Les 10 plus beaux excipit de la littérature

On appelle « excipit » les dernières lignes d’un récit, roman ou nouvelle. L’excipit, dont la longueur est variable (on peut parler de la dernière phrase d’un récit, ou alors d’un ou plusieurs paragraphes) constitue un enjeu majeur, car il marque la résolution – ou non de l’intrigue. L’excipit doit être justifié et amené. L’excipit peut être fermé (toutes les intrigues sont résolues) ou alors ouvert. Le destin des personnages reste alors en suspens. Les excipit ouverts peuvent indiquer que l’œuvre en question aura une suite.

Certains excipit sont restés particulièrement célèbres dans la littérature. Après avoir traité des incipit dans un précédent article, petit tour d’horizon des célèbres dernières phrases de romans.

 L’excipit en forme de happy end

L’excipit d’Au Bonheur des Dames d’Emile Zola : « Il ne lâchait pas Denise, il la serrait éperdument sur sa poitrine, en lui disant qu’elle pouvait partir maintenant, qu’elle passerait un mois à Valognes, ce qui fermerait la bouche du monde, et qu’il irait ensuite l’y chercher lui-même, pour l’en ramener à son bras, toute-puissante. »

Les excipit les plus tragiques

L’excipit du Rouge et le Noir de Stendhal : « Mme de Rênal fut fidèle à sa promesse. Elle ne chercha en aucune manière à attenter à sa vie ; mais, trois jours après Julien, elle mourut en embrassant ses enfants. »

L’excipit du Côté de Guermantes de Proust : « «  Et puis vous, ne vous laissez pas frapper par ces bêtises de médecin, que diable ! Ce sont des ânes. Vous vous portez comme le Pont-Neuf. Vous nous enterrerez tous ! » »

L’excipit de Belle du Seigneur d’Albert Cohen : « et soudain la naine lui demanda d’une voix vibrante, lui ordonna de dire le dernier appel, ainsi qu’il était prescrit, car c’était l’heure. »

Les excipit les plus bouleversants

L’excipit de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo : « Il n’avait d’ailleurs aucune rupture de vertèbre à la nuque, et il était évident qu’il n’avait pas été pendu. L’homme auquel il avait appartenu était donc venu là, et il y était mort. Quand on voulut le détacher du squelette qu’il embrassait, il tomba en poussière. »

L’excipit des Misérables de Victor Hugo : « Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange, / Il vivait. Il mourut quand il n’eut plus son ange ; / La chose simplement d’elle-même arriva, / Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va. »

Les excipit les plus mythiques

L’excipit du Père Goriot de Balzac : « Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : – A nous deux maintenant ! Et pour premier acte du défi qu’il portait à la Société,  Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen. »

L’excipit de Gatsby le Magnifique de Fitzgerald : « C’est ainsi que nous avançons, barque à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé. »

L’excipit le plus pictural

L’excipit du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde: « Il était ridé, sa peau était desséchée et son visage repoussant. Ce n’est que lorsqu’ils eurent examiné ses bagues qu’ils le reconnurent. »

L’excipit le plus poétique

L’excipit du Lion de Kessel : « Patricia se mit à pleurer comme l’eût fait n’importe quelle petite fille, comme n’importe quel enfant des hommes. Et les bêtes dansaient.»

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Illustration : Anthony Quinn et Gina Lollobrigida dans Notre-Dame de Paris (Jean Delannoy, 1956)

Les mensonges romantiques et vérités romanesques d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre

« Je me méfie de cette soudaine passion du réel qui s’est emparé de la littérature, du cinéma, de la création en général. Le mensonge, qu’il soit romanesque ou amoureux, me séduit infiniment plus. »

 

Un titre intriguant, un format inhabituellement long, la plongée dans une époque et une atmosphère particulières, quelque part entre Just Jaeckin et Claude Sautet : c’est en janvier 2010 que j’ai découvert une voix, celle d’Adélaïde Clermont-Tonnerre, ainsi qu’un formidable roman, Fourrure. C’est parce qu’Adélaïde de Clermont-Tonnerre incarne mieux qu’aucun autre auteur français contemporain le romanesque, au sens premier du terme, qu’il me fallait l’interviewer pour la sortie de son nouveau roman, Le dernier des nôtres, chez Grasset. La chroniqueuse et directrice de la rédaction de Point de vue s’y révèle une romancière ô combien attachante et décomplexée …

Adélaïde, quelle lectrice êtes-vous, et notamment quelle lectrice de classiques êtes-vous ?

Les classiques me manquent en fait. Pour moi ils sont la source et, en raison de mon métier de journaliste, je suis souvent débordée de livres qui sont dans l’actualité et qui viennent de paraître. Par moments, je rêve de revenir à des livres que j’ai aimés et d’avoir le temps de compléter ma connaissance des grands textes.  Je voudrais, plusieurs fois par an, pouvoir faire une retraite où je n’emporterais aucun ouvrage paru dans les dix dernières années. Je ne regarderais pas les informations. Je n’allumerais ni la radio ni la télévision. Je lirais au fil des envies, sans calendrier, et j’écouterais de la musique pour l’écouter, pas en accompagnement d’autre chose. C’est un rêve que, pour l’instant, je n’ai pas réussi à réaliser. En même temps j’aime énormément découvrir les nouveaux talents, qui sont nombreux. La vie littéraire française ne s’arrête pas à Sartre ou Camus, contrairement à ce que pensent certains. Et les prix littéraires dont je fais partie : Prix de la Closerie des lilas, Prix Sagan, Prix Arsène Lupin, Prix Fitzgerald sont une merveilleuse occasion de dénicher de jeunes romanciers pleins d’avenir.

Etes-vous issue d’une famille de lecteurs ? Comment les livres sont-ils arrivés à vous ?

Il y a toujours eu énormément de livres chez moi, mais sans aucune forme de classement ou de hiérarchie. J’ai lu tout ce qui me tombait sous la main : de la littérature de gare et des grands auteurs du dix-neuvième, des textes classiques et des romans à l’eau de rose, des biographies historiques à la pelle avec des récits de voyages ou des bandes-dessinées. C’était un vaste bazar qu’il a fallu réorganiser, mais cette liberté m’a appris une chose essentielle : le plaisir de lecture. Ce plaisir est le fondement de tout pour moi et il doit dépasser les snobismes littéraires ou les catégorisations  arbitraires.

Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

Il y en a trop pour que je puisse choisir, ma table de nuit n’est pas assez grande, mais à l’instant T, les premiers qui me viennent à l’esprit sont : « Les vies parallèles » de Plutarque, « Les mémoires du Cardinal de Retz », « Point de lendemain » de Vivant Denon, «  Candide » de Voltaire, « La peau de chagrin » et « Splendeur et misère des courtisanes » de Balzac, « Les trois mousquetaires » et « Vingt ans après » de Dumas, «  l’argent » de Zola, « La légende des siècles » de Victor Hugo dont la puissance m’éblouit, « Premier amour » de Tourgueniev, « L’idiot » et « Les frères Karamazov » de Dostoïevski,  « Les raisins de la colère » de Steinbeck, « Mosquitoes » de Faulkner, « Feux pâles » de Nabokov. Ainsi que des passions plus récentes : tout Garcia Marquez, Kundera, Irving et tant d’autres….

La fréquentation de ces auteurs, votre bagage culturel ont-ils pu vous paralyser, ou au contraire vous stimuler lorsque vous vous êtes lancée dans la fiction ?

Longtemps, je n’ai même pas osé m’avouer que j’avais cette envie et ce besoin. J’écrivais des choses depuis toute petite, dans mon coin. Je pense que l’éducation française ne favorise absolument pas la créativité. On transmet aux enfants et aux adolescents ce mythe de l’écrivain génial qui pond des chefs-d’œuvre sans effort parce qu’il est en contact direct avec les dieux, je pense que c’est non seulement faux, mais stérilisant pour les générations futures. Pour un Rimbaud et un Aragon combien de Flaubert qui disait : « j’écris comme on va à la mine » ? Pas une seule fois, au cours de ma scolarité par exemple, je n’ai eu l’occasion de faire un pastiche, le meilleur moyen de comprendre la « mécanique » d’un auteur. Pas une seule fois, on ne m’a demandé d’écrire un texte libre de fiction, à part en sixième où j’avais imaginé une petite histoire illustrée. Cette révérence envers les « grands écrivains » est mortifère à mon sens. Il faut apprendre la littérature comme on apprend la plomberie, ensuite certains auront une âme, un souffle, une poésie qui feront la différence, mais encore faut-il avoir les outils.

Votre premier roman, Fourrure, constituait un hommage appuyé à Romain Gary et nous replongeait dans la France giscardienne de Madame Claude, dans une atmosphère somme toute assez particulière et en même temps magique – je pense également à Ondine de Giraudoux par exemple…Vous êtes-vous plongée ou replongée dans certaines lectures ou certains films de l’époque avant de vous lancer dans l’écriture de ce roman ?

A part la documentation nécessaire pour ne pas faire d’erreur historique, j’essaie, quand j’écris, d’éviter tous les romans et films de l’époque pour ne pas être influencée. A ce moment-là une alchimie étrange opère. Les mots vous apparaissent plus que vous ne les choisissez. Une fois posés sur le papier, vous reconnaitrez probablement d’où viennent ces images, ces scènes. Parfois de très loin. Mais sur le moment vous n’êtes qu’un vecteur de transmission.

Fourrure témoignait d’un véritable amour pour la forme romanesque, assez loin de l’autofiction ou de l’adaptation de faits divers assez fréquentes en littérature actuellement. Qu’attendez-vous de la littérature en tant que lectrice ? Etes-vous davantage sensible au souffle romanesque des Anglo-saxons, ou alors à l’évocation de l’intime à la française ?

J’aime la fiction, sans hésiter. Je me méfie de cette soudaine passion du réel qui s’est emparé de la littérature, du cinéma, de la création en général. Le mensonge, qu’il soit romanesque ou amoureux, me séduit infiniment plus. Il est souvent plus « vrai ». Ce besoin de puiser dans l’existant me semble parfois un aveu d’impuissance. Certains auteurs en font des livres merveilleux, mais j’aurai toujours plus d’attirance pour l’invention, pour ceux qui créent des mondes où nous pouvons nous réfugier quand celui-ci nous devient insupportable. Et si l’on regarde plus en détail, ce fameux souffle romanesque qui anime la littérature anglo-saxonne vient en fait de la grande tradition du roman français du 19ème siècle et de la littérature russe.

Enfin, pour finir, pouvez-nous nous présenter rapidement votre nouveau roman, Le dernier des nôtres ?

Mon héros, Werner Zilch, naît en 1945 dans les bombardements de Dresde. Orphelin, il est le dernier d’une famille influente qui a tout perdu. On le retrouve vingt ans plus tard dans le New York des années 1970. Adopté enfant par un couple de la classe moyenne américaine, c’est un jeune loup assoiffé de réussite et de reconnaissance. Il ne sait rien de son passé ni de ses parents biologiques. Son amour fou pour Rebecca, jeune artiste, fille d’un des hommes les plus puissants des États-Unis, va le forcer à rouvrir le dossier douloureux de ses origines.

Est-ce une fiction ou un roman historique ?

C’est une pure fiction, mais je m’appuie sur une trame historique : Manhattan en pleine effervescence, au temps de Bob Dylan, Patti Smith, Andy Warhol et la Factory… Avec, en contrepoint, la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, au tout début de la guerre froide, et bien sûr l’opération Paperclip…

L’opération Paperclip ?

C’est ainsi que l’on appelle la mission secrète qui a permis aux Américains de soustraire le sulfureux professeur Von Braun aux soviétiques.  Ce savant nazi, inventeur des tout premiers missiles, dits les V2 qui ont permis à Hitler de bombarder Londres, a ainsi été blanchi et accueilli sur le sol américain avec 117 membres de son équipe. En quelques années, il a pris la direction du programme spatial de la NASA et a envoyé les Américains marcher sur la Lune.

C’est aussi l’histoire d’une passion…

D’une passion irrépressible. L’attirance entre Werner et Rebecca est immédiate, puissante, charnelle. Werner veut régner, Rebecca veut s’affranchir de son milieu. Elle est la femme de son ascension et il est l’homme de son émancipation. Rien ne semble s’opposer à eux. Une révélation vient pourtant briser net cet élan. Un interdit trop violent pour qu’ils puissent continuer à s’aimer.  Mais Werner n’est pas du genre à renoncer…

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Le dernier des nôtres, Grasset, 496 pages, 22 euros

Illustration : Adélaïde de Clermont-Tonnerre ©David Atlan