La littérature classique, ou l’atelier des miracles de Valérie Tong Cuong

« Mon amour de la lecture est né avec les classiques qui m’ont entraînée très jeune dans d’immenses émotions. »

Si certains auteurs peuvent parfois vous intimider, d’autres déclenchent chez vous une irréductible sympathie, la fréquentation de leurs écrits et de leur univers vous donnant le sentiment de les avoir toujours connus. Valérie Tong Cuong, que j’avais découverte avec L’Atelier des miracles et suivie avec Pardonnable, impardonnable, appartient résolument à cette seconde catégorie, et je suis donc ravie qu’elle ait répondu à mes questions. On y découvre une lectrice curieuse des livres et des autres, à l’image de l’œuvre qu’elle dessine et qui devrait, peut-être, continuer à emprunter les voies du théâtre…

Valérie, quelle lectrice êtes-vous, et notamment quelle lectrice de classiques êtes-vous ?

J’ai été une lectrice compulsive dès l’enfance. Mais depuis une dizaine d’années, je lis beaucoup moins. Au fil des années ma famille s’est agrandie et mes activités d’auteur se sont multipliées et étendues, il me reste donc peu de temps libre. Et entre les ouvrages qui m’arrivent, soit parce que j’appartiens à un jury, soit parce que je participe à un débat ou une lecture croisée avec d’autres auteurs, soit parce qu’il s’agit de livres publiés par des auteurs amis ou encore de livres nécessaires à ma documentation dans le cadre de mon propre travail, il me reste hélas peu de place pour des lectures sans autre objet que le désir et le plaisir.

Cependant, les lectures classiques sont un véritable refuge. Car en période d’écriture, je me refuse, sauf exception, à lire du roman contemporain, par crainte d’une certaine porosité. Mon amour de la lecture est né avec les classiques qui m’ont entraînée très jeune dans d’immenses émotions. Aussi, je m’offre des parenthèses délicieuses en compagnie de ces auteurs. J’adore découvrir des œuvres dont j’ignorais même parfois l’existence !  Dernier exemple en date : Le livre des tables de Victor Hugo, un recueil (publié pour la première fois en 2014) des séances de spiritisme auquel l’écrivain se livrait lors de son exil à Jersey.

Etes-vous issue d’une famille de lecteurs ? Comment les livres sont-ils arrivés à vous ?

C’est ma grand-mère maternelle, issue d’un milieu ouvrier, pauvre, qui m’a avant tout transmis cette passion. Elle a du quitter l’école encore enfant, pour travailler durement. Mais une institutrice avait eu le temps de lui inoculer le virus. Elle qui ne possédait rien, avait réussi à épargner de quoi acheter une collection bon marché des grands classiques. Elle les avait soigneusement couverts et rangés sur des étagères et j’étais priée de montrer des mains bien propres avant de les emprunter. Bien sûr ma mère avait également été  « contaminée » ! Je garde un souvenir ému de ces rayonnages et du plaisir que j’avais à choisir un livre avant de me mettre au lit pour le lire.

Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

On peut régulièrement trouver sur mon chevet des classiques du XXème siècle, Dostoïevski, Camus, Faulkner, Gary, Genêt et d’autres encore.

La fréquentation de ces auteurs, votre bagage culturel ont-ils pu vous paralyser, ou au contraire vous stimuler lorsque vous vous êtes lancée dans l’écriture ?

Lorsque j’ai commencé à écrire, je n’imaginais pas être publiée, je ne l’espérais pas, je n’y pensais même pas. J’écrivais par nécessité, je n’établissais donc aucune forme de comparaison. Mais lorsqu’il m’a été proposé de publier, là, la paralysie est arrivée. Je ne me sentais pas à ma place dans une librairie ou une bibliothèque près de ces auteurs que j’admirais tant (et que j’avais étudiés pour beaucoup, étant une ancienne Khâgneuse). Cela m’a handicapée longtemps. Je refusais absolument le titre d’écrivain. Puis j’ai compris que toute comparaison est absurde. Chacun suit son chemin, chaque écriture est unique et mérite d’être publiée dès lors qu’elle rencontre un public.

De quels personnages de la littérature classique Mariette, Millie et Mike, les héros de L’Atelier des Miracles, pourraient être la réincarnation ?

Au risque de vous décevoir, ils sont uniques à mes yeux et je ne peux les voir comme une réincarnation.. là encore, la comparaison me semble impossible.

Vous avez écrit une pièce de théâtre, Frères, jouée lors du festival du Paris des Femmes, et qui est une véritable réussite, un bijou d’humour noir. Cette expérience vous a-t-elle donné envie de poursuivre l’aventure de l’écriture théâtrale ?

Merci pour ce beau compliment ! Cette aventure se poursuit déjà, car Frères a remporté le Prix Durance/Paris des Femmes qui offre une bourse d’écriture avec pour objet d’allonger la pièce. Je travaille donc à une « version longue » qui devrait être présentée après l’été. Cette expérience a été très enrichissante et je me suis beaucoup amusée dans ce format particulier qu’est le théâtre. Même si mon prochain roman demeure une priorité absolue, je n’exclus donc pas de poursuivre l’expérience.

Illustration : Valérie Tong Cuong ©Francesca Mantovani

 

Quiconque exerce ce métier mérite de lire des classiques : Christophe Donner

« Je lis en ce moment Le Paysan parvenu, de Marivaux. C’est comme une langue étrangère qu’on comprendrait par miracle. »

Il est toujours émouvant d’avoir le privilège d’interviewer un auteur dont les lectures vous ont bercée étant enfant ! Ayant grandi avec L’Ecole des Loisirs, j’ai découvert Christophe Donner avec Le Secret d’État aux yeux verts, ou Les Lettres de mon petit frère ; et certains de ses personnages sont, pour moi, restés inoubliables. A l’époque, Christophe Donner signait ses ouvrages pour enfants d’un « Chris Donner » et quel ne fut pas mon émoi lorsque je réalisai, au sortir de l’adolescence, que « Christophe Donner » écrivait aussi pour les adultes ! Passionnée de cinéma, j’avais dévoré son dernier opus, Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, publié en 2014 chez Grasset. Vous comprendrez que je ne pouvais que l’interviewer !

Christophe, quel lecteur êtes-vous, et notamment quel lecteur de classiques êtes-vous ?

Aujourd’hui, mon classique préféré, c’est Proust. Mais je lis en ce moment Le Paysan parvenu, de Marivaux. C’est comme une langue étrangère qu’on comprendrait par miracle. Les classiques ont ceci d’encourageant que c’est souvent par l’humour qu’ils résistent au temps. Ils ont le même souci de lutter contre l’ennui. Rousseau, par exemple, est d’un rasoir achevé, à mon goût. Plaintif et moralisateur. Voltaire est vif, malin, incorrect. Il y a des phénomènes sans doute éternels d’une écriture et d’un siècle à l’autre, l’insolence, la drôlerie, l’impertinence de Casanova, et jusqu’à Maurice Sachs, Céline aussi est drôle, et Proust sans doute le plus fin. Critique, bien sûr. De tous les arts, l’écriture est le plus ou peut-être même le seul critique. Les peintres ne sont sarcastiques qu’en employant des mots (Magritte : « Ceci n’est pas une pipe »). La prudence (paraphrase et élégance) qui préside aux textes anciens, empêche souvent la critique de devenir partisane, ou protestante, ou plaintive, écueils sur lesquels se fracassent beaucoup de contemporains libérés de la censure.

Etes-vous issu d’une famille de lecteurs ? Comment les livres sont-ils arrivés à vous ?

Je suis d’une famille de lettrés : grands-parents paternels instituteurs, grand-père maternel normalien, philosophe, compagnon de Cavaillès. Mère psychanalyste, père fainéant, imposteur, faux savant, achetant la collection complète des œuvres de Lénine pour ne pas l’ouvrir, etc. reniant la culture bourgeoise pour ne la remplacer par rien. Lourd handicap. Pas toujours surmonté.

Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

Donc Proust et Bukowski.

La fréquentation de ces auteurs, votre bagage culturel ont-ils pu vous paralyser, ou au contraire vous stimuler lorsque vous vous êtes lancé dans la fiction ?

J’ai commencé par vouloir écrire comme Céline, je dirais que ça m’a aidé. Mon caractère fait que rien ne me paralyse, tout est défi, c’est à la relecture que je souffre, parfois enthousiaste et surpris par mon génie, parfois épouvanté, accablé par ma nullité, alors le travail commence…

A titre personnel, j’ai découvert votre œuvre étant enfant à travers vos livres publiés à L’Ecole des Loisirs. Que pensez-vous de ces propos de Christophe Honoré : « Offrir un livre à un enfant, c’est confier cet enfant à un adulte que l’on ne connaît pas » ?

Je préciserais qu’on ne connaît pas non plus l’enfant que l’on confie à cet adulte. Je ne crois pas qu’il y ait des risques de détournements de mineurs à travers un livre ou un écrivain. Les enfants, et les adultes aussi, prennent dans un livre ce qu’ils ont déjà… et ça reste des livres, pas des conseils, pas des lois, ni des guides. Donc pas des dangers, comme le suggère un peu la phrase de Christophe Honoré.

Illustration : Christophe Donner © Manon Blanc