Dans la chair d’Emilie Frèche

« J’ai souvent dit que j’écrivais contre. Contre en général, et contre la haine – toutes les haines – en particulier. »

Comment raconter l’impensable, comment dire l’indicible, comment décrire ce qui ne devrait jamais arriver ? Il y a dix ans la France était secouée par l’affaire Ilan Halimi, et c’est l’ouvrage qu’Emilie Frèche a consacré, avec Ruth Halimi, à cette affaire (24 jours la vérité sur la mort d’Ilan Halimi) qui m’aura permis de découvrir une voix, à la fois poignante, sensible et engagée. J’ai ensuite lu Deux Etrangers, ai été troublée par Un homme dangereux et ai vu le très réussi 24 jours d’Alexandre Arcady, adaptation du livre de Ruth et Emilie dont Emilie a écrit le scénario. Alors que le nouveau film d’Yvan Attal, Ils sont partout, vient de sortir au cinéma, Emilie Frèche, qui en a co-signé le scénario, revient sur ses livres de chevet et sur la question de l’antisémitisme, indissociable de son œuvre.

Emilie, quelle lectrice êtes-vous, et notamment quelle lectrice de classiques êtes-vous ?

J’ai mes périodes. La lecture réclame du temps, et j’aime en avoir pour ça. Lui en consacrer pour ne pas être sans cesse interrompue. En même temps, je peux lire partout, et j’ai toujours un livre avec moi. Même quand je vais faire des courses. Comme si ça me rassurait…

Les classiques continuent de me former, de m’aider aussi dans mon travail d’écriture… J’ai des périodes par auteur. En ce moment par exemple, j’ai envie de me replonger dans Proust. De relire La recherche. Je l’ai découverte à vingt ans, et j’ai évidemment dû passer à côté de la moitié des choses. Il faudrait pouvoir relire ses classiques tous les dix ans. Comme une formation de l’âme humaine. Mais chacun à les siens, c’est ça qui est intéressant.

Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

« Les frères Karamazov », sans doute. Pour le rapport au père, à cette famille complètement folle, et l’épilepsie, expérience traumatisante. C’est un point commun avec Dostoïevski ! Il y a aussi, dans un tout autre genre, « Gros-Câlin » de Gary qui me bouleverse à chaque fois, « Claire » de Chardonne, « Thérèse Desqueyroux » de Mauriac, tout Duras et « La modification » de Butor.

Vous avez vécu et travaillé à New York au service culturel de l’ambassade de France.[1] Pourriez-vous nous expliquer comment la littérature classique française était perçue là-bas, à cette époque et au sein de cette institution ?

Très honnêtement, je n’en ai aucun souvenir. Pour moi, ce moment de ma vie coïncide avec le début de ma liberté. J’avais vingt ans, je n’habitais plus pour la première fois chez mes parents, un océan nous séparait, j’avais décidé d’écrire mon premier roman – celui que j’enverrais par la poste un an plus tard et qui sera publié j’étais dans ce bureau pour avoir un visa mais mon esprit était toujours ailleurs, dans les rues où j’aimais marcher pour observer les gens, dans les cinémas, les bars, les parcs, les théâtres… J’étais dans une boulimie artistique. Je peignais, j’écrivais, je faisais de la sculpture. Il fallait à tout prix que sorte ce qui était en moi.

La question de la judéité est un des thèmes centraux de votre œuvre. Y-a-t-il des écrivains classiques (je pense par exemple à Proust ou Albert Cohen) qui incarnent selon vous cette judéité ?

Je crois que plus que la judéïté, c’est l’antisémitisme qui est au centre de mon travail. J’ai souvent dit que j’écrivais contre. Contre cette haine, oui, qui me semble absurde, injuste, incompréhensible, comme toutes les autres formes de racismes. Mais je parle de celle-là parce que sans doute, on ne parle jamais mieux que de ce qu’on connaît.

Après, oui, il y a des écrivains dont la judéité a fatalement nourri leur œuvre, et dont je me sens en parfaite connivence sensible : Roth, Gary, Bellow, Singer, Albert Cohen en effet, et Proust. Je sais, je connais ce dont il me parle, mais j’ai le sentiment que c’est le cas avec tous les grands auteurs, quelle que soit leur origine, leur couleur, leur religion. Je viens de relire « Un barrage contre le Pacifique » de Duras. Je ne connais ni l’Indochine – et pour cause !-  ni la misère que cela peut représenter que d’avoir acheté et de vivre sur une terre qui ne sera jamais fertile, et pourtant le désespoir de « La mère », Duras me le fait éprouver physiquement, dans ma chair. 

Illustration : Emilie Frèche @Francesca Mantovani

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89milie_Fr%C3%A8che

Les appartements parisiens emblématiques de la littérature classique

Bientôt les vacances d’été, et peut-être, à l’horizon, une escapade parisienne. Nous vous emmenons à la découverte des plus beaux appartements parisiens de la littérature classique !

Un hôtel particulier avec le charme de l’ancien et des prestations de luxe : bienvenue chez Nana

Situé au coin de l’avenue de Villiers et de la rue Cardinet, cet hôtel particulier saura vous séduire par ses nombreuses prestations et sa riche collection d’œuvres d’art et de bibelots. A proximité des Champs-Elysées et du parc Monceau,  cet havre de paix constitue la promesse d’un séjour exceptionnel.

« L’hôtel de Nana se trouvait avenue de Villiers, à l’encoignure de la rue Cardinet, dans ce quartier de luxe, en train de pousser au milieu des terrains vagues de l’ancienne plaine Monceau. Bâti par un jeune peintre, grisé d’un premier succès et qui avait dû le revendre à peine les plâtres essuyés, il était de style renaissance, avec un air de palais, une fantaisie de distribution intérieure, des commodités modernes dans un cadre d’une originalité voulue. Le comte Muffat avait acheté l’hôtel tout meublé, empli d’un monde de bibelots, de fort belles tentures d’Orient, de vieilles crédences, de grands fauteuils Louis XIII ; et Nana était ainsi tombée sur un fonds de mobilier artistique, d’un choix très fin, dans le tohu-bohu des époques. »[1]

Le cachet de l’ancien dans un vaste appartement à Saint-Sulpice : bienvenue chez  Porthos

Porte cochère et magnifique cour intérieure, poutres apparentes, matériaux nobles, nombreuses chambres et commodités ainsi que clarté : l’appartement de Porthos promet un séjour mémorable, et il est idéalement situé entre Saint-Germain-des-prés et Odéon.

« Porthos habitait un appartement très vaste et d’une très somptueuse apparence, rue du Vieux-Colombier. Chaque fois qu’il passait avec quelque ami devant ses fenêtres, à l’une desquelles Mousqueton se tenait toujours en grande livrée, Porthos levait la tête et la main et disait : Voilà ma demeure ! »[2]

Un hôtel particulier pour abriter des célébrités en toute discrétion : bienvenue chez le comte de Monte-Cristo

Situé au 30 avenue des Champs-Elysées, la demeure parisienne d’Edmond Dantès est un hôtel particulier aux prestations luxueuses.  Entouré de massifs de verdure, et d’une deuxième entrée, dissimulée, elle constitue une parfaite parade aux indiscrets.

« La maison choisie par Ali, et qui devait servir de résidence de ville à Monte-Cristo était située à droite en montant les Champs-Elysées, placée entre cour et jardin ; un massif fort touffu, qui s’élevait au milieu de la cour, masquait une partie de la façade ; autour de ce massif s’avançaient, pareilles à deux bras, deux allées qui, s’étendant à droite et à gauche, amenaient à partir de la grille les voitures à un double perron supportant à chaque marche un vase de porcelaine plein de fleurs. Cette maison, isolée au milieu d’un large espace, avait, outre l’entrée principale, une autre entrée donnant sur la rue de Ponthieu. »[3]

Un petit deux-pièces sur les grands boulevards pour profiter des sorties parisiennes : bienvenue chez Georges Duroy

Cet appartement situé au 127 rue de Constantinople se trouve non loin des quartiers Opéra et Saint-Lazare, non loin de nombreux théâtres, restaurants et cafés. Ce logement modeste (un  deux-pièces situé au rez-de-chaussée, en face de la loge de la gardienne) constitue le logement idéal pour un court séjour en amoureux.

« Le salon, tapissé de papier ramagé, assez frais, possédait un meuble d’acajou recouvert en reps verdâtre à dessins jaunes, et un maigre tapis à fleurs, si mince que le pied sentait le bois par-dessous.  La chambre à coucher était si exiguë que le lit l’emplissait aux trois quarts. Il tenait le fond, allant d’un mur  à l’autre, un grand lit de maison meublée, enveloppé de rideaux bleus et lourds, également en reps, et écrasé sous un édredon de soie rouge maculé de tâches suspectes. »[4]

Un appartement bourgeois-bohème idéalement situé sur l’île Saint-Louis : bienvenue chez Charles Swann

Cet hôtel particulier légèrement défraîchi et à la superficie modeste a une vue magnifique sur la Seine, puisqu’il est situé quai d’Orléans, en plein cœur de Paris. Il a le charme des commodités vintage et bénéficie d’une somptueuse bibliothèque et d’un cabinet de curiosités. Il constitue un parfait témoignage de l’art de vivre à la française.

« Il demeurait maintenant dans un vieil hôtel où il installait ses collections et que ma grand-mère rêvait de visiter, mais qui était situé quai d’Orléans, quartier que ma grand-mère trouvait infâme d’habiter… »[5]

Un trois-pièces en face du Luxembourg pour profiter du quartier Saint-Michel : bienvenue chez Athos

L’appartement de notre mousquetaire ombrageux est situé dans le sixième arrondissement de Paris, non loin de l’Odéon.

« Athos habitait rue Férou, à deux pas du Luxembourg ; son appartement se composait de deux petites chambres, fort proprement meublées, dans une maison garnie dont l’hôtesse encore jeune et véritablement encore belle lui faisait inutilement les doux yeux. Quelques fragments d’une grande splendeur passée éclataient ça et là aux murailles de ce modeste logement ; »[6]

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Illustration : Owen Wilson et Rachel McAdams dans Midnight in Paris de Woody Allen (2011)

[1] Emile Zola, Nana, 1880

[2] Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, « L’intérieur des mousquetaires », 1844

[3] Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1844

[4] Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885

[5] Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1913

[6] Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, « L’intérieur des mousquetaires », 1844