Qui sont les Jean de la littérature classique ?

Avant de figurer dans la littérature occidentale, Jean est avant tout une figure prépondérante de la Bible, et deux Jean occupent une place privilégiée dans la vie de Jésus.

Jean qui rit et Jean qui pleure

On distingue ainsi Saint Jean le Baptiste de Saint Jean l’Evangéliste.

Dernier prophète d’Israël, Jean le Baptiste est le fils d’Elisabeth, cousine de la vierge Marie. C’est un solitaire et un ascète qui annonce la venue de Jésus. Emprisonné et exécuté par le roi Hérode, Saint Jean le Baptiste est fêté le 24 juin. Jean l’Evangéliste, surnommé « l’Aigle de Pâtures », est un des apôtres, un des disciples de Jésus. On lui attribue de nombreux miracles et c’est un personnage essentiel de la Cène. On le fête le 27 décembre.

Cette opposition entre Saint Jean le Baptiste et Saint Jean l’Evangéliste a donné naissance à l’opposition entre Jean qui rit (l’Evangéliste) et Jean qui pleure (le Baptiste). Saint Jean le Baptiste est en effet celui implore la miséricorde de Dieu, « Jean qui pleure », tandis que Saint Jean l’Evangéliste est celui qui adresse des louanges à Jésus, c’est-à-dire « Jean qui rit ».

Sur le plan littéraire, ce sont des Jean bien différents les uns des autres qui ponctuent la littérature française.

Jean Valjean, le Misérable aux multiples identités

Jean Valjean est sans nul doute le Jean le plus connu de la littérature française. Il est, au début des Misérables, un personnage sans réelle identité, sans personnalité construite, et son patronyme en témoigne : « Jean Valjean » est le « Jean qui se promène le long du val, du chemin » ; Jean étant alors choisi comme un prénom extrêmement commun.

Au fil du roman, le personnage acquiert moult identités, mille et un statuts ainsi que plusieurs fonctions. Traqué par Javert, Jean deviendra le père de Cosette mais aussi le sauveur de Marius. Et l’un des plus grands personnages de la littérature mondiale.

Jean Passepartout, un domestique français au service d’un Anglais

Jean Passepartout est l’un des deux héros du Tour du monde en quatre-vingt jours de Jules Verne. Ecrit en 1872, le roman relate les aventures de Phileas Fogg, gentleman anglais, et de son domestique français Jean Passepartout qui tentent de tenir un pari fou : celui de faire le tour du monde en quatre-vingts jours ! Comme il l’explique à Phileas Fogg lors de son « entretien d’embauche », Jean Passepartout a quitté la France et officie en tant que valet à Londres, où cet ancien acrobate aspire à une vie paisible et sédentaire ! Jean souffre en effet de son patronyme et ce casanier ne souhaite qu’une chose : enfin se poser, et ne plus voyager ! Ce sera chose faite après un étonnant périple ; au cours duquel Jean fera montre de débrouillardise, fantaisie et générosité.

Jean des Esseintes, un jeune dandy névrosé

Jean Floressas des Esseintes,  est le fascinant héros du roman A rebours, de Huysmans, publié en 1884.

Rejeton d’une famille noble dégénérée affaiblie par des mariages consanguins et des maladies névrotiques, il est orphelin dès l’âge de dix-sept ans, et hérite d’une fortune colossale. Infatué de lui-même, gorgé d’un profond mépris pour l’humanité, il est assailli par un ennui dont rien ne peut le tirer.  Après s’être adonné à tous les plaisirs, jusqu’aux plus dépravés, sans parvenir à trouver autre chose qu’une exaltation morbide,  il se retire du monde dans une maison de Fontenay-aux-Roses. A rebours raconte comment ce véritable autiste qu’est Jean des Esseintes se construit une sorte de Thébaïde, accumulant mobilier, antiquités, chinoiseries, et objets divers ; et est progressivement gagné par la névrose et la maladie.

Sur le plan littéraire, on apprend que Des Esseintes considère Flaubert, Zola, et les Goncourt  comme le trois maîtres absolus de la prose. En poésie, ses goûts vont à Baudelaire, Verlaine, Tristan Corbière et Mallarmé. Edgar Poète, Villiers, Aloysius Bertrand, Charles Cros figurent également parmi ses autres auteurs de prédilection.

 Jean Roland, un fils illégitime chez Maupassant

Jean est le héros de Pierre et Jean, quatrième roman de Maupassant publié en 1887. Ce Jean-là est toujours perçu en opposition avec son frère. Jean a vingt-cinq ans, il est avocat, blond, placide et tendre. Pierre, son frère aîné de trente ans, est brun, ombrageux et intransigeant ; à l’image de son prénom ! C’est Pierre, le fils aîné, qui va découvrir que Jean est un fils illégitime, et c’est encore Pierre qui décidera de quitter sa famille, emportant le secret de famille avec lui. Jean, lui, épousera Mme Rosémilly, et est donc promis, à la fin du roman, à une vie paisible au sein de la société havraise.

Jean de Florette

Tragique héros du roman de Marcel Pagnol, Jean de Florette s’appelle en réalité Jean Cadoret.

C’est un citadin cultivé, un percepteur, qui, à la suite d’un héritage, décide de s’installer avec sa femme et sa fille aux Bastides blanches, un village perdu en pleine garrigue. Amoureux de la terre, Jean de Florette  a un projet : vivre de ses cultures ! L’eau est un enjeu majeur  pour son projet, et le roman raconte comment Jean se bat et s’épuise à trouver de l’eau sur sa terre ; alors que ses voisins, les jaloux Ugolin et César Soubeyran, dit « le Papet », ont bouché sa source avec du ciment !  Son surnom de « Jean de Florette » vient du fait qu’il est le fils d’une ancienne habitante du village où il s’installe,  Florette Camoins. Florette a quitté le village pour épouser Lionel Cadoret, il y a des années. On apprendra dans le deuxième tome de L’Eau des Collines, Manon des Sources, que Jean de Florette était en réalité le fils du Papet.

Très loin de la caricature du bobo citadin qui voudrait s’installer à la campagne, Jean de Florette est une des plus tragiques figures de la littérature du XXème siècle. Il a été immortalisé au cinéma par Gérard Depardieu, dans le film de Claude Berri.

Vous souhaitez relire des extraits du Tour du monde en quatre-vingt jours et lire le portrait biographique de Jean Valjean dans Les Misérables  ? Téléchargez notre appli Un texte Un jour !

Illustration : Gérard Depardieu dans Jean de Florette de Claude Berri (1986)

Drôle d’endroit pour une rencontre : les classiques de Sylvie Germain

« A travers les questions posées à partir des textes des auteurs classiques, j’ai découvert une formidable dynamique de la pensée »

 Sylvie Germain, c’est une voix étonnamment singulière, précise, et qui se réinvente à chaque nouvelle publication, et qui m’accompagne depuis plusieurs années désormais, du Le Livre des nuits en passant par Magnus.  Rencontrée il y a quelques mois dans un bus parisien, Sylvie Germain avait accepté ma proposition d’interview. Sa pièce Economie d’énergie, avec Sam Karmann et Cristiana Réali sera à l’affiche de la sixième édition du festival Le Paris des Femmes, dimanche 8 janvier 2017. Sixième édition dont le thème est « Scandale ».

Sylvie Germain, êtes-vous issue d’une famille de lecteurs ? Comment l’écriture, la littérature et la philosophie se sont-elles imposées à vous ?

Mon père était un grand lecteur, mais pas de romans, plutôt d’ouvrages scientifiques, historiques, politiques et philosophiques. Ma mère lisait surtout des livres d’histoire, sa passion. J’ai peu lu jusqu’à l’adolescence ; mon intérêt pour la lecture est donc venu assez tard (fin du lycée), du moins a-t-il été long à mûrir. Mais une fois en place, le goût de lire est demeuré très vif, et j’apprécie autant les « classiques » (de littérature française et étrangère) que des œuvres contemporaines. Quant à l’intérêt pour la philosophie, je l’ai découvert en terminale, au fil des cours de philo. A travers les questions posées à partir des textes des auteurs classiques, j’ai découvert une formidable dynamique de la pensée : aucune réponse ne suffit à clore les questions fondamentales. D’où la poursuite de la lecture, et de l’écriture…

Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

Je n’ai pas de « livres de chevet » à proprement parler, mais je reviens souvent à certains textes: essentiellement de la poésie (Rilke, Saint-John Perse, Verlaine, Rimbaud, Celan…)

La fréquentation d’Emmanuel Lévinas, ou de différentes œuvres ou auteurs, a-t-elle pu vous paralyser lorsque vous vous êtes lancée dans l’écriture ?

Toute « grande œuvre » est imposante, et intimidante, mais je ne ressens pas cette puissance comme paralysante, plutôt comme une stimulation. Car il ne s’agit pas du tout de prétendre se hausser au niveau des grands auteurs, de vouloir se comparer à eux, ce serait dérisoire. On écrit toujours en écho/dialogue/questionnement… à et avec d’autres auteurs.

Vous avez écrit plusieurs romans dépeignant des atmosphères rurales ou historiques comme Le Livre des nuits ou Jours de colère. Comment en êtes-vous venue à ce type d’œuvres ?

Je n’ai pas de réponse précise à cette question, je ne cherche jamais le « pourquoi » des thèmes, idées, images qui me viennent à l’esprit, s’y imposent et finissent par me donner envie de me lancer dans l’écriture d’un nouveau roman. Ça ne m’intéresse guère de savoir d’où me vient l’inspiration (de quelle strate de la mémoire, de quel recoin de l’inconscient, de quels plis et replis de l’imaginaire…), ce qui m’importe, c’est que cela prenne forme, cohérence (même en passant par la voie d’un certain fantastique parfois), et fasse un peu de sens.

Vous avez vécu et travaillé à Prague entre 1986 et 1993 et cette expérience vous a d’ailleurs inspiré le roman Immensités. Comment la culture française était-elle perçue à cette époque dans le contexte politico-culturel que l’on connaît ?

Dans le milieu que je fréquentais – celui de la dissidence -, les gens avaient une grande curiosité pour toute culture étrangère, dont l’accès était souvent difficile (très peu de traductions, et certains livres frappés d’interdit, donc non publiés ou retirés du circuit éditorial.) Beaucoup de textes circulaient en samizdats.                                     

La culture française était très appréciée, tant en philosophie, qu’en littérature et en poésie. Après 89, la curiosité s’est diversifiée, et dans le flot de publications qui a alors eu lieu, la qualité n’a pas toujours eu l’avantage… Quant à la littérature et à la langue française (et idem pour d’autres littératures et langues européennes), elles ont été assez abandonnées au profit de l’anglais et de la littérature américaine, comme un peu partout.

Vous avez reçu le prix Goncourt des lycéens pour Magnus en 2005. Comment analysez-vous la façon dont la littérature est aujourd’hui enseignée et envisagée par les lycéens ? A quelles attentes répondait Magnus selon vous ?

N’étant pas professeur de lycée, il m’est difficile de juger la façon dont la littérature est actuellement enseignée, et appréhendée par les élèves. Je crois que la qualité – humaine et pédagogique – de chaque enseignant est le plus important. Lors de rencontres avec des lycéens, dans des établissements très différents, j’ai pu apprécier le travail remarquable accompli par les professeur(e)s, et parfois aussi des documentalistes et/ou bibliothécaires qui avaient préparé leurs élèves, avaient su les motiver, éveiller leur curiosité, et leur esprit critique. Tout professeur qui s’investit dans son métier, qui aime vraiment la matière qu’il enseigne et prend à cœur l’importance de la transmission – de connaissances mais aussi de sa propre passion -, a des chances d’obtenir de beaux résultats (non pas en terme de notes, mais d’intérêt suscité chez les élèves).

Après l’obtention du prix des lycéens pour mon roman Magnus, j’ai été invitée dans des classes diverses (littéraires, scientifiques, techniques, professionnelles), et j’ai remarqué que ce qui avait le plus touché les lycéens c’était le thème de l’identité, de la quête (longue, difficile) de son identité par le personnage principal, car c’est là une question très sensible chez les adolescents.

 Illustration : Sylvie Germain © Tadeusz Kluba

NB : un « samizdat » désigne la « diffusion clandestine d’écrits censurés dans les pays d’Europe de l’Est sous les régimes communistes. »

Economie d’énergie de Sylvie Germain, dimanche 08 janvier 2017 au festival du Paris des Femmes