Qui sont les rois et reines du shopping de la littérature classique ?

« La mode meurt jeune, c’est ce qui fait sa légèreté si grave. » Jean Cocteau

Si Cristina Cordula devait conseiller et accompagner nos héros de la littérature classique dans une quête de l’élégance et du bon goût, nul doute qu’elle aurait ses chouchous et ses cas désespérés ! Petit tour d’horizon de celles et ceux qui participeraient sans souci aux émissions télévisuelles du mannequin brésilien le plus célèbre du petit écran !

Madame Bovary : « Toute cette cacophonie va se transformer en une HAR-MO-NIE » (7/10)

Sans nul doute, Emma Bovary serait la championne sans exception des Reines du shopping. C’est lorsqu’elle rencontre Léon, un fade clerc de notaire avec lequel elle entame une liaison, qu’Emma Bovary se sent pousser des ailes et devient une enragée du shopping. Si l’ironie de Flaubert n’est pas sans nous rappeler qu’Emma en fait trop, l’on peut néanmoins penser qu’Emma est sur la bonne voie et qu’elle recevrait les encouragements de Cristina, voire même un 7/10.

« C’étaient des pantoufles en satin rose, bordées de cygne. Quand elle s’asseyait sur ses genoux, sa jambe, alors trop courte, pendait en l’air ; et la mignarde chaussure, qui n’avait pas de quartier, tenait seulement par les orteils à son pied nu. Il savourait pour la première fois l’inexprimable délicatesse des élégances féminines. Jamais il n’avait rencontré cette grâce de langage, cette réserve du vêtement, ces poses de colombe assoupie. Il admirait l’exaltation de son âme et les dentelles de sa jupe. »[1]

Renée Béraud du Châtel : « Sublaïme » (10/10)

Renée Béraud du Châtel est la très belle et très jeune épouse d’Aristide Saccard, un promoteur immobilier aussi riche qu’amoral. Renée n’est pas en reste elle non plus puisque La Curée relate notamment sa liaison avec son jeune beau-fils, Maxime. Toujours est-il que Renée est une véritable gravure de mode, comme en témoigne cet extrait. Assurément, Cristina serait fière d’elle !

« Sur une première jupe de tulle, garnie, derrière, d’un flot de volants, elle portait une tunique de satin vert tendre, bordée d’une haute dentelle d’Angleterre, relevée et attachée par de grosses touffes de violettes ; un seul volant garnissait le devant de la jupe, où des bouquets de violettes, reliés par des guirlandes de lierre, fixaient une légère draperie de mousseline. »[2]

Oriane de Guermantes : « Ma Chérie ! » (8/10)

Cristina Cordula serait-elle la réincarnation d’Oriane de Guermantes, l’héroïne d’A la recherche du temps perdu de Marcel Proust ? Nous ne sommes pas loin de le penser ! Mme de Guermantes et son mari passent leur temps à écumer les soirées mondaines et bals masqués, rivalisant à chaque fois d’élégance. Dans un extrait poignant du Côté de Guermantes, Charles Swann vient annoncer aux Guermantes qu’il est mourant. Mais les Guermantes sont alors en plein drame existentiel : Oriane porte une toilette rouge avec des souliers noirs ! Ce n’est pas possible ! Oriane doit remonter se changer, parce qu’avec une toilette rouge, on porte des souliers rouges ! Qu’en aurait pensé Cristina ?

« Elle allait entrer en voiture, quand, voyant ce pied, le duc s’écria d’une voix terrible: « Oriane, qu’est-ce que vous alliez faire, malheureuse. Vous avez gardé vos souliers noirs! Avec une toilette rouge ! Remontez vite mettre vos souliers rouges, ou bien, dit-il au valet de pied, dites tout de suite à la femme de chambre de Mme la duchesse de descendre des souliers rouges »[3].

Marguerite de Valois : « Magnifaïk »  (9/10)

La Reine Margot d’Alexandre Dumas, dont l’action se déroule au XVIème siècle, dans une France déchirée par les guerres de religion, mêle intrigues de cour, aventures galantes et faits historiques. Le roman débute par un mariage, celui de celle qu’on surnomme « Margot ». Afin de pacifier le pays, l’intrigante Catherine de Médicis a décidé de marier sa fille, Marguerite de Valois, catholique, à Henri de Navarre, un protestant. Marguerite est présentée comme la plus belle femme de la cour et elle attire tous les regards. Christina Cordula l’aurait sans aucun doute jugée « magnifaïk » !

« C’était en effet la beauté sans rivale de cette cour où Catherine de Médicis avait réuni, pour en faire ses sirènes, les plus belles femmes qu’elle avait pu trouver. Elle avait les cheveux noirs, le teint brillant, l’œil voluptueux et voilé de longs cils, la bouche vermeille et fine, le cou élégant, la taille riche et souple, et, perdu dans une mule de satin, un pied d’enfant. »[4]

Dorian Gray : « Tu vois Cannes ? Tu vois Hollywood ? C’est lui chérie ! » (10/10)

Dorian Gray, le héros du roman d’Oscar Wilde, est l’archétype absolu de l’élégance et de la beauté. C’est un véritable dandy, et sa beauté est telle que le peintre Basil Hallward l’immortalise en réalisant un portrait du jeune homme. Toujours élégant, il porte de nombreux bijoux et ce sont d’ailleurs ses bagues qui permettront d’authentifier son corps à la fin du roman. Cristina serait sans nul doute en pamoison devant une telle gravure de mode, comme le sont tous les personnages du roman.

« Oui, il était sans nul doute merveilleusement beau, avec ses lèvres vermeille finement ciselées, ses yeux bleus plein de franchise, les boules d’or de ses cheveux. On lisait sur son visage quelque chose qui inspirait une confiance immédiate. Il respirait toute la candeur de la jeunesse, mais aussi toute la pureté de la jeunesse. »[5]

Georges Duroy : « Mais comment tu vas imaginer que moi je vais mettre un être humain dans la vulgarité ? C’est l’horreur ! » (6/10)

Cristina le sait, la frontière entre élégance et vulgarité est parfois bien mince !

Si Georges Duroy est « grand, bien fait, blond, d’un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d’une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne »[6] il est aussi en chasse perpétuelle, cherche à être continuellement remarquer et est toujours à deux doigts de la vulgarité : « Il avait l’air de toujours défier quelqu’un, les passants, les maisons, la ville entière, par chic de beau soldat tombé dans le civil. »[7]

Un peu de mesure, que diable ! Georges Duroy aurait bien besoin des conseils de Cristina pour transformer un homme beau et un brin vulgaire en un modèle de raffinement et d’élégance. Mais ce veinard de Georges a sa Cristina Cordula à lui : elle s’appelle Madame de Marelle !

Sganarelle : «Non, mais là, ça va pas du tout, il faut tout changer ! C’est l’horreur ! » (3/10)

Sganarelle, lui, ferait bien de suivre les conseils de Cristina ! Le héros de la pièce de Molière L’Ecole des maris refuse de suivre la mode de son temps. Son frère Ariste le supplie de changer de style vestimentaire mais Sganarelle, lui, refuse de porter « ces souliers mignons, de rubans revêtus / Qui vous font ressembler à des pigeons pattus », mais aussi « ces petits chapeaux », « De ces petits pourpoints sous les bras se perdant / Et de ces grands collets jusqu’au nombril pendant ? / De ces manches qu’à table on voit tâter les sauces, Et de ces cotillons appelés hauts-de-chausses ? »[8]

Sur le fond, Sganarelle n’a peut-être pas tort mais le résultat est là : à force de ne pas suivre la mode, notre héros se retrouve stigmatisé, et ridiculisé.

Comme le diraient probablement, et Molière, et Cristina

«  Mais je tiens qu’il est mal, sur quoi que l’on se fonde, / De fuir obstinément ce que suit tout le monde, / Et qu’il vaut mieux souffrir d’être au nombre des fous, / Que du sage parti se voir seul contre tous. »[9]

En résumé : selon les moralistes du XVIIème siècle, être un roi ou une reine du shopping n’est en rien une obligation, mais suivre la mode en est une !

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Vous souhaitez en savoir plus sur Emma Bovary, Georges Duroy, et Renée Béraud du Châtel ? Découvrez La première fois que Bérénice vit Aurélien, elle le trouva franchement con, de Sarah Sauquet aux éditions Eyrolles

Illustration : photographie de Cristina Cordula

 

[1] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Troisième partie, Chapitre V, 1857

[2] Emile Zola, La Curée, 1871

[3] Marcel Proust, Le côté de Guermantes in A la recherche du temps perdu, 1921

[4] Alexandre Dumas, La Reine Margot, « Le latin de M. de Guise », 1845

[5] Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, 1895

[6] Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885

[7] Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885

[8] Molière, L’Ecole des Maris, I 1, 1661

[9] Molière, L’Ecole des Maris, I 1, 1661

La Reine Margot ou de l’importance de gérer la communication interne de son entreprise !

Quel que soit son poste au sein d’une entreprise, il est toujours utile de savoir ce qui s’y passe et les grands chefs ont tout intérêt à alerter leurs salariés des projets qui s’y trament ! Ce ne sont pas les héros de La Reine Margot, et notamment Catherine de Médicis, qui vous diront le contraire !

Ma petite entreprise connaît pas la crise

Dans une France déchirée par les guerres de religion, la catholique Catherine de Médicis, mère de Charles IX et de Margot, n’hésite pas à empoisonner ses ennemis avec l’aide d’un parfumeur florentin, René Bianchi. C’est une véritable industrie qui s’opère au sein du palais du Louvre, et le roman ne cesse d’égrener les différentes victimes de la reine Catherine (« Vous avez empoisonné la reine de Navarre avec des gants ; vous avez empoisonné le prince de Porcian avec la fumée d’une lampe ; vous avez essayé d’empoisonner M. de Condé avec une pomme de senteur »[1]).

Un grand projet maintenu secret

Catherine de Médicis décide de se débarrasser d’Henri de Navarre, protestant, futur Henri IV et actuel mari de Margot. Pour cela, elle a demandé à René Bianchi d’empoisonner un livre de chasse à courre, de vénerie,  la grande passion d’Henri. Personne hormis le duc d’Alençon, frère de Charles IX, n’est au courant du dessein qu’elle projette, et surtout pas Charles, grand ami d’Henri.

La chasse à courre, c’est ma grande passion !

Le livre empoisonné est déposé par le duc d’Alençon, chez Henri de Navarre. Or, Charles IX, passé à l’improviste chez celui qu’il surnomme « Henriot », tombe sur l’ouvrage magnifique, tellement magnifique qu’il décide de l’emporter chez lui ! C’est donc avec horreur que le duc d’Alençon surprend son frère Charles IX en train de s’humecter les lèvres du poison qui a servi à coller les pages du livre (« Et le roi porta encore une fois son pouce à ses lèvres, et une fois encore fit tourner la page rebelle[2]. ») !

Le duc d’Alençon, tenu par le secret « professionnel », n’ose rien dire et observe la scène, entre impuissante et effroi.

Un jour Un destin ou de la mort d’Actéon

Charles IX réalise qu’il a été empoisonné lorsque son chien Actéon décède subitement (oui, Actéon apprécie de mâchonner le papier…) Saisi d’horreur et prenant conscience d’une mort imminente, il se rend chez René Bianchi qui lui avoue que le livre était en réalité destiné à Henri de Navarre. Charles IX n’a alors que ces mots : « Ce livre, en effet, était chez Henriot. Il y a une destinée, et je la subis. »[3]

[1] Alexandre Dumas, La Reine Margot, « Actéon », 1845

[2] Alexandre Dumas, La Reine Margot, « Le livre de vénerie », 1845

[3] Alexandre Dumas, La Reine Margot, « Actéon », 1845

Illustration : photo tirée de la série télévisée Mad Men