Les garçons et Julien, à table ! Le Rouge et le Noir ou de la difficulté d’affronter son père

Julien Sorel, le héros du Rouge et le Noir n’a pas toujours été le personnage calculateur, complexe et ambitieux que l’on connaît. Lorsque le lecteur fait la connaissance de Julien, il est d’abord présenté comme le fils de son père, et ce n’est alors pas peu dire que notre héros est mal parti dans la vie.

Papa comment tu m’as fait j’suis pas beau

Julien Sorel est le troisième fils du « père Sorel », un charpentier aux allures d’ogre et à la voix de stentor. Illustrant parfaitement les idées chères à Bourdieu, les deux frères aînés de Julien travaillent aux côtés de leur père. Ces « espèces de géants » portent les troncs de sapin, les cisaillent à coups de hache, avant d’assembler les morceaux en charpentes. Un travail de bûcheron, un travail de titan.

Julien, lui, avec « sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés » ne risque pas de devenir charpentier. Il n’a rien en commun avec son père, et ne cesse d’ailleurs de se chercher des figures paternelles de substitution. Il est donc préposé à la scie, mais ceci ne semble pas déranger le père Sorel. En revanche, ce qui irrite ce dernier, c’est que son fils passe son temps dans les livres, de surcroît lorsqu’il est censé surveiller le travail de la scie. C’est bien simple, la vue de son fils en train de lire le rend fou. Pourquoi ? Car lui-même ne sait pas lire !

Julien, le baron perché ?

Le premier portrait de Julien brossé par Stendhal nous le montre en haut d’un arbre, en pleine lecture du Mémorial de Sainte-Hélène quand ses frères et son père œuvrent en bas, dans l’usine. Notre Julien perché symbolise alors l’élévation sociale et intellectuelle à laquelle lui seul aura accès, et la lecture apparaît comme un véritable cocon au sein duquel notre jeune homme s’enferme, loin du monde viril et violent qui est celui de sa famille. Mais ce moment de répit est vite interrompu, puisque son père, homme violent et rustre, le fait chuter de son arbre avant de le rattraper in extremis ; mais fait tomber Le Mémorial de Sainte-Hélène dans le ruisseau. Ces deux chutes simultanées ont une fonction symbolique : celle du héros annonce, dès le début du roman, la fin tragique de Julien Sorel, et celle du Mémorial de Sainte-Hélène rappelle la chute de Napoléon, auquel Julien s’identifie.

Une situation presqu’actuelle

Comment faire quand un enfant ne veut pas suivre ce que ses parents considèrent comme la voie royale ? Comment faire lorsque des parents ne veulent pas laisser voir s’épanouir les prédispositions évidentes de leur enfant ? Enfin, ne pas reprendre l’entreprise familiale, est-ce nécessairement trahir les siens ?

Ce sont à ces questions somme toutes très contemporaines que le cas de Julien Sorel tente de répondre. Alors, avant d’aller au conflit familial, n’hésitez pas à relire Le Rouge et le Noir,
et notamment le chapitre IV du Livre I !

Vous souhaitez relire des extraits du Rouge et le Noir ? Téléchargez notre application Un texte Un jour !

Vous souhaitez en savoir plus sur les grandes œuvres de la littérature ? Découvrez La première fois que Bérénice vit Aurélien, elle le trouva franchement con, de Sarah Sauquet aux éditions Eyrolles

Illustration : Guillaume Gallienne dans Les garçons et Guillaume,  à table ! de Guillaume Gallienne (2013)

 

Pourquoi « Il pleure dans mon cœur… » est-il un poème universel ?

« Il pleure dans mon cœur / Comme il pleut sur la ville. » Tout le monde connaît les premiers vers de ce poème de Paul Verlaine que vous pouvez retrouver au sein de notre application Un texte Un jour .

Ce poème est un des poèmes les plus célèbres de Verlaine, et probablement un des poèmes les plus connus de la littérature française. Pourquoi ?

Une image instantanée : la pluie et les pleurs 

Les deux premiers vers du poème (« Il pleure dans mon cœur / Comme il pleut sur la ville. ») jouent sur  la conjugaison des verbes « pleurer » et « pleuvoir ». L’association phonique de « pleure » et « pleut » crée une image, une sorte de brouillard : est-ce qu’il ne pleurerait pas sur la ville et est-ce qu’il ne pleuvrait pas dans le cœur ?

Instantanément on associe l’image de la pluie sur une fenêtre à celle des larmes qui coulent sur une joue ; association que l’on ne cesse de retrouver en photographie ou au cinéma.

Un poème tout en sonorités 

Le poème véhicule une atmosphère générale de chagrin et de langueur à travers les nombreuses répétitions sonores. On trouve ainsi des rimes en « œur » , des rimes en « i » ; des assonances et allitérations. Le poème est en lui-même une véritable musique ! Cet aspect musical est d’autant plus important que le locuteur évoque le « bruit doux de la pluie » : c’est bien simple, le poème nous laisse entendre « le bruit de la pluie / Par terre et sur les toits !« 

Une évocation universelle et originale de la mélancolie 

Ce poème est un poème lyrique, qui évoque les sentiments malheureux et la langueur du poète. C’est un poème universel : aucun nom propre n’est mentionné, il n’est question ni de femme ni d’homme : le poème est universel, n’importe qui peut s’identifier au locuteur du poème.

Comme l’explique le locuteur, il n’est question ni de deuil, ni de rupture, et le locuteur lui-même semble ignorer la cause de ce chagrin qui relève d’ailleurs davantage du vague à l’âme et de la mélancolie. Le locuteur choisit de s’arrêter sur l’évocation de sensations en faisant appel à l’ouïe, ainsi que sur la tentative d’analyse de cette mélancolie.

Cette mélancolie sans raison apparente est à la fois extrêmement moderne, et intemporelle.

Une structure parfaite

Le poème est composé de quatre quatrains, c’est-à-dire de quatre strophes de quatre vers chacune. Les vers sont des hexasyllabes, des vers de six pieds. Il s’agit donc d’un poème relativement court et facile à mémoriser !

Vous souhaitez relire « Il pleure dans mon cœur… » de Verlaine ? Téléchargez notre application Un texte Un jour !

Illustration : Clint Eastwood dans Sur la route de Madison (1995)