Pourquoi « Monsieur Prudhomme » est-il un poème universel ?

« Il est grave : il est maire et père de famille. » C’est ainsi que commence « Monsieur Prudhomme », le premier poème publié par Verlaine, en 1866, à l’âge de 19 ans, que vous pouvez retrouver sur les applications Un texte Un jour et Un Poème Un Jour, ainsi que sur le livre Un texte Un jour, Traverser la littérature en 365 jours.

Ce poème satirique, drôle, et brillant, est un des plus célèbres poèmes de Paul Verlaine, et probablement un des poèmes les plus connus de la littérature française. Pourquoi ?

Avant d’aborder le poème, rappelons que Monsieur Prudhomme est un personnage créé par le dramaturge et caricaturiste Henri Monnier en 1830 dans ses Scènes populaires. Un « prudhomme » désigne un homme expert, reconnu pour ses valeurs telles que le courage, la loyauté, mais « prudhomme » peut aussi désigner, de manière péjorative,  un homme prudent. Quoi qu’il en soit, le terme de « prudhomme » est employé chez Henri Monnier de manière péjorative, et le personnage devint si populaire qu’il inspira Verlaine, mais aussi Sacha Guitry, Honoré Daumier ou encore Franquin, puisque dans la bande dessinée Spirou et Fantasio, le personnage de Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas, comte de Champignac est un hommage à Monsieur Prudhomme !

Un poème brillant sur Monsieur Prudhomme et Monsieur Machin

Monsieur Prudhomme est en apparence un bourgeois tranquille, installé, pour qui, quoi qu’il arrive « le printemps en fleur sur ses pantoufles brille. ». Il est maire et père de famille, mais notre pauvre homme est grave, et a trop de soucis.

Ses vêtements sont d’apparat, son faux col est démesuré, et ses chaussures, qui trahissent le confort, sont des pantoufles qui brillent pour accentuer son ridicule.

Ce grand contemplatif rêve parce qu’il ne pense pas, mais Monsieur Prudhomme est un homme de projet. « Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille / Avec monsieur Machin » : gendre idéal, Monsieur Machin est riche, politiquement correct (« juste milieu » c’est-à-dire au centre, et botaniste à ses heures perdues !

Un poème faussement simple, porteur d’un double discours cinglant

Mais ce poème est bien plus qu’une caricature d’un bourgeois ! Faussement classique dans sa forme, le poème entremêle deux voix : d’une part,  celle du poète, du locuteur, qui nous décrit Monsieur Prudhomme, et d’autre part celle de Monsieur Prudhomme lui-même, lorsqu’il évoque la poésie ou les poètes ! « Monsieur Prudhomme » nous offre une satire de la bourgeoisie à travers le regard que porte le bourgeois sur la poésie et les poètes.

Une parodie de la poésie romantique

Nous l’avons dit, notre homme est un rêveur et Monsieur Prudhomme est sensible à une certaine poésie. Malheureusement, la poésie qu’il aime ne comporte que des clichés et associations rebattues (« la charmille », « l’oiseau [qui] chante à l’ombre, les « prés verts », « printemps en fleurs ). Enfin le soleil, qui pourrait constituer un thème romantique, n’a ici pour fonction que de faire briller les chaussures de monsieur Prudhomme.

Un poème dans lequel Verlaine règle ses comptes avec la bourgeoisie

Rappelons qu’au XIXe siècle, les bourgeois perçoivent les poètes comme sont des êtres improductifs, paresseux, porteurs de révolte et assimilables à un danger.

Ainsi, Monsieur Prudhomme a en horreur les poètes, ces « faiseurs de vers », tous des « vauriens », des « maroufles », des « fainéants », « barbus, mal peignés ». Ces poètes, qui sont-ils ? Verlaine, pardi, en est le premier représentant !

 

Pour un coup d’essai c’est un coup de maître ! Ce portrait d’un personnage satisfait, adepte des idées reçues et à l’existence parfaitement chorégraphiée, est un formidable pied-de-nez à la bourgeoisie, mais surtout un des plus brillants exemples d’une poésie qui sait se mettre en scène et se moquer d’elle-même.

Vous souhaitez relire « Monsieur Prudhomme » de Verlaine ? Téléchargez nos  applications Un texte Un jour ou Un Poème Un Jour ou bien découvrez notre livre  Un texte Un jour, Traverser la littérature en 365 jours.

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© Mr. Prudhomme. Tu vois, oh! mon fils…, Honoré Daumier (1808-1879)

 

Quels sont les vers les plus célèbres de la poésie française ?

Ils font partie de notre patrimoine et vous les connaissez par cœur, ou presque… Nous vous offrons un florilège des plus grands vers de la littérature française ! Sélection subjective et nécessairement incomplète… Vous retrouverez ces différents poèmes sur notre appli Un Poème Un Jour !

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, / Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.

Ces vers sont les deux premiers de « Demain, dès l’aube », poème de Victor Hugo dédié à sa fille Léopoldine décédée. S’agit-il d’un rendez-vous  amoureux ?

Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

Dernier vers du poème « A une passante » de Baudelaire, il témoigne du désespoir du locuteur qui voit partir la mystérieuse et belle inconnue à qui il aurait tant aimé parler.

Quel esprit ne bat la campagne ? / Qui ne fait châteaux en Espagne ?

Tirés de la fable « La Laitière et le Pot au lait », ces vers, situés à la fin de la fable, témoignent de la tendance que nous pouvons avoir à faire des rêves plus grands que notre vie !

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

Ce vers est tiré du poème « L’Isolement » de Lamartine. Ce long poème narre la solitude et la mélancolie du héros romantique qui tente de trouver une forme d’apaisement dans la contemplation de la nature.

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.

Il s’agit du premier vers de « Brise marine » de Mallarmé. Ce poème, un des plus célèbres de Mallarmé car relativement accessible, constitue une invitation à s’échapper du quotidien, les plaisirs, qu’ils soient physiques ou quotidiens ne suffisant plus à satisfaire le locuteur.

Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, / De ta jeunesse ?

Ces deux vers en forme d’apostrophe clôturent le poème « Le ciel est par-dessus le toit » de Verlaine, que l’on trouve dans son recueil Sagesse. Oscillant entre évocation de l’enfermement et appel à la liberté, le poème fut écrit pendant l’emprisonnement de Verlaine, après avoir tiré sur Rimbaud.

De la musique avant toute chose / Et pour cela préfère l’Impair

Ces vers sont les premiers du poème « Art poétique de Verlaine. Comme l’indique son titre, le poème constitue une sorte de traité d’écriture poétique. A travers ces vers, le poète exprime son souhait de faire primer la musicalité et les sonorités, ainsi que l’emploi des vers impairs.

Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, / Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,

Ces vers ouvrent le poème « Ce siècle avait deux ans » de Victor Hugo, dans lequel l’auteur des Misérables revient sur sa naissance et son enfance. Victor Hugo est né en 1802, d’où la tournure « Ce siècle avait deux ans ! »

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé, / Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :

Ces vers ouvrent « El Desdichado », le poème le plus célèbre de Nerval, qui offre la représentation d’un poète romantique et inconsolé. « El Desdichado »  est un personnage emprunté à Walter Scott, « déshérité », « dépossédé de son château.

Je dis tu à tous ceux que j’aime

Ce vers de Jacques Prévert est situé au milieu du poème « Barbara ». Le poème, en s’adressant à Barbara, une jeune femme qui aurait perdu son fiancé soldat, constitue une dénonciation de la guerre à la fois originale, lyrique et intime. Face à la guerre, nous sommes tous égaux, nous dit Prévert. C’est pourquoi le « tu » est de mise.

Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Ce vers de Baudelaire se trouve à la fin de « L’Albatros », dans lequel Baudelaire utilise la métaphore de l’oiseau pour dépeindre la condition, douloureuse, du poète. L’albatros, et le poète, y apparaissent comme inadaptés.

Je vis, je meurs : je me brûle et me noie,

Ce vers ouvre le sonnet le plus connu de Louise Labé. La poétesse y dépeint, avec une sensualité ardente et une franchise étonnante, son incapacité à être pleinement heureuse. Objet de la passion amoureuse, elle oscille entre extrême joie et profond malheur.

Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

Ce vers achève l’un des poèmes les plus connus de Ronsard. Adressé à Hélène de Surgères, le poème rappelle que l’homme est mortel et qu’il nous faut agir, aimer, avant que notre mort ne survienne. Ce poème est une invitation au « carpe diem ».

Vous souhaitez relire ces différents poèmes ? Retrouvez-les sur notre appli Un poème Un jour !

* « Barbara » ne figure pas au sein de l’application puisque le poème n’est pas encore dans le domaine public.

Illustration : Loïc Corbery et Emilie Dequenne dans Pas son genre (Lucas Belvaux, 2013)