murakami.
Vous travaillez dans le digital après avoir suivi des études de lettres. Que vous a apporté cette formation sur le plan professionnel ?
Je suis devenue journaliste pour le Web après mes études, et j’ai dû apprendre à écrire vite, à faire court et bien. Ca n’a pas été facile ! Mais j’aime l’idée de produire des articles et du contenu de qualité en ligne, pour qu’Internet soit aussi un support de lecture agréable. C’est ce que nous essayons de faire avec Les Louves, c’est un magazine qui soigne autant l’image que le texte. C’est très important pour Marion, mon associée (et grande lectrice aussi), comme pour moi.
Vous êtes la co-fondatrice des Louves, un formidable webzine qui dépoussière la maternité. Quels livres conseilleriez-vous aux mères qui souhaiteraient faire découvrir la littérature classique à leurs enfants ?
Le Petit Prince bien sûr, que j’ai hâte de lire avec mes enfants. Petite fille, je me souviens aussi avoir dévoré La Comtesse de Ségur.
Enfin, auriez-vous des conseils sur la façon d’initier les enfants à la lecture ?
Je n’ai pas la prétention de savoir comment faire, mais je pense que les laisserais flâner avec moi dans les librairies et choisir les livres qui les inspirent, sans leur forcer la main. J’ai été très stimulée aussi par mon abonnement à J’aime lire quand j’étais petite, je l’attendais tous les mois avec impatience. Il paraît que les enfants adorent nous imiter, je tâcherai donc surtout de ne pas m’arrêter de lire !
« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à rechercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » Marcel Proust
Lettre 162 : Usbek à Rica,
A Paris
Mon cher Rica,
Cela fait maintenant un mois que je séjourne à Paris. Si la ville a bien changé depuis notre dernier voyage, il y a bien longtemps de cela, j’y ai néanmoins retrouvé quelques repères familiers, de l’odeur généreuse des croissants couleur d’or aux grandes allées du jardin des Tuileries. La ville s’est considérablement agrandie, et transformée depuis notre séjour et il y a énormément à voir, des grandes expositions du moment à cette immense et curieuse construction que les Parisiens aiment tant et qui se nomme la Tour Eiffel. C’est donc à a fois fourbu et les yeux étincelants que je retrouve chaque soir mon hôtel, véritable havre de paix.
Cet hôtel, mon cher Rica, parlons-en ! Toi qui craignais d’être fatigué et as préféré cette fois-ci ne pas m’accompagner, sache que j’ai déniché la perle rare qui pourrait te pousser à me rejoindre séance tenante.
Tu connais ma passion pour l’écrivain Marcel Proust et pour son œuvre À La recherche du temps perdu dont je t’ai si souvent parlé ? Désireux de faire de cette nouvelle escapade parisienne un pélerinage proustien, je décidai de séjourner entre la plaine Monceau et le quartier Saint-Augustin, sur les traces mêmes de Marcel Proust. Quel ne fut pas mon émoi lorsque je découvris qu’un hôtel entier, Le Swann, était consacré au grand écrivain !Après avoir cru à une blague, je choisis d’y séjourner et c’est de ma chambre Le Miracle du Rialto, littéralement baignée de lumière, bien que donnant sur cour, que je t’écris aujourd’hui.
Idéalement situé rue de Constantinople (l’adresse est en elle-même une invitation au voyage oriental, comment ne pas y voir un signe ?), dans la rue même où vécut Apollinaire et à deux pas de la Gare Saint-Lazare, cet établissement est, plus qu’un hôtel, un établissement unique en son genre, où vivre une expérience sensorielle, littéraire et presque de l’ordre de la synesthésie, pour ne pas dire proustienne !
L’hôtel littéraire Le Swann a été fondé par Jacques Letertre, un amoureux de Proust qui souhaitait faire partager sa passion pour l’écrivain. Si les grincheux ou les sceptiques dans ton genre, mon cher Rica, pourraient croire à une vulgaire récupération commerciale, sache qu’il suffit d’entrer dans l’hôtel pour réaliser que le voyageur est plongé, entièrement, dans l’univers de Marcel Proust. De la décoration du bar à l’agencement des chambres en passant par la verrière sous laquelle prendre son petit-déjeuner, tout n’est que luxe, calme et volupté, comme dirait Baudelaire, et tout invite à plonger, littéralement, dans l’univers de Marcel Proust.
Tout d’abord, figure-toi que l’organisation générale de l’hôtel est, comment dire, proustienne !
Chaque étage de l’hôtel est consacré à une thématique différente et les chambres n’ont pas de simples et vulgaires numéros, mais des noms en lien avec la thématique.
Ainsi, le premier étage est naturellement celui de Combray, puisque « Combray » est le nom de la toute première partie de l’œuvre immense. Lorsqu’on emprunte les escaliers, on peut choisir d’aller à droite, ou à gauche, un peu comme lorsque le narrateur a la possibilité d’aller du côté de chez Swann ou du côté de Guermantes. N’est-ce pas charmant ? A cet étage se trouvent par exemple la chambre La mère du narrateur, située juste en face de celle du Père du narrateur, ce qui n’a pas manqué de me faire sourire. Une citation de l’œuvre est présente à chaque étage, comme une introduction à l’arrivée dans un nouvel univers.
Le deuxième étage est consacré à Balbec, lieu du deuxième tome – tu auras compris le principe d’attribution des thématiques – et on y trouve notamment les chambres Elstir, Marquise de Cambremer, ou Mlle de Stermaria. Dans la Recherche, Elstir est un peintre et c’est celui qui, avec le romancier Bergotte, initie le narrateur à l’art. La marquise de Cambremer m’a quant à elle toujours fasciné car elle porte le prénom de Zélia, prénom aux consonances étrangement persanes et qui est une porte d’entrée vers l’évasion à lui tout seul. Mlle de Stermaria est quant à elle le parfait être de fuite, l’être aimé qui ne cessera jamais de se dérober à notre pauvre narrateur.
Le troisième est celui du « petit clan » des Verdurin, tu sais ces personnages un peu snobs, qui me font tellement penser à ceux que les Parisiens appellent les « bobos » – il faudra que je t’en dise plus à mon retour ! On y trouve par exemple les chambres Bergotte ou Les Cattleyas, cette dernière étant à mon avis la chambre idéale pour les jeunes mariés ; puisque ces fleurs constituent, pour les personnages de Swann et Odette, amants, un véritable code amoureux.
Le quatrième étage est celui duFaubourg Saint Germain, et je me suis demandé si ce n’était pas l’étage des suites, même si en réalité chaque étage dispose de suites, certaines donnant même sur Montmartre. C’est l’étage des chambres Princesse de Guermantes, Hannibal de Bréauté, Saint-Loup. Savais-tu qu’Hannibal de Bréauté, surnommé Babal, est un des personnages les plus drôles et les plus ridicules de la Recherche ? Il fait semblant de ne pas être snob alors qu’il n’y a pas plus snob que lui !
Le cinquième étage, celui où je loge, est l’étage Venise, la Sérénissime ayant été une des grandes obsessions de Marcel Proust. Je n’ose d’ailleurs imaginer ce que Proust aurait pensé d’Istanbul, Téhéran ou Samarcande s’il avait pu les visiter. Ma chambre, où je loge depuis un mois, est celle du Miracle du Rialto, en face de la chambre John Ruskin – John Ruskin était un écrivain et critique d’art anglais, que Proust aimait beaucoup. Moi qui adore Venise, j’étais enchanté de trouver dans ma chambre une reproduction du Miracle de Rialto, ce tableau de Carpaccio dont parle Proust dans la Recherche. D’ailleurs, un encadré et une aquarelle m’expliquaient tout sur le nom de ma chambre, et j’ai appris par la suite, grâce un formidable livret mis à disposition des voyageurs et que je pourrai emporter en guise de souvenir, que c’était le cas dans chacune des chambres. Certaines de ces aquarelles sont d’ailleurs reproduites dans le salon de l’hôtel, qui donne l’accès à un ordinateur dernier cri sur lequel je t’écris.
Le sixième et dernier étage est enfin l’étage Artistes, puisque Proust a beaucoup parlé de différents Artistes et œuvres d’art. On y trouve également les chambres Watteau, Anna de Noailles mais Aussi Vue de Delft. Il te suffira, mon cher Rica, de découvrir l’œuvre pour comprendre les différentes allusions faites !
Les initiatives proustiennes ne s’arrêtent pas là. Le salon dispose d’une impressionnante bibliothèque : on y trouve toute l’œuvre de Proust en différentes langues, des essais sur Proust à la fois récentes et grands publics, d’autres plus pointus, mais aussi des éditions rares, sous vitrines, manifestement acquises par le propriétaire de l’hôtel, fervent collectionneur. J’ai par exemple été ravi de découvrir Monsieur Proust de Céleste Albaret (Céleste était la vraie gouvernante de Proust) ou une biographie consacrée à la comtesse Grefulhe, celle qui inspira le personnage de la duchesse de Guermantes et à laquelle un musée parisien a rendu l’an dernier hommage. Enfin, La cuisine selon Proust rend hommage aux plats de la Recherche. J’ai commis l’impair de le lire un soir, fourbu et affamé après une longue journée de visites… Heureusement que le room-service était là pour m’apporter de quoi me sustenter !
A la réception, un livre d’un orange flamboyant a attiré mon attention : leQuestionnaire de Proust recense les réponses de différentes célébrités aux fameux questionnaire. C’était un régal pour moi de les lire accoudé au bar et d’imaginer mes propres réponses. Il y a d’ailleurs un autre livre, en anglais cette fois, qui reprend les mêmes concepts, et j’ai pu ainsi comparer les réponses de différentes acteurs comme Isabelle Adjani ou Paul Newman. C’était très amusant. Chaque livre est disponible en plusieurs exemplaires et si nous devions, un jour, y revenir tous les deux, nous serions sûrs de ne pas nous disputer !
Comme je te le disais, on trouve des éditions de la Recherche dans plein de langues différentes. Ainsi, je sais désormais dire « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » en allemand (« Lange Zeit ging ich früh zu Bett »), en anglais (« For a long time, I went to bed early ») et en italien (« Per molto tempo sono andato a dormire presto ») !
On trouve enfin de véritables trésors comme les premières épreuves corrigées du Côté de chez Swann éditées chez Gallimard.
Bref, une bibliothèque de spécialistes qui n’a rien à envier aux bibliothèques universitaires– j’ai profité d’une de mes excursions pour visiter la bibliothèque Sainte-Geneviève, non loin de la Sorbonne – et qui enchanterait n’importe quel étudiant ou chercheur en littérature, ou amateur ou spécialiste de Proust.
Je te parlais du bar de l’hôtel. Le bar ne propose pas moins de dix cocktails en rapport avec l’écrivain, Swann, Albertine, Madeleine, Céleste, Charlus (étonnamment aphrodisiaque avec ses notes de gingembre), Cabourg, Oriane (au champagne bien sûr !), Maître Florentin, mais aussi deux cocktails sans alcool, Mademoiselle Saint Loup, et Léonie. Il y en a vraiment pour tous les goûts, toutes les humeurs et tous les moments !
Enfin, chaque recoin nous rappelle que nous baignons dans l’univers proustien : plusieurs portraits de l’écrivain se rappellent à nous, que ce soit dans le bar ou dans la cage d’escalier, des photos en noir et blanc nous remémorent le Paris mille neuf cent que connaissait Proust, celui de la Nouvelle Athènes. Et j’ai même vu des photos de l’établissement du temps où il ne s’appelait pas encore Le Swann.
Tout ceci est bien littéraire, j’en ai conscience, mon cher Rica. Parlons donc de la décoration générale ! Tout l’hôtel est dans des tons taupes et gris, ce qui donne un aspect à la fois élégant et reposant à l’ensemble. Les chambres sont quant à elles d’un blanc immaculé. Ses murs sont recouverts d’un papier peint aux subtils motifs beiges, qui ne sont pas sans m’évoquer les aubépines proustiennes, ou les moucharabiehs. La porte qui ferme la salle de bains est une délicate porte en verre sur laquelle est reproduit un texte de Proust. Tu n’imagines pas le nombre de fois où je me suis posté devant cette porte, simplement pour pouvoir la contempler ! C’est l’écriture même de Proust qui est reproduite et je ne te cache pas qu’il m’aura fallu un moment pour déchiffrer ce qui m’apparaissait presque comme un hiéroglyphe.
Le lustre qui orne la chambre et trône au-dessus du lit n’est pas sans rappeler les pages d’un livre, ou la lanterne magique que le narrateur trouve chez tante Léonie. Tu peux jouer avec le variateur et voir comment la lumière se reflète sur les différents feuillets qui composent le lustre. Enfin, la chambre dispose de tout le confort moderne : station d’accueil pour smartphone, machine à café dernier cri, linge de maison d’une indéniable qualité, nombreuses prises de courant et accès gratuit et illimité au wifi.
Le petit-déjeuner vaut le détour, lui aussi ! Thés français de la meilleure qualité, viennoiseries, œufs brouillés, tout est délicieux. Le salon dans lequel tu prends ton petit-déjeuner est des plus sympathiques. Les tables, rapprochées les unes des autres, favorisent les rencontres et discussions et m’aident à me sentir moins seul dans ce voyage. Tu peux d’ailleurs manger dans de grands canapés, ce qui m’a à première vue semblé incongru, mais qui s’est révélé somme toute charmant. J’ai d’ailleurs désormais ma place attitrée, et je suis devenu un inconditionnel des œufs brouillés au petit-déjeuner !
La première fois que je suis arrivé dans ma chambre d’hôtel, deux madeleines m’attendaient sur la table de nuit– table de nuit sur laquelle le visage de Marcel est reproduit et semble veiller sur nous ! C’est désormais mon rituel lorsque je regagne ma chambre d’hôtel le soir, chaque soir retrouver une madeleine et la déguster avant de trouver le sommeil.
Longtemps je me suis couché de bonne heure, mon cher Rica, et longtemps j’ai mangé des madeleines. Promis, je t’en rapporterai, et l’Iran se fera Occident.