Le 14 juillet est jour de fête nationale en France, et cette fête est à la fois une référence et une commémoration du 14 juillet 1789, date de la prise de la Bastille, jour symbolique entraînant la fin de la monarchie absolue. Jules Michelet nous a apporté une évocation extrêmement vibrante de la prise de la Bastille. Comment nous a-t-il raconté l’événement ?
Qui est Michelet ?
Appartenant à la génération des Romantiques, Michelet a été élevé par des Jacobins et est un pur produit de la méritocratie à la française. Précepteur des enfants de la famille royale, il sera aussi professeur d’histoire au Collège de France. Le vent tournera avec la Restauration, à laquelle il s’oppose, et qui le voit contraint de renoncer à sa chaire et de s’exiler en province. Mais Michelet ne cessera pas d’écrire. On lui doit notamment La Sorcière, un essai resté très connu qui nous raconte l’histoire et les représentations associées à la figure de la sorcière. Un essai passionnant.
En quoi Michelet est-il un historien marquant ?
Mêlant à la fois inspiration romantique et précision de l’historien, Michelet décrit l’Histoire comme un western, avec souffle, maestria, génie. Ses écrits comportent de l’ampleur, du style, et le lecteur a réellement l’impression de voir l’Histoire se dérouler sous ses yeux.
Histoire de la Révolution française, le « roman » de la Révolution
Jules Michelet mettra six ans à écrire Histoire de la révolution française, œuvre dans laquelle il raconte le déroulement de la Révolution française et la façon dont les Parisiens ont vécu cet événement. Cette œuvre est composée de vingt-et-un livres, clôturés, logiquement par la mort de Robespierre sur l’échafaud.
La prise de la Bastille, « un acte de foi » selon Michelet
Michelet raconte la prise de la Bastille, mais aussi la liesse qui s’empara des Parisiens les 13 et 14 juillet. En voici un extrait.
« Paris, bouleversé, délaissé de toute autorité légale, dans un désordre apparent, atteignit, le 14 juillet, ce qui moralement est l’ordre le plus profond, l’unanimité des esprits. Le 13 juillet, Paris ne songeait qu’à se défendre. Le 14, il attaqua. Le 13 au soir, il y avait encore des doutes, et il n’y en eut plus le matin. Le soir était plein de trouble, de fureur désordonnée. Le matin fut lumineux et d’une sérénité terrible. Une idée se leva sur Paris avec le jour et tous virent la même lumière. Une lumière dans les esprits, et dans chaque cœur une voix : » Va, et tu prendras la Bastille « . Cela était impossible, insensé, étrange à dire… Et tous le crurent néanmoins. Et cela se fit. L’attaque de la Bastille ne fut nullement raisonnable. Ce fut un acte de foi. »[1]
Le regard de Michelet, entre précision historique…
Rappelons qu’un historien raconte des faits historiques fondés sur des recherches denses et des documents précis. Un historien doit dire la vérité sans donner son opinion, et son texte doit donc être empreint de neutralité. Les dates, les lieux sont des indicateurs de la neutralité du texte. De plus, l’emploi du passé simple, comme dans cet extrait, montre que les faits se sont passés et sont circonscrits à une temporalité.
et évocation lyrique !
Mais au-delà d’une précision historique, le court extrait témoigne du lyrisme de Michelet.
Les personnifications de Paris (« Paris bouleversé, délaissé ») montrent les Parisiens comme un ensemble uni, prêt à se battre contre la Bastille, et qui souffre (« bouleversé », « délaissé »). Les rythmes ternaires et binaires, les rimes en « é » du passage renforcent l’aspect d’union de ce peuple, qui n’a plus qu’une solution devant lui : prendre la Bastille. Outre cela, le texte est ponctué d’expressions vagues (« le matin fut lumineux », « le 13 au soir », « le 14 ») qui contrastent avec la précision des dates des textes historiques. Tout est fait pour laisser le lecteur dans une atmosphère floue, incertaine. L’oxymore « sérénité terrible », et certaines gradations, plus vagues encore (« cela était impossible, insensé, étrange à dire ») renforcent le caractère imprécis et poétique du texte.
Plus qu’une atmosphère poétique, le texte confine au christique et nous suggère peu à peu l’idée d’une croyance, d’un acte de foi. Plus encore, le texte a recours au champ lexical de la lumière (« une idée se leva sur Paris, et tous virent la même lumière »), qui fait, en latin, référence à la «révélation » divine. Les Parisiens semblent bien avoir reçu un message de Dieu : celui de prendre la Bastille !
Jules Michelet oscille donc entre littérature et histoire, sans entraver la véracité de ses propos, mais en leur donnant plus de force. La prise de la Bastille apparaît comme un événement mystique, indissociable de l’Histoire de France, qui justifie le choix du 14 juillet comme jour de fête nationale.
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Illustration : La Révolution française, Robert Enrico (1989)
[1] Michelet, Histoire de la Révolution française, 1847-1853