Pour un auteur, quelle enseigne ! Les classiques d’Alexis Michalik

« Cyrano  aujourd’hui est la pièce préférée de beaucoup de gens, et probablement la mienne aussi. »

Qu’il nous emporte au fin fond du Sahara ou dans la France du XIXème siècle, qu’il explore le monde du théâtre ou celui du cinéma, Alexis Michalik est un conteur-né qui semble n’aimer rien tant que d’emporter le spectateur vers de nouveaux horizons dont il révèle l’envers du décor mais aussi la magie. Acteur, metteur en scène mais aussi dramaturge, ce touche-à-tout qu’on ne présente plus nous raconte ses classiques, mais aussi les livres qui ont influencé le dramaturge.

M. Michalik, quel lecteur êtes-vous, et notamment quel lecteur de classiques êtes-vous ?

Je suis un lecteur régulier, qui lit beaucoup et beaucoup de choses très variées. Je lis un peu tout ce qui me tombe sous la main mais je ne suis pas un rat de bibliothèque. J’adore les livres, je lis plus facilement lorsque je suis en vacances. J’aime bien évidemment la littérature romanesque du XIXème siècle, Dumas en tête puisque Le Porteur d’histoire en est l’exemple, mais je peux lire de tout, des romans policiers comme des essais, et bien sûr des pièces de théâtre. Je lis aussi beaucoup sur Internet, puisque je peux me passionner pour un sujet et lire tout ce qui tourne autour. Pour résumer, j’aime beaucoup les vieux livres, mais je ne passe pas ma vie dedans !

Etes-vous issu d’une famille de lecteurs ? Comment les livres sont-ils arrivés à vous ?

Oui, complètement ! Mes parents sont des lecteurs assidus. Ma mère est britannique, elle lit donc beaucoup en anglais – mon père est français et lit en français – et ils ont tous les deux beaucoup lu. Et quand nous étions petits, mes parents nous emmenaient, mon frère et moi, à la bibliothèque municipale – nous étions parisiens – et nous allions donc tous les samedis, ou tous les mercredis, à la bibliothèque. On empruntait des livres, des revues, des bandes dessinées, on les ramenait à la maison et on les lisait. La lecture est donc arrivée très tôt dans ma vie.

Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

Si vous avez vu Le Porteur d’histoire, vous devez savoir que Le Comte de Monte-Cristo constitue pour moi le classique des classiques ; c’est le roman d’aventures par excellence. Je pourrais aussi citer La Promesse de l’aube de Romain Gary et Lolita de Nabokov, qui sont plus récents.

Vous semblez affectionner les pièces et récits aux structures enchâssées et complexes. Est-ce un dispositif que vous avez apprécié en tant que lecteur ?

Oui, absolument ! Et d’ailleurs, il y a un bouquin en particulier qui m’a inspiré pour cette structure. C’est un roman de Katherine Neville, qui s’appelle Le Huit, qui a été écrit à la fin du XXème siècle et que j’ai lu, adolescent, et dans lequel il y a, justement, plusieurs époques qui se mélangent et finissent par se rejoindre à la fin. Je me suis dit : « mais, c’est vachement bien, cette structure, il faudrait la réutiliser ». Et bien évidemment, après, lorsque les pièces ont commencé à marcher, tout le monde s’est mis à me conseiller des livres avec la même structure, et on m’a notamment parlé du Manuscrit trouvé à Saragosse. En tout cas, effectivement, il y a un livre en particulier qui m’a inspiré.

Consacrer une pièce à Edmond Rostand était-il une évidence ? Comment ce choix s’est-il imposé ?

Il faut savoir que ce n’est pas une pièce consacrée à Edmond Rostand, c’est une pièce qui est consacrée à la création de Cyrano, à une époque particulière dans la vie d’Edmond, à ce moment, dans la vie d’Edmond, où Edmond va devenir Rostand ! Cela s’est imposé parce que j’ai lu une édition de Cyrano qui était accompagnée d’un dossier. J’y ai découvert ce qu’avait été la vraie première de Cyrano, comment ça s’était passé – évidemment, je le raconte de façon fantasmée mais en restant proche de cette réalité – et cela a été un triomphe incroyable auquel personne ne s’attendait. Et Cyrano aujourd’hui est vraiment une des pièces que les gens préfèrent, c’est la pièce préférée de beaucoup de gens, et probablement la mienne aussi. J’ai donc toujours eu envie de raconter cette histoire, j’ai toujours imaginé la raconter au cinéma. Je l’ai développée pour le cinéma, et puis finalement, puisque nous n’arrivions pas à trouver de financement, je me suis dit : « et si je le faisais au théâtre ? ». Et cela s’est tellement bien passé qu’on a trouvé les financements et qu’on vient de faire le film !

Pour finir, quels classiques ou essais théâtraux conseilleriez-vous à un(e) jeune lycéen(ne) qui souhaiterait se lancer dans une carrière théâtrale ?

Tout Shakespeare ! On peut lire tout Shakespeare. Molière, ce n’est pas trop ma tasse de thé, mais cela reste son pendant. Moi, je dirais plutôt Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Le Barbier de Séville, il faut absolument lire ça. Il faut bien sûr lire des choses joyeuses, comme Goldoni. Je pense qu’il faut lire Anouilh – moi j’adore Anouilh, Antigone, c’est génial, mais pas que ! Si on aime l’absurde, je pense qu’il faut lire Beckett, Ionesco, il faut lire tout Sartre… Il faut lire. Il faut lire tout ce qu’on peut lire et il faut aussi aller au théâtre. Et enfin, concernant les essais théâtraux, il faut lire L’espace vide de Peter Brook, évidemment.  Il faut ensuite se laisser porter, être conseillé, aller dans les bibliothèques, et puis lire, lire, lire…

Edmond : scénario d’Alexis Michalik et Léonard Chemineau, dessin de Léonard Chemineau, Rue de Sèvres, 120 pages, 18€, parution le 17 octobre 2018

Edmond d’Alexis Michalik du 18/05/2018 au 16/12/2018 au Théâtre du Palais Royal

Intra Muros d’Alexis Michalik du 18/05/2018 au 28/07/2018 au Théâtre de La Pépinière

 

Alexis Michalik ©PaulLapierre

Entre légèreté shakespearienne et horizons sud-africains, l’univers arc-en-ciel de Marie-Hélène Fasquel

« Confronter le réel et les récits littéraires est une approche qui me passionne »

C’est au début de l’année 2017 que le grand public découvre Marie-Hélène Fasquel. Professeur de littérature américaine au lycée Nelson Mandela de Nantes, Marie-Hélène est alors la seule Française finaliste du prestigieux Global Teacher Prize. Le grand public découvre une enseignante passionnée, littéralement habitée par le souci de transmettre et de faire progresser ses élèves, grâce à des méthodes innovantes et des projets ambitieux portés par une énergie sans faille. Plusieurs mois après la finale du Global Teacher Prize, Mare-Hélène publie aux éditions François Bourin L’élève au cœur de sa réussite, dans lequel elle revient évidemment sur cette aventure, mais aussi sur son parcours et ce qui fait la singularité de son enseignement. Elle y apparaît comme une citoyenne du monde, ouverte à toutes les rencontres, toutes les cultures et toutes les littératures, et nous présente la langue anglaise dans sa richesse et sa diversité.

 Ouvrage à la fois humble et extrêmement positif, qui propose des solutions mais invite surtout à suivre son propre chemin professionnel et personnel, L’élève au cœur de sa réussite nous est apparu comme un vibrant plaidoyer pour une profession parfois mal comprise, ou décriée. A quelques jours de la rentrée scolaire, interview d’une enseignante qu’on aurait tous aimé avoir !

Marie, quelle lectrice de classiques es-tu ou as-tu été ?

J’ai toujours lu les classiques, mais de manière sélective, en fait, sans tenir compte des valeurs les plus reconnues. Boris Vian, par exemple, fait partie de mes auteurs fétiches. C’est vrai qu’il vient d’entrer dans la Pléiade. Une consécration. Ce qui a été longtemps critiqué chez Boris Vian, c’est justement ce qui me plaît le plus, son caractère protéiforme et qu’il se soit aventuré dans tous les genres, y compris la musique où il excellait. Je retiendrai Saint-Exupéry, un merveilleux conteur, mort à la guerre, bien que, paradoxalement, jamais vraiment sorti de l’univers de l’enfance. Je reviens bien sûr toujours vers Shakespeare, ce monument, mais au fond, ce que j’aime particulièrement chez lui, ce sont ses œuvres les plus légères, ses contes, qui me font rire, ce qui, comme pour Molière est extraordinaire après tant de siècles passés. L’univers ambigu de Michel Tournier, entre références à l’homosexualité et  aux Evangiles, m’a toujours fascinée. Pour finir je citerai Georges Sand, un écrivain classé pour les enfants, mais si touchant, que (comme Proust) tout le monde y revient tout au long de sa vie…

Y-a-t-il des classiques qui constituent tes livres de chevet ?

Les Rêveries du Promeneur Solitaire de Rousseau, car il y est question de flâneries dans la nature, d’herborisation et c’est l’un des moteurs de ma vie. De plus, le style de Rousseau est tellement beau, et la langue si parfaite ! A la recherche du temps perdu de Marcel Proust reste à portée de main. Je l’ouvre souvent à n’importe quel endroit pour y lire quelques phrases. Les circonvolutions de la langue qui correspondent si bien à l’esprit alambiqué du personnage me fascinent et sont pour moi aussi fortes que la poésie.

Quelles sont les œuvres que tu étudies avec tes élèves et celle dont tu voudrais nous parler plus en particulier ?

Voici les 13 œuvres que mes élèves préparent pour le baccalauréat 2019 (1ère puis terminale) :

  • Une œuvre de Shakespeare : The Tempest
  • De la fiction du 19ème au 21ème siècle : The Scarlet Letter (Nathaniel Hawthorne), The Garden Party and other short stories (Kathryn Mansfield), The Great Gatsby (Francis Scott Fitzgerald)
  • Des pièces de théâtre : Intimate Apparel (Lynn Nottage), Death of a Salesman (Arthur Miller)
  • De la poésie : Emily Dickinson, Rita Dove et Langston Hughes.
  • Des essais, lettres… : Letter from Birmingham Jail (Martin Luther King), Stranger in the Village (James Baldwin)
  • Des œuvres issues de la littérature du monde : The Metamorphosis (Franz Kafka), Disgrace (John Maxwell Coetzee), interpreter of maladies (Jhumpa Lahiri).

 Il y aurait beaucoup de choses à dire sur toutes ces œuvres, mais je vais me contenter de dire un mot de interpreter of maladies de Jhumpa Lahiri, un texte encore peu connu en France et intéressant à bien des égards, car il évoque un thème qui concerne à plus ou moins grande échelle tous les pays : l’acculturation. D’origine indienne, l’auteure vit aux Etats-Unis, et de ce fait, ne se sent jamais véritablement chez elle nulle part ; et ce déchirement, cette fracture définitive, sont très bien décrits dans son œuvre, recueil de nouvelles, qui a obtenu le prix Pulitzer. Par ce biais, il est intéressant d’étudier avec les élèves les problèmes soulevés par le multiculturalisme de la société américaine. Confronter le réel et les récits littéraires est une approche qui me passionne et que j’utilise fréquemment (en faisant appel à des collègues des pays dont j’analyse les œuvres et en organisant des projets avec leurs élèves par exemple).

Pourquoi as-tu choisi une œuvre de Coetzee ?

Mon lycée s’appelle Nelson Mandela et de ce fait j’ai eu envie de rendre hommage à l’Afrique du Sud. Ce qui a été facilité par l’arrivée en 2014 d’un assistant sud-africain, Gareth. Coetzee est l’auteur de ce pays que j’admire le plus. Il n’est pas facile à étudier car les sujets qu’il aborde sont très durs mais il est remarquablement efficace et ses textes sont proches de la réalité. Disgrace, notamment, nous fait partager les nombreuses difficultés traversées par le peuple arc en ciel après l’Apartheid. On peut y trouver de multiples références culturelles, en particulier à Lord Byron, ce qui permet d’approfondir la thématique principale de l’œuvre. L’importance de la symbolique, des images, le point de vue, tout dans Disgrace est source de réflexions. En revanche, bien qu’il soit aussi d’un grand intérêt, je n’ai pas pu étudier avec des lycéens, Waiting for the Barbarians, un livre du même auteur,  fort mais très cru, puisqu’il a pour sujet central : la torture.

On imagine que la littérature anglo-saxonne est contrastée et que la littérature australienne est différente de la littérature sud-africaine, ou néo-zélandaise. Pourrais-tu nous en donner un rapide aperçu ?

En effet, les styles mais surtout les sujets traités sont aux antipodes les uns des autres : l’Australie et la Nouvelle Zélande ont des littératures très marquées par les Maoris et leur culture mais aussi par leur héritage anglais. La littérature sud-africaine actuelle est de son côté essentiellement axée sur les problèmes sociaux.

Quels auteurs conseillerais-tu à quelqu’un qui souhaiterait découvrir la littérature anglo-saxonne ?

Je conseillerais (mais c’est très personnel bien sûr) : Oscar Wilde, Paul Auster, Arthur Miller, Ian McEwan, Jhumpa Lahiri, Langston Hughes.

Je fais souvent rire mes élèves quand je leur présente une œuvre comme l’une de mes préférées, car au fond, j’en ai beaucoup de préférées !

Tu publies aux éditions François Bourin L’élève au cœur de sa réussite, dans lequel tu reviens sur ton parcours professionnel et témoignes de ta passion pour l’enseignement. Selon toi, qu’est-ce que qu’apporte l’étude de texte littéraire à l’enseignement d’une langue ?

Depuis que j’ai moi-même (modestement) écrit quelques livres, j’ai pu mesurer à quel point l’écriture d’un livre représente une somme intense de réflexions. Quelques pages lues en quelques minutes sont souvent le résultat de plusieurs jours de travail.Ce phénomène, je n’étais pas sans l’ignorer, mais maintenant je l’ai vécu, ressenti. C’est tout autre chose ! Etudier un livre, c’est donc, selon moi,  étudier un condensé, une pensée, des mots, qui ont été  choisis et travaillés. Voilà ce qui fait la richesse d’une œuvre par rapport au langage parlé ! Et voilà ce qui fait l’intérêt d’étudier la littérature, et ce, au fond, quelle que soit la langue… 

As-tu d’autres projets d’écriture ?

Depuis toujours j’écris en tandem avec mon mari Thierry Erhart qui a collaboré à L’élève au cœur de sa réussite. Une dystopie, Le Feu Secret, est d’ores et déjà prête pour l’édition. Mon plus grand souhait est que l’aventure continue, cette fois,  sur le chemin de l’imaginaire !

Pour en savoir plus :

Le peuple arc-en-ciel (ou «Rainbow nation ») désigne le peuple sud-africain dans sa volonté du vivre-ensemble, dépassant les tensions raciales.

La page Facebook L’élève au cœur de sa réussite : https://www.facebook.com/mhfasquel/

Le blog professionnel de Marie-Hélène Fasquel : http://sharingteaching.blogspot.fr/