Qui sont les Jules de la littérature classique ?

Il est troublant de constater que le prénom « Jules » est associé en littérature à deux personnages qui se trouvent être des oncles ! Le prénom ferait-il l’oncle ? Ou l’oncle idéal s’appellerait-il nécessairement Jules ? Nous ne sommes pas loin de le penser, après avoir relu La Gloire de mon père de Marcel Pagnol !

« Mon oncle Jules » de Maupassant

Jules est avant tout le héros de la nouvelle de Maupassant, « Mon oncle Jules », que vous retrouverez au sein du recueil Miss Harriet, publié en 1884.

La nouvelle, lapidaire et cruelle à l’image des écrits de Maupassant, raconte le drame familial qu’ont connu les Davranche, plusieurs années auparant.

Les Davranche sont donc une famille désargentée du Havre. Le narrateur, Joseph, a alors deux sœurs à marier et son père est un petit employé de bureau qui ne peut leur offrir de dot. A l’issue du mariage de la sœur cadette, qui trouve finalement un mari, les Davranche s’offrent un voyage en bateau vers Jersey, destination courante en partant du Havre. Sur le bateau, un homme prématurément vieilli ouvre des huîtres aux voyageurs. Epouvantés, les parents de Joseph reconnaissent en cet homme l’oncle Jules, disparu des années plus tôt !

Qui est-il cet oncle ? Joseph Davranche nous le raconte : Jules était le frère de son père qui avait été contraint de partir aux Etats-Unis après une escroquerie familiale. De là-bas, il avait écrit deux lettres qui assuraient les Davranche de sa prochaine réussite. Ces derniers restent finalement sans aucune nouvelle plusieurs années durant. L’oncle Jules devient, dans la mythologie familiale, cet « oncle d’Amérique » dont on se glorifie et qu’ils pourront bientôt pouvoir rejoindre.

L’oncle Jules est donc une sorte d’Arlésienne, un mythe qui draine des images de réussite, d’aventure et d’exotisme. A noter que l’expression « oncle d’Amérique » est d’ailleurs passée dans le langage courant, désignant un parent riche et émigré, dont on reçoit un héritage inattendu.

L’Oncle Jules dans La Gloire de mon père et Le Château de ma mère

« L’oncle Jules était né au milieu des vignes, dans ce Roussillon doré où tant de gens roulent tant de barriques. Il avait laissé le vignoble à ses frères, et il était devenu l’intellectuel de la famille, car il avait fait son droit : mais il était resté fièrement catalan, et sa langue roulait les R comme un ruisseau roule de graviers. »[1]

C’est un tout autre « oncle Jules » qui est décrit dans La Gloire de mon père et Le Château de ma mère de Marcel Pagnol. Immortalisé au cinéma par Didier Pain, l’oncle Jules est le mari de tante Rose. Lorsque Marcel rencontre Jules au parc Borély, ce dernier lui fait croire qu’il est le directeur du parc. Il est en réalité « sous-chef de bureau à la préfecture » et il est âgé de « trente-sept ans ». Généreux, taquin, Jules devient un formidable compagnon de jeu pour Marcel et son frère Paul. C’est lui qui initie Joseph, le père de Marcel, à la chasse et c’est une forte amitié teintée de légère rivalité qui unit les deux hommes. Jules est catholique quand Joseph est laïque, et leur divergence d’opinion donne lieu à de savoureuses scènes.

Marcel Pagnol nous apprend que si tout le monde l’appelle Jules, sur décision de tante Rose, son véritable prénom est Thomas !

« Mais ma chère tante ayant entendu dire que les gens appelaient Thomas leur pot de chambre, avait décidé de l’appeler Jules, ce qui est encore beaucoup plus usité pour désigner le même objet. L’innocente créature, faute d’avoir fait son service militaire, l’ignorait, même pas Thomas-Jules, qui l’aimait trop pour la contredire, surtout quand il avait raison ! »[2]

Illustration : Didier Pain, Julien Ciamaca et Philippe Caubère dans La Gloire de mon père d’Yves Robert (1990)

[1] Marcel Pagnol, La Gloire de mon père, 1957

[2] Marcel Pagnol, La Gloire de mon père, 1957

La littérature classique, ou l’atelier des miracles de Valérie Tong Cuong

« Mon amour de la lecture est né avec les classiques qui m’ont entraînée très jeune dans d’immenses émotions. »

Si certains auteurs peuvent parfois vous intimider, d’autres déclenchent chez vous une irréductible sympathie, la fréquentation de leurs écrits et de leur univers vous donnant le sentiment de les avoir toujours connus. Valérie Tong Cuong, que j’avais découverte avec L’Atelier des miracles et suivie avec Pardonnable, impardonnable, appartient résolument à cette seconde catégorie, et je suis donc ravie qu’elle ait répondu à mes questions. On y découvre une lectrice curieuse des livres et des autres, à l’image de l’œuvre qu’elle dessine et qui devrait, peut-être, continuer à emprunter les voies du théâtre…

Valérie, quelle lectrice êtes-vous, et notamment quelle lectrice de classiques êtes-vous ?

J’ai été une lectrice compulsive dès l’enfance. Mais depuis une dizaine d’années, je lis beaucoup moins. Au fil des années ma famille s’est agrandie et mes activités d’auteur se sont multipliées et étendues, il me reste donc peu de temps libre. Et entre les ouvrages qui m’arrivent, soit parce que j’appartiens à un jury, soit parce que je participe à un débat ou une lecture croisée avec d’autres auteurs, soit parce qu’il s’agit de livres publiés par des auteurs amis ou encore de livres nécessaires à ma documentation dans le cadre de mon propre travail, il me reste hélas peu de place pour des lectures sans autre objet que le désir et le plaisir.

Cependant, les lectures classiques sont un véritable refuge. Car en période d’écriture, je me refuse, sauf exception, à lire du roman contemporain, par crainte d’une certaine porosité. Mon amour de la lecture est né avec les classiques qui m’ont entraînée très jeune dans d’immenses émotions. Aussi, je m’offre des parenthèses délicieuses en compagnie de ces auteurs. J’adore découvrir des œuvres dont j’ignorais même parfois l’existence !  Dernier exemple en date : Le livre des tables de Victor Hugo, un recueil (publié pour la première fois en 2014) des séances de spiritisme auquel l’écrivain se livrait lors de son exil à Jersey.

Etes-vous issue d’une famille de lecteurs ? Comment les livres sont-ils arrivés à vous ?

C’est ma grand-mère maternelle, issue d’un milieu ouvrier, pauvre, qui m’a avant tout transmis cette passion. Elle a du quitter l’école encore enfant, pour travailler durement. Mais une institutrice avait eu le temps de lui inoculer le virus. Elle qui ne possédait rien, avait réussi à épargner de quoi acheter une collection bon marché des grands classiques. Elle les avait soigneusement couverts et rangés sur des étagères et j’étais priée de montrer des mains bien propres avant de les emprunter. Bien sûr ma mère avait également été  « contaminée » ! Je garde un souvenir ému de ces rayonnages et du plaisir que j’avais à choisir un livre avant de me mettre au lit pour le lire.

Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

On peut régulièrement trouver sur mon chevet des classiques du XXème siècle, Dostoïevski, Camus, Faulkner, Gary, Genêt et d’autres encore.

La fréquentation de ces auteurs, votre bagage culturel ont-ils pu vous paralyser, ou au contraire vous stimuler lorsque vous vous êtes lancée dans l’écriture ?

Lorsque j’ai commencé à écrire, je n’imaginais pas être publiée, je ne l’espérais pas, je n’y pensais même pas. J’écrivais par nécessité, je n’établissais donc aucune forme de comparaison. Mais lorsqu’il m’a été proposé de publier, là, la paralysie est arrivée. Je ne me sentais pas à ma place dans une librairie ou une bibliothèque près de ces auteurs que j’admirais tant (et que j’avais étudiés pour beaucoup, étant une ancienne Khâgneuse). Cela m’a handicapée longtemps. Je refusais absolument le titre d’écrivain. Puis j’ai compris que toute comparaison est absurde. Chacun suit son chemin, chaque écriture est unique et mérite d’être publiée dès lors qu’elle rencontre un public.

De quels personnages de la littérature classique Mariette, Millie et Mike, les héros de L’Atelier des Miracles, pourraient être la réincarnation ?

Au risque de vous décevoir, ils sont uniques à mes yeux et je ne peux les voir comme une réincarnation.. là encore, la comparaison me semble impossible.

Vous avez écrit une pièce de théâtre, Frères, jouée lors du festival du Paris des Femmes, et qui est une véritable réussite, un bijou d’humour noir. Cette expérience vous a-t-elle donné envie de poursuivre l’aventure de l’écriture théâtrale ?

Merci pour ce beau compliment ! Cette aventure se poursuit déjà, car Frères a remporté le Prix Durance/Paris des Femmes qui offre une bourse d’écriture avec pour objet d’allonger la pièce. Je travaille donc à une « version longue » qui devrait être présentée après l’été. Cette expérience a été très enrichissante et je me suis beaucoup amusée dans ce format particulier qu’est le théâtre. Même si mon prochain roman demeure une priorité absolue, je n’exclus donc pas de poursuivre l’expérience.

Illustration : Valérie Tong Cuong ©Francesca Mantovani