Gaspard ne répond plus : le grand plongeon dans la fiction d’Anne-Marie Revol

« C’est un plaisir absolument immense de passer à la fiction. Dans un roman, tu donnes tout, avec une liberté totale ! Tu peux inventer ce qui te chante, plus encore qu’au cinéma. Tu as des moyens gigantesques, et tu éponges le monde qui t’entoure. »

Le grand public l’a découverte en 2010 avec la parution du bouleversant Nos étoiles ont filé qui avait d’ailleurs reçu le Grand Prix des Lectrices de ELLE dans la catégorie documents. La journaliste Anne-Marie Revol revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec un premier roman, publié chez Jean-Claude Lattès, Gaspard ne répond plus, dans lequel un jeu de téléréalité se double d’une quête identitaire. Véritable hommage à l’Asie, ce concentré d’humanité est le livre à emporter cet été dans vos bagages ! Anne-Marie Revol nous raconte ses classiques.

Anne-Marie, quelle lectrice es-tu, et notamment quelle lectrice de classiques as-tu été ?

Je ne lis plus beaucoup de classiques aujourd’hui. Néanmoins, j’en ai  beaucoup lu adolescente. J’adore les feuilletons d’Alexandre Dumas, et régulièrement je les reprends. C’est Georges Suffert, un grand nom du journalisme qui m’avait prise sous son aile au Figaro lorsque j’y travaillais, qui m’a initiée à cet auteur souvent sous-estimé. J’aime aussi beaucoup Maupassant, Balzac et je crois avoir lu presque tout Zola. Pourtant, qu’est-ce que c’était triste ! Flaubert m’a toujours emmerdée à l’exception de Bouvard et Pécuchet découvert à Tokyo dans la bibliothèque d’une francophile. En même temps je n’avais plus rien à lire. Ceci explique donc peut-être cela !

Mon mari m’a fait découvrir Céline et Albert Camus que je me suis enfilé d’une traite (ou presque !) par amour ! Le biographe Yves Courrière lui m’a ouvert des perspectives avec Joseph Kessel. Quel incroyable conteur il faisait ! Je suis, je crois, toujours sensible à la même veine, au même souffle, celui l’aventure et du voyage. J’aime les histoires et l’Histoire, j’aime les rebondissements, les épopées et les personnages qui se développent.

De Troyat, je garde un souvenir émerveillé des Semailles et les Moissons ou d’Étrangers sur ses Terres ainsi que de ses biographies, comme celles consacrées à Marie-Antoinette ou Anton Tchékov. En parlant de biographie, je chéris aussi celles de Stefan Zweig et le destin de Marie Stuart m’a broyé le cœur sous sa plume…

Ce sont moins des classiques, mais j’ai adoré m’abîmer l’été dans des sagas romanesques telles que Jalna de Mazo de la Roche, Les Gens de Mogador d’Elisabeth Barbier ou Les Boussardel de Philippe Hériat. Très liés à ma jeunesse également Les Rois Maudits et Les Grandes familles de Maurice Druon.

Tu as découvert ces sagas grâce aux adaptations télévisuelles ?

Non, pas du tout. J’avais adolescente une grande soif de lire et ma mère qui était une grande lectrice me nourrissait de ces séries qui répondaient parfaitement à mon appétence. Sais-tu quelle était la chose la plus géniale avec ces sagas ? Une fois le tome 1  refermé t’attendaient les tomes 2, 3, 4, 5, 6 etc… C’était des mines sans fond qui me duraient tout l’été !

Et aujourd’hui, que lis-tu ?

Aujourd’hui, je fréquente essentiellement des auteurs contemporains et je suis, de manière générale, très roman ! En ce moment, je lis Dieu n’habite pas la Havane de Yasmina Khadra qui doit sortir fin août.

J’aime aussi Delphine de Vigan, Fred Vargas, Grégoire Delacourt, Houellebecq, Anna Gavalda, Maylis de Kerangal ou encore Dương Thu Hương, Tracy Chevalier, Douglas Kennedy, Vikas Swarup le père du Fabuleux destin d’un Indien malchanceux qui devint millionnaire. Je suis aussi une grande fan de Jean-Christophe Rufin. Je crois avoir tous ses ouvrages à la maison (mention spéciale au Grand Coeur qui m’a bouleversée). J’apprécie également énormément Marc Dugain (La chambre des officiers), Emmanuel Carrère (La classe de Neige), Eric-Emmanuel (L’Evangile selon Pilate, La Part de l’autre sur Hitler et son double), Erik Orsenna (Longtemps : une pure merveille !), David Foenkinos (Charlotte à pleurer…). Dès qu’ils sortent un livre, je lis une ou deux critiques dans la presse et généralement j’investis dans la foulée ! J’adore aussi Jean-Louis Fournier, avec qui je partage un même chagrin.

Voilà donc pour mes romanciers  contemporains, mais… je dévore aussi des biographies et des essais signés Franz Olivier Giesbert, Ariane Chemin ou Catherine Nay !

Ton héros s’appelle Gaspard de Ronsard. Faut-il y voir un hommage au poète ?

A moitié… J’ai d’abord associé ce prénom à ce nom parce qu’ils sonnaient bien ensemble ! Et puis, je gardais un souvenir impérissable de Pierre de Ronsard découvert au lycée grâce à une professeure de français enflammée. Elle nous a tant parlé de lui qu’a la fin j’aimais autant l’homme que le poète : éternel amoureux, éternel malheureux…

Je trouvais que « Gaspard de Ronsard » était un nom qui s’imposait, sonnait bien, un nom de scène parfait pour un héros candidat de jeu de téléréalité. Je parle de nom de scène car dans un programme de téléréalité, tout est écrit, comme dans une pièce de théâtre. Je trouvais aussi rigolo de dire que Gaspard était le dernier descendant de Pierre de Ronsard: cela permettait de créer tout un storytelling autour du personnage. Et la télé adore story-teller !

Est-ce un nom ironique ?

Non, pas du tout ! Total respect pour Pierre et ses aïeux !

Comment as-tu construit ton roman ?

Comme La pièce montée de Blandine le Callet ou Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson, mon livre a une structure particulière, à laquelle je tenais. Il est hyper construit, architecturé. Les récits s’enchâssent les uns dans les autres pour finir par se recouper et ne faire qu’un. Chaque histoire prise indépendamment est crédible (vérifiée, recoupée, renseignée, comme pour un article) mais toutes cumulées, elles relèvent du conte de fée,  « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » compris ! Et c’est totalement assumé.

Pour écrire l’histoire de Gaspard, t’es-tu plongée dans Connaissances de l’Est de Claudel ou certains récits de voyage sur l’Asie ?

A ma grande honte : non… Et je n’ai pas relu Pierre Loti non plus ! J’ai même fait pire : j’ai choisi de situer mon roman au Vietnam sans y être jamais allée. Parce que j’aime l’Extrême-Orient tout simplement et que je recherchais un endroit dans cette partie du monde où il existait encore des villages isolés, sans téléphone, ni électricité ou connexion internet. Il y en a peu mais il y en reste au Vietnam notamment et le bourg où Gaspard est retenu m’a été inspiré par Frédéric Lopez qui y a tourné un Rendez-vous en terre inconnue avec Frédéric Michalak.

Quand je pense à Jules Verne qui a rédigé Le tour du monde en 80 jours sans quitter La Rochelle, je me dis que son travail est vertigineux ! Aujourd’hui, grâce à Internet et notamment aux blogs, on voyage sans quitter son bureau ! Les gens racontent tout : le nombre de nids de poule entre deux arrêts de bus, la couleur de leur œuf poché baignant dans un bouillon gras, la texture poisseuse de la moustiquaire de leur lit ! J’étais donc bien documentée, et personnellement déjà très nourrie par mes voyages en Asie et notamment en Birmanie. Un pays qui partage avec le Vietnam des lumières, des bruits, des odeurs, des paysages…

Donc, pour finir, on peut dire que le passage à la fiction est heureux ?

Tout à fait ! Inventer est un plaisir  magique. Un plaisir qui m’était interdit lorsque j’étais reporter (un journaliste se doit de rapporter la vérité sans jamais la distordre). Un plaisir inenvisageable lorsque j’ai écrit Nos étoiles ont filé.

Dans un roman, ta liberté est  totale ! Tu peux tout inventer, tout imaginer plus encore qu’au cinéma. Tu as des moyens gigantesques, tu peux t’inspirer des gens qui t’entourent, des gens que tu croises. Tu les éponges, les vampirisent par petites touches ! Dans mon livre, il y a plein de miettes d’hommes et de femmes qui me sont proches, que j’ai rencontrés en reportage, que j’ai « espionnées » dans le métro, au café ! Je rends hommage à leur histoire, à leurs tocs, à leurs goûts, à leurs qualités… Du coup, j’ai plein de retours de lecteur (connus ou inconnus…) qui me disent se retrouver dans Gaspard ne répond plus. Ils font leur mon récit et cela me touche profondément…

Anne-Marie Revol, Gaspard ne répond plus, Jean-Claude Lattès, 448 pages, 21,50 €.

Vous souhaitez redécouvrir Pierre de Ronsard ? N’hésitez pas à télécharger notre application Un Poème Un Jour !

Un jour dans le monde d’Eric Valmir

« Je pense que la littérature raconte beaucoup de choses d’un pays, plus que le journalisme d’ailleurs. »

Certaines personnes semblent avoir connu 1001 vies ! Grand reporter, romancier, le journaliste Eric Valmir fait les beaux jours de l’actualité internationale sur France Inter et dirige aujourd’hui le service Reportage de la chaine. Féru de culture et passionné d’Italie où il a vécu plusieurs années durant – Eric Valmir fut le correspondant permanent de Radio France à Rome de 2006 à 2011 , le journaliste nous raconte ses classiques.

Quel lecteur êtes-vous ou quel lecteur avez-vous été ?

C’est malheureusement mon grand problème, je n’arrive plus à trouver le temps de lire. Je lis beaucoup pour mon travail – beaucoup d’essais sur l’actualité ou la géopolitique – et cette lecture me prive de temps pour lire des romans, ce que j’adore faire. Cela fait donc bien deux ans que je n’ai pas de temps pour une lecture spontanée, de plaisir, propice à une flânerie en librairie… Vie familiale oblige, je suis devenu très calé en littérature jeunesse ! (rires) Je suis ce qu’on appelle « une antiquité du XXème siècle », j’aime le papier et je ne lis que sur papier. J’ai énormément de mal à lire sur numérique. Pour moi, la littérature, l’activité de lecture, qui est un temps de pause, doit se faire sur papier, en se plongeant dans un livre. Le plaisir n’est pas le même.

Et enfant, vous étiez un grand lecteur ?

Je lisais énormément, et je pense avoir toujours lu. J’ai été un gamin assez solitaire – je parle de la petite enfance – et je n’aimais rien tant que rester avec les livres que je découvrais. J’ai découvert la bibliothèque rose, puis la bibliothèque verte, etc. Cela me fait d’ailleurs penser à une réflexion que m’avait faite Erri de Luca lorsque je l’avais rencontré : « lorsque j’étais petit, ma chambre était tapissée de murs de livres, et cette tapisserie était une protection contre le monde extérieur. » Eh bien j’aime beaucoup cette idée.

Y-a-t-il des lectures qui vous ont particulièrement marqué ?

Je suis persuadé qu’on a tous un livre référent qui surgit dans l’adolescence, ou dans la grande adolescence, le tout début de l’âge adulte. Pour moi, ce fut Les envoûtés de Gombrowicz, que je mettrais peut-être à égalité avec 1984 d’Orwell. 1984, à travers ces idées de bousculer l’ordre établi, a parlé à l’adolescent révolté que j’étais, et que nous sommes tous à cet âge-là. Je pense en fait que Les envoûtés c’est venu plus tard. En réalité, je me passionnais pour Dostoïevski, et en fouillant du côté de la littérature de l’est, j’ai découvert Gombrowicz. De par la construction narrative, de par ce premier final, c’est un livre qui m’a toujours envoûté.

Vos parents lisaient-ils ?

Mon père déteste lire, c’est vraiment le « matheux-ingénieur ». Ma mère est plus littéraire, mais ne lisait pas tant que cela, en tout cas pas de classiques. Je n’ai donc pas baigné dans un univers de livres, de littérature, et j’ignore d’où vient mon amour de la lecture. J’étais vraiment le seul de ma famille à lire, et c’est assez curieux, on ignore pourquoi cela surgit, comme ça.

Vous avez vécu en Italie. Avez-vous, à cette époque, relu Stendhal par exemple, et quelle est votre perception de ce pays ?

J’avais effectivement l’ambition de relire Stendhal une fois là-bas. Je m’étais reprocuré les Promenades dans Rome et je ne l’ai finalement jamais ouvert. En revanche, j’ai lu énormément d’auteurs italiens et avais à cœur de découvrir toute la littérature italienne, des classiques aux contemporains. C’était très important pour moi, pour mon travail de journaliste, d’être imprégné de ça.

La culture italienne ne se définit pas, ne se capture pas. La littérature italienne, comme toutes les littératures, est plurielle. On ne peut pas comparer Niccolò Ammaniti et Erri de Luca, pour prendre deux auteurs contemporains. C’est une littérature qui a été très forte au lendemain de la guerre, car la littérature s’est organisée en tant que réponse au fascisme. Tout comme la littérature en Espagne a répondu au franquisme. C’est vraiment cet aspect de résistance qui m’a le plus marqué dans la littérature italienne. Le conformiste de Moravia raconte tout, dit tout de l’Italie en faisant de la petite histoire dans la grande Histoire. Ce roman explique mieux qu’aucun autre comment les Italiens, et l’Italie, se sont construits. Il y a aussi La Storia d’Elsa Morante qui raconte bien plus qu’un livre d’histoire et une encyclopédie détaillée réunis.

Aujourd’hui, les Français s’intéressent plus que les Italiens eux-mêmes à leur littérature et à leur cinéma. L’Italie d’aujourd’hui est tentaculaire, difficile à comprendre, pleine d’écrans de fumée. Je pense que la littérature raconte beaucoup de choses d’un pays, bien plus que le journalisme d’ailleurs. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai écrit Magari, car je trouvais que dans mon travail de journaliste, je n’utilisais que 10% de mes connaissances de la société italienne, alors que dans l’écriture de fiction, je pouvais mettre les 90% restants. J’ai éliminé une sorte de frustration en écrivant ce roman.

Vous semblez en tout cas penser que l’art supplante le reportage dans la connaissance d’une culture, d’un pays…

Je ne suis pas loin de le penser. J’aimerais d’ailleurs, et je l’ai un peu fait à France Inter, faire une émission consacrée à l’actualité internationale à travers sa culture. La littérature, le théâtre, le cinéma, le street art, les formes culturelles émergentes racontent plus facilement une société qu’un reportage. Passer par ces terrains-là plutôt que par une batterie d’experts et de spécialistes serait vraiment efficace, tout comme il faudrait que les médias français invitent davantage d’auteurs étrangers. Mais nous ne sommes pas encore prêts à ça. Les auteurs étrangers qui viennent en France en ce moment ont beaucoup de mal à passer dans les médias, car on expose avant tout des auteurs francophones. La parole étrangère, paraît-il, dérange l’auditeur et le spectateur. Cela reste à prouver.

Illustration : Eric Valmir © Christophe Abramowitz