De Premier de cordée aux cimes du pouvoir, les classiques d’Hubert Védrine

« Aucun grand auteur n’a encore exprimé à mon sens ce qu’est devenu le pouvoir paralysé et soupçonné dans les sociétés modernes démocratiques individualistes, narcissiques, connectées, pressées, en voie d’acculturation. »

 

Ancien diplomate, ministre des affaires étrangères sous le gouvernement Jospin, aujourd’hui consultant, Hubert Védrine semble avoir connu mille et une vies, à l’image de son éclectisme littéraire. Cet inconditionnel d’Albert Camus se présente comme un amoureux du mot juste, d’une pensée précise, peut-être nostalgique  d’une certaine vision de la langue française. S’il nous invite si souvent dans les médias à décrypter l’actualité et à rebattre les cartes de la géopolitique, c’est peut-être aussi grâce à son amour de la littérature, qu’il perçoit comme un support de réflexion, mais aussi d’apaisement  et de hauteur dans la compréhension d’un monde dont Stefan Zweig n’aurait pas renié la complexité. Interview.

 M. Vedrine, quel lecteur êtes-vous, et notamment quel lecteur de classiques êtes-vous, ou avez-vous été ?

Un lecteur de classiques tardif… j’ai musardé en chemin, avant de prendre goût aux classiques. J’ai d’abord dévoré beaucoup de livres d’aventures (Frison Roche), plus tard des policiers (Agatha Christie), Simenon, qui est un très grand écrivain, des romans d’anticipation, beaucoup de bandes dessinées, devenues des classiques (Hergé, Jacobs, Morris). Mon premier choc littéraire, ce fut Camus : sa mort en janvier 1960 m’a frappé. J’avais 13 ans. J’avais appris ensuite, à force d’écouter un disque de textes lus par Serge Reggiani ou Camus lui-même, des pages entières de « L’étranger » , de « Noces », de « L’été ». Puis j’ai lu « La chute », Je les connais encore ! Puis sont venus ensuite, à divers moments de ma vie, Balzac, Flaubert, Alexandre Dumas, Proust, Mauriac, Malraux, Stendhal et bien d’autres. Sartre, uniquement pour « Les Mots » et quelques préfaces. « Ruy Blas » : je connaissais par cœur la tirade « Bon appétit Messieurs », je l’avais jouée. Plus tard j’ai connu un éblouissement avec Yourcenar. Depuis j’ai toujours lu, je continue, et je relis. Mais certains classiques me sont restés étrangers. Molière, Corneille, magnifiques, Hugo (« Hugo, hélas ! ») je les connais bien sûr, mais ce n’est pas spontanément mon monde.

Êtes-vous issu d’une famille de lecteurs ? Comment avez-vous découvert les livres ?

Mes parents, ma famille maternelle, avec laquelle je passais les vacances d’été, lisaient beaucoup et constamment, mais pas tellement des « classiques ». Mon père dévorait des livres d’histoire contemporaine, de politique, de voyages,  sur la nature, des essais, des polars mais aussi Giono, ou Pagnol. Ma mère avait une passion pour les biographies, pour Julien Green, les sœurs Brontë et par exemple la série « Louisiane » de Maurice Denuzière. Nos maisons (à Bois Colombes, et la maison de famille en Creuse) débordaient de livres mais pas beaucoup de classiques. L’été il y avait une émulation pour lire entre cousins et cousines. J’ai découvert les livres naturellement, passant des bibliothèques roses et vertes, du « Club des cinq » à la collection Rouge et Or, puis à Jules Verne, au Mouron rouge et aux frères Tharaud. Donc assez traditionnel. Mais on lisait aussi des polars (Le Masque), des livres « au-dessus  de notre âge », OSS 117, Kessel. Notre oncle nous faisait découvrir tout ce qui était magique ou mystérieux, ou GE. Clancier (le pain noir), limousin comme nous. Pour moi, la « littérature » est venue après.

Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

A mon « chevet » j’ai en général une dizaine de livres : histoire, géopolitique, biographies, mémoires, essais divers, policiers historiques ou américains (Chase, Mac Bain, Van Gulik), politique (très peu) des BD aussi. Mais régulièrement je relis aussi ou découvre quelques passages de classiques. Dernièrement : « La guerre et la paix ». Souvent quelques pages de Proust, de Balzac. Régulièrement, un Simenon. Je viens de relire « L’étranger », un peu de Romain Gary.

Il y a quelques années, après le quai d’Orsay, j’ai dévoré Alexandre Dumas pendant des mois et j’ai relu tout Simenon. En fait je suis très éclectique. Je lis aussi beaucoup les classiques : les biographies de tous les grands écrivains, par exemple celle de Jean Lacouture (Malraux, Mauriac, Montaigne), celle de Tadié sur Proust, de Lothman ou de Todd sur Camus, ou sur Hemingway, etc… A chaque automne une fois que la rumeur des prix est retombée, je lis deux ou trois romans qu’on me signale. Des étrangers aussi : l’immense Amitav Ghosh par exemple. Et régulièrement mon ami Erik Orsenna.

Vous avez longtemps travaillé aux côtés de François Mitterrand et lui avez d’ailleurs consacré plusieurs ouvrages. Parliez-vous littérature ? Vous a-t-il influencé sur le plan littéraire ou esthétique ?

Il m’a influencé sur tous les plans, pendant plus de vingt ans ! Mais je n’avais pas toujours les mêmes goûts que lui. Mauriac, oui bien sûr. Mais j’aimais Malraux, lui non. Je ne raffolais pas de Lamartine. Mais c’est à cause de lui que j’ai lu Renan, relu Zola, de nombreuses biographies de rois. C’est lui qui m’a fait lire « Les mémoires de Casanova », le journal de Jules Renard (pour l’anecdote, Chirac plus tard m’a fait découvrir « Le loup bleu », l’ouvrage d’Inoué sur Gengis Khan). Et c’est encore pour m’imprégner du monde de Mitterrand que j’ai lu Paul Gadenne, Yachar Kemal, Gabriel Garcia Marquez, William Styron, Michel Tournier, que j’ai découvert Chardonne ou relu Giono. Mais curieusement pas Saint John Perse, ni vraiment Albert Cohen, sauf bien sûr « Belle du Seigneur ». Il m’a donné le goût de la visite des maisons d’écrivains, des lieux qui les ont inspirés.

Qu’a pu vous apporter la littérature dans l’exercice de vos fonctions ministérielles ?

Beaucoup ! Pendant, comme avant et après, jusqu’à maintenant : de l’air, de l’oxygène, de l’altitude, une distance propice à la réflexion et à la décision, le bonheur des mots, du mot juste. La puissance des choses souterraines que les écrivains, ces sourciers et sorciers, savent capter et énoncer. Avec mon directeur de cabinet au quai d’Orsay, Pierre Sellal, nous échangions constamment sur nos lectures, même en temps de crise. Avec une préférence pour l’écriture sèche, précise, rapide, genre Morand ou Hussard, plutôt que la pompe ou le romantisme lacrymal ! Cela nous aidait à résister à la fièvre, à garder notre sang froid. Un jour, lorsque j’étais ministre, Régis Debray, un ami, lui-même grand écrivain, m’a emmené déjeuner avec Julien Gracq, à Saint Florent Le Vieil. Moment mémorable. Notre « visite au grand écrivain ».

Vous avez été cinq ans ministre des affaires étrangères. A ce titre, avez-vous le sentiment que la littérature classique française est indissociable de l’identité culturelle française ? Quels auteurs incarnent au mieux, selon vous, la France à l’étranger ?

C’est évident, même si l’identité culturelle française est plus large encore que sa littérature (architecture, musique, peinture, chanson, cinéma). Les auteurs ? Les grands « classiques » du XVIIIe, XIXe, XXe. Mais la position sur l’échelle de l’engouement varie (Hugo en Chine, à cause de sa condamnation du sac du Palais d’été). D’autres diront Molière (« la langue de Molière »). « L’étranger » de Camus est devenu un livre iconique. Pendant un temps l’engouement pour les sciences sociales « déconstructrices » avait fait de l’ombre à la littérature française. Il me semble que cela s’achève. Voyez l’aura de Régis Debray. Ce serait heureux. A la base de tout cela il y a la langue, la langue française née des siècles, qui s’enrichit de mille apports mais qui est traitée avec désinvolture par les élites, et rapetissée et malmenée par les médias et les modes, sans parler du monde économique, caricatural.

L’ambition et l’exercice du pouvoir sont des thèmes importants en littérature, on pense à Balzac, Shakespeare ou Machiavel pour ne citer qu’eux. Quels auteurs se rapprocheraient le plus de votre conception du pouvoir ?

N’oublions pas non plus Thucydide (La guerre du Péloponnèse), Suétone (les douze César), Corneille etc…, « Le Souper » (Talleyrand / Fouché). Beaucoup d’auteurs ont exprimé la permanence intemporelle du pouvoir, de sa conquête, de son exercice, de l’Antiquité (sur les Césars) jusqu’à la fin du XXème siècle. Mais aucun grand auteur n’a encore exprimé à mon sens ce qu’est devenu le pouvoir paralysé et soupçonné dans les sociétés modernes démocratiques individualistes, narcissiques, connectées, pressées, où l’héritage culturel a du mal à être transmis. Ni la grande crise de la démocratie moderne, contestée par des électeurs en colère. Seuls des films, des polars, des séries anglaises ou américaines, en donnent un reflet, ou alors l’actualité (élections américaines) qui attend son grand romancier…

Pour en savoir plus : http://www.hubertvedrine.net/accueil/

 

20 signes que vous adorez Balzac

Comme Balzac, vous avez  une tendance aux investissements hasardeux et êtes le roi de la levée de fonds qui échoue. Votre banquier vous surnomme « Le Radeau de la Méduse ».

Vous savez que la statue de Balzac qu’a réalisée Rodin a été surnommée « Le Bonhomme de Neige ». Et que c’était une commande d’Emile Zola.

Vous classez les gens en deux catégories. Ceux qui savent que le chagrin est un cuir. Et les autres.

Lorsque vous vous promenez au cimetière du Père-Lachaise, vous vous attendez à voir surgir Eugène de Rastignac derrière chaque tombe et vous lancer un « Ah nous deux maintenant ! »

Secrètement, vous vous imaginez en Jean Desailly dans La Peau douce, de Truffaut, puisque l’acteur y campe un universitaire, spécialiste de Balzac.

Chaque arrivée dans un nouvel appartement, une nouvelle demeure, un nouvel espace, de la grange bucolique au loft d’artiste, vous replonge instantanément dans la description de la pension Vauquer.

Vous avez fait l’acquisition d’une robe de chambre et d’une cafetière afin d’être en communion nocturne avec Balzac.

La Touraine, la ville d’Angoulême ou la rue Raynouard à Paris vous apparaissent comme de véritables lieux de pélerinage.

Pour vous les femmes de trente ans s’appellent et s’appelleront toujours Julie.

A force de relire La Duchesse de Langeais, vous n’êtes pas loin de penser que la femme parfaite est une connasse.

Vous savez que les meilleurs scénaristes d’Hollywood n’ont rien inventé et doivent tout à Balzac et au retour des personnages.

Lorsqu’on vous parle de la fille aux yeux d’or, vous pensez plus à Paquita qu’à Marie Laforêt.

Vous seul savez combien l’entrée au couvent peut résulter d’une grande passion contrariée.

Vous êtes persuadé que personne n’a jamais fait mieux que Balzac en matière de description.

Secrètement, vous rêveriez d’appartenir à une société secrète comme les Treize.

C’est à Balzac que vous devez votre fréquentation intime de la cougar.

Vous n’osez pas avouer que Madame Hanska est la seule Polonaise que vous connaissez.

Lorsque vous regardez Cendrillon de Walt Disney, vous avez une pensée amusée pour Delphine de Nucingen et Anastasie de Restaud.

Chaque promenade dans Paris vous replonge dans l’univers balzacien. Lucien de Rubempré habite rue de l’Echelle, la pension Vauquer est située rue Tournefort. Une balade nocturne sur les quais et vous vous imaginez en Raphaël de Valentin.

Vous devez régulièrement rappeler à votre entourage que Balzac a écrit La Maison du chat-qui-pelote. Et non La Maison du chat-qui-ronronne.

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Vous souhaitez relire l’œuvre de Balzac de manière drôle et décalée ? Découvrez La première fois que Bérénice vit Aurélien, elle le trouva franchement con, de Sarah Sauquet aux éditions Eyrolles

 Illustration : Jean Desailly et Françoise Dorléac dans La Peau douce (François Truffaut, 1964)