Un jour dans le monde d’Eric Valmir

« Je pense que la littérature raconte beaucoup de choses d’un pays, plus que le journalisme d’ailleurs. »

Certaines personnes semblent avoir connu 1001 vies ! Grand reporter, romancier, le journaliste Eric Valmir fait les beaux jours de l’actualité internationale sur France Inter et dirige aujourd’hui le service Reportage de la chaine. Féru de culture et passionné d’Italie où il a vécu plusieurs années durant – Eric Valmir fut le correspondant permanent de Radio France à Rome de 2006 à 2011 , le journaliste nous raconte ses classiques.

Quel lecteur êtes-vous ou quel lecteur avez-vous été ?

C’est malheureusement mon grand problème, je n’arrive plus à trouver le temps de lire. Je lis beaucoup pour mon travail – beaucoup d’essais sur l’actualité ou la géopolitique – et cette lecture me prive de temps pour lire des romans, ce que j’adore faire. Cela fait donc bien deux ans que je n’ai pas de temps pour une lecture spontanée, de plaisir, propice à une flânerie en librairie… Vie familiale oblige, je suis devenu très calé en littérature jeunesse ! (rires) Je suis ce qu’on appelle « une antiquité du XXème siècle », j’aime le papier et je ne lis que sur papier. J’ai énormément de mal à lire sur numérique. Pour moi, la littérature, l’activité de lecture, qui est un temps de pause, doit se faire sur papier, en se plongeant dans un livre. Le plaisir n’est pas le même.

Et enfant, vous étiez un grand lecteur ?

Je lisais énormément, et je pense avoir toujours lu. J’ai été un gamin assez solitaire – je parle de la petite enfance – et je n’aimais rien tant que rester avec les livres que je découvrais. J’ai découvert la bibliothèque rose, puis la bibliothèque verte, etc. Cela me fait d’ailleurs penser à une réflexion que m’avait faite Erri de Luca lorsque je l’avais rencontré : « lorsque j’étais petit, ma chambre était tapissée de murs de livres, et cette tapisserie était une protection contre le monde extérieur. » Eh bien j’aime beaucoup cette idée.

Y-a-t-il des lectures qui vous ont particulièrement marqué ?

Je suis persuadé qu’on a tous un livre référent qui surgit dans l’adolescence, ou dans la grande adolescence, le tout début de l’âge adulte. Pour moi, ce fut Les envoûtés de Gombrowicz, que je mettrais peut-être à égalité avec 1984 d’Orwell. 1984, à travers ces idées de bousculer l’ordre établi, a parlé à l’adolescent révolté que j’étais, et que nous sommes tous à cet âge-là. Je pense en fait que Les envoûtés c’est venu plus tard. En réalité, je me passionnais pour Dostoïevski, et en fouillant du côté de la littérature de l’est, j’ai découvert Gombrowicz. De par la construction narrative, de par ce premier final, c’est un livre qui m’a toujours envoûté.

Vos parents lisaient-ils ?

Mon père déteste lire, c’est vraiment le « matheux-ingénieur ». Ma mère est plus littéraire, mais ne lisait pas tant que cela, en tout cas pas de classiques. Je n’ai donc pas baigné dans un univers de livres, de littérature, et j’ignore d’où vient mon amour de la lecture. J’étais vraiment le seul de ma famille à lire, et c’est assez curieux, on ignore pourquoi cela surgit, comme ça.

Vous avez vécu en Italie. Avez-vous, à cette époque, relu Stendhal par exemple, et quelle est votre perception de ce pays ?

J’avais effectivement l’ambition de relire Stendhal une fois là-bas. Je m’étais reprocuré les Promenades dans Rome et je ne l’ai finalement jamais ouvert. En revanche, j’ai lu énormément d’auteurs italiens et avais à cœur de découvrir toute la littérature italienne, des classiques aux contemporains. C’était très important pour moi, pour mon travail de journaliste, d’être imprégné de ça.

La culture italienne ne se définit pas, ne se capture pas. La littérature italienne, comme toutes les littératures, est plurielle. On ne peut pas comparer Niccolò Ammaniti et Erri de Luca, pour prendre deux auteurs contemporains. C’est une littérature qui a été très forte au lendemain de la guerre, car la littérature s’est organisée en tant que réponse au fascisme. Tout comme la littérature en Espagne a répondu au franquisme. C’est vraiment cet aspect de résistance qui m’a le plus marqué dans la littérature italienne. Le conformiste de Moravia raconte tout, dit tout de l’Italie en faisant de la petite histoire dans la grande Histoire. Ce roman explique mieux qu’aucun autre comment les Italiens, et l’Italie, se sont construits. Il y a aussi La Storia d’Elsa Morante qui raconte bien plus qu’un livre d’histoire et une encyclopédie détaillée réunis.

Aujourd’hui, les Français s’intéressent plus que les Italiens eux-mêmes à leur littérature et à leur cinéma. L’Italie d’aujourd’hui est tentaculaire, difficile à comprendre, pleine d’écrans de fumée. Je pense que la littérature raconte beaucoup de choses d’un pays, bien plus que le journalisme d’ailleurs. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai écrit Magari, car je trouvais que dans mon travail de journaliste, je n’utilisais que 10% de mes connaissances de la société italienne, alors que dans l’écriture de fiction, je pouvais mettre les 90% restants. J’ai éliminé une sorte de frustration en écrivant ce roman.

Vous semblez en tout cas penser que l’art supplante le reportage dans la connaissance d’une culture, d’un pays…

Je ne suis pas loin de le penser. J’aimerais d’ailleurs, et je l’ai un peu fait à France Inter, faire une émission consacrée à l’actualité internationale à travers sa culture. La littérature, le théâtre, le cinéma, le street art, les formes culturelles émergentes racontent plus facilement une société qu’un reportage. Passer par ces terrains-là plutôt que par une batterie d’experts et de spécialistes serait vraiment efficace, tout comme il faudrait que les médias français invitent davantage d’auteurs étrangers. Mais nous ne sommes pas encore prêts à ça. Les auteurs étrangers qui viennent en France en ce moment ont beaucoup de mal à passer dans les médias, car on expose avant tout des auteurs francophones. La parole étrangère, paraît-il, dérange l’auditeur et le spectateur. Cela reste à prouver.

Illustration : Eric Valmir © Christophe Abramowitz