La goujaterie guidant le peuple : Félix Tholomyès dans « Les Misérables »

« L’homme est, je vous l’avoue, un méchant animal. »

Molière

Vous aviez rencontré quelqu’un mais cette charmante personne vient de vous quitter, par texto, sur un post-it, par mail ou en disparaissant dans la nature ? Avant de pleurer toutes les larmes de votre corps, apprenez qu’à une époque où quitter quelqu’un par texto relevait de la pure science-fiction, nos héros savaient déjà faire preuve d’une étonnante goujaterie !

Félix Tholomyès, le gentleman de ces dames

La palme de la goujaterie en matière de rupture revient sans nul doute à Félix Tholomyès, dont nous vous avons déjà parlé dans un précédent article ! Après deux ans de relation avec Fantine, Tholomyès a la charmante idée de proposer à ses trois amis Blachevelle, Listollier et Fameuil d’organiser une surprise en l’honneur de Fantine, Dahlia, Zéphir et Favourite. Rendez-vous donc est pris au « cabaret Bombarda »[1] Les quatre couples sont attablés, l’alcool coule à flots, l’atmosphère est légère…et Tholomyès boit trop, embrassant même Favourite à la place de Fantine.

Au théâtre ce soir !

C’est à l’issue du dîner que la surprise, telle une représentation théâtrale que l’on a attendue toute la soirée, survient : les quatre hommes se lèvent de table, embrassent leurs maîtresses et quittent le cabaret, probablement pour dessoûler sur les Champs-Elysées.

Si Dahlia, Zéphir et Favourite s’amusent de la fuite des quatre hommes, Fantine, elle, reste constamment inquiète….et elle a bien raison. Au bout d’un long moment, le serveur du cabaret Bombarda leur apporte une lettre, que les quatre femmes décachètent. Sobrement intitulée « CECI EST LA SURPRISE. », Favourite nous en fait la lecture. Nous ne résistons pas au plaisir de vous en dévoiler un extrait :

« A l’heure où vous lirez ceci, cinq chevaux fougueux nous rapporteront à nos papas et à nos mamans. Nous fichons le camp, comme dit Bossuet. Nous partons, nous sommes partis. […]

Signé :  Blachevelle.

             Fameuil.

             Listolier.

             Félix Tholomyès. »[2]

«  POST-SCRIPTUM. Le dîner est payé. »

Un post-scriptum en guise d’odieux post-it

Résumons-donc ! Quatre hommes, après avoir pris du bon temps deux années durant avec leurs compagnes, décident, en l’honneur de ces deux ans, de leur organiser une « surprise » (sic), attendue par ces dames avec la plus grande impatience. Nos mousquetaires choisissent donc un lieu, le cabaret, y organisent un dîner qu’ils font durer. La surprise, que l’on imagine tous être le clou du spectacle, apparaît comme un véritable coup de théâtre. Nos quatre héros prennent la fuite, et laissent aux quatre amies une seule et unique lettre (pourquoi se fatiguer à écrire une lettre personnalisée ?), chef-d’œuvre d’incorrection, de prétention et de cruauté.

Fantine au désespoir

Si Dahlia, Favourite et Zéphir trouvent la mise en scène très drôle – mise en scène qu’elles imputent à Tholomyès, le seul d’ailleurs à avoir signé la lettre de son prénom- , Fantine, elle, est absolument dévastée. Et pour cause :« Une heure après, quand elle fut rentrée dans sa chambre, elle pleura. C’était, nous l’avons dit, son premier amour ; elle s’était donnée à ce Tholomyès comme à un mari, et la pauvre fille avait un enfant. »

L’on connaît la suite de l’histoire.

[1] Victor Hugo, Les Misérables, Première partie, Livre troisième « En l’année 1817 », Chapitre 5 « Chez Bombarda », 1862

[2] Victor Hugo, Les Misérables, Première partie, Livre troisième « En l’année 1817 », Chapitre 9 « Fin joyeuse de la joie », 1862

Illustration : Carrie Bradshaw (Sarah Jessica Parker) et son post-it de rupture dans la série « Sex in the city »

 

Qui sont les Charles de la littérature classique ?

Prénom d’origine germanique, « Charles » vient du germanique « karl » qui signifie « viril ». Associé à la force et au pouvoir, ce prénom intemporel a souvent été l’apanage des rois ou de grandes figures politiques et intellectuelles.

De façon étonnante et tout à fait significative, les héros de la littérature qui se prénomment « Charles » ne frappent pas, au premier abord, par leur virilité !  Ils sont cependant assez nombreux pour esquisser le portrait de Charles aussi différents les uns des autres, et porteurs d’imaginaires riches et variés.

Charles de Batz-Castelmore, comte d’Artagnan

Eh oui, on l’ignore souvent, mais Charles est le prénom de d’Artagnan ! Au début des Trois Mousquetaires, d’Artagnan est un jeune Gascon qui monte à Paris pour intégrer le corps des mousquetaires de Louis XIII. Après une première rencontre conflictuelle avec les Mousquetaires – notamment avec Aramis, à propos d’un mouchoir brodé que d’Artagnan a la maladresse de ramasser – les quatre hommes deviennent amis. Tous les quatre s’opposeront au cardinal Richelieu pour sauver l’honneur de la reine Anne d’Autriche.

Généreux, courageux, mais aussi amoureux ; d’Artagnan est l’incarnation d’un certain idéal de jeunesse que rien ne semble pouvoir ternir. On le retrouve, plus âgé, dans Vingt après et Le vicomte de Bragelonne. Il est le plus grand personnage de cape et d’épée de la littérature française.

Charles Bingley, solaire et généreux

Personnage d’Orgueil et préjugés, Charles Bingley est le meilleur ami de Fitzwilliam Darcy. Alors que ce dernier apparaît comme un personnage fier et ténébreux, Charles frappe par son aspect solaire, sa profonde gentillesse et sa générosité. Ce sont ces qualités, qui détonnent au sein de l’aristocratie du  Hertfordshire, qui séduisent Jane Bennet, qui se reconnaît en tout point en Charles.

Malheureusement, la gentillesse de Charles nuit à sa clairvoyance. Manipulé par sa sœur Caroline, il en faut de peu pour qu’il passe à côté de l’amour de sa vie et c’est grâce à l’intervention de Darcy que Charles pourra finalement s’unir à Jane.

Si Charles Bingley peut par moment paraître un peu falot, il apparaît au bout du compte comme un personnage un peu jeune, et tellement bon qu’il ne voit le mal nulle part. La fin du roman et la très belle demande en mariage qu’il fait à Jane achèvent de brosser le portrait d’un personnage éminemment sympathique, comme on n’en trouve guère en littérature.

Charles Bovary, l’humilié magnifique

Charles Bovary est un des personnages les plus connus, et les plus malheureux de la littérature française ! Hanté par le traumatisme d’une entrée en cinquième catastrophique, « Charbovary » est un personnage qui n’est jamais à la hauteur, ni des rêves de sa femme, Emma, ni des ambitions sociales de sa mère. Médiocre officier de santé, on imagine aisément qu’il aspirait à une vie plus simple que celle dont rêvait sa femme Emma. Mais d’ailleurs, sait-il lui-même ce dont il rêve ?

Toujours satisfait de lui-même, il est difficile de trouver des circonstances atténuantes à ce personnage sans finesse, cocu idéal.

Charles Swann, l’aristocrate fin et élégant

C’est un Charles bien différent que dépeint Marcel Proust dans A la recherche du temps perdu ! Ami fidèle du narrateur, Charles Swann est un modèle d’élégance, de culture, de distinction et de raffinement. Personnage sentimental et complexe, Charles Swann s’est trouvé embrigadé dans une relation amoureuse avec Odette de Crécy, une vulgaire cocotte qui ne lui ressemble en rien. Une fois leur relation finie, Charles le reconnaîtra : « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre »[1]. Il aura d’ailleurs une fille, Gilberte, avec Odette qu’il finira par épouser.

Apprenant au cours du roman qu’il est mourant, Charles Swann se confie à son amie Oriane de Guermantes qui n’en croit un mot et préfère le planter pour aller changer de chaussures : c’est la magnifique scène finale du Côté de Guermantes.

La fin tragique de Charles Swann laissera le Narrateur et les lecteurs d’A la recherche du temps perdu bouleversés. Le personnage sombrera néanmoins dans l’oubli, car, contrairement au Narrateur, Swann n’aura pas su devenir un artiste.

 

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[1] Marcel Proust, Un amour de Swann, 1913

Illustration : Simon Woods dans le rôle de Charles Bingley dans le film Orgueil et préjugés de Joe Wright (2005)