J’en ai cauchemardé, Flaubert l’a fait : la rentrée scolaire de Charles Bovary !

C’est la rentrée des classes ! Liste de fournitures, remplissage de fiches, découverte de nouveaux visages, nouveaux lieux et nouvelles matières… Chaque rentrée scolaire est riche en émotions et imprévus, qu’ils soient propices à la joie, ou sources d’angoisse ! S’il y a bien un héros qui a souffert d’une rentrée scolaire traumatisante, c’est Charles Bovary ! Et c’est le récit de ce souvenir, qui hantera le héros des années durant, qui constitue l’incipit de Madame Bovary. En voici un extrait :

« Nous étions à l’étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.

Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d’études :

— Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l’appelle son âge. […]

Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une bouche démesurée et lança à pleins poumons, comme pour appeler quelqu’un, ce mot : Charbovari. Ce fut un vacarme qui s’élança d’un bond, monta en crescendo, avec des éclats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trépignait, on répétait : Charbovari ! Charbovari !), puis qui roula en notes isolées, se calmant à grand-peine, et parfois qui reprenait tout à coup sur la ligne d’un banc où saillissait encore çà et là, comme un pétard mal éteint, quelque rire étouffé. »[1]

Un nouvel élève dans une classe de cinquième

Plus que d’une rentrée scolaire, il s’agit plutôt de l’arrivée d’un nouvel élève dans une classe. Il ne connaît personne, et il est bien plus âgé que ses camarades. Notre héros a probablement redoublé plusieurs fois ou fait des pauses dans sa scolarité. Le texte fait un long portrait de ce nouvel élève, et notamment de la casquette qu’il porte mais l’on ignore son identité exacte. Nous avons également une présentation rapide d’une classe et de ses us et coutumes.

Un univers hostile

Cette classe apparaît très vite comme un univers hostile envers le nouvel élève. Le maître ne fait rien pour mettre à l’aise le nouvel élève, et ne cesse de le rudoyer. Il n’est pas présenté à la classe, à peine introduit, et est directement jeté dans la fosse aux lions. Aucun élève ne lui adresse la parole.

Si le héros semble issu d’un milieu bourgeois, les élèves, eux, appartiennent à un milieu bien plus populaire et est donc d’ores et déjà exclu du groupe. Outre cela, tous les élèves participent à un rite qui consiste à balayer le sol avec la casquette. La casquette de notre héros, bien trop luxueuse, interdit la participation à ce rite.

La casquette du nouvel élève

Le nouveau porte lui aussi une casquette. Flaubert décrit cette casquette plusieurs lignes durant, qui apparaît comme une casquette bien trop chargée, ridicule et outrancière. Elle nous montre que cet élève ne maîtrise pas les codes sociaux qui l’entourent et n’a pas « LA » casquette qui lui permettra de s’intégrer. Il finit d’ailleurs par la faire tomber.

De « Charbovari » à Charles Bovary…

Lorsque le maître demande au nouvel élève son nom, ce dernier, intimidé, ne peut articuler qu’un vague « Charbovari », qui sera repris par tous les élèves de la classe. On imagine aisément que les élèves passeront toute l’année à poursuivre le nouveau en l’appelant « Charbovari ». Il s’agit bel et bien d’une rentrée cauchemardesque pour ce pauvre Charles !

Que signifie cette rentrée scolaire dans Madame Bovary ?

Comme nous l’avons dit, ce texte fait l’ouverture du roman de Flaubert et il nous présente le futur mari d’Emma, des années avant leur rencontre puisque nous devinons que « Charbovari » est Charles Bovary. En racontant cet épisode marquant dans la vie de Charles, l’auteur place déjà le mariage d’Emma et sa propre vie sous le signe de l’amertume et de la déception. Charles étant un personnage faible et quelque peu inadapté, la vie d’Emma ne pourra être qu’un échec. L’incipit de Madame Bovary exprime en tout cas parfaitement l’idée du traumatisme d’enfance qui peut nous hanter des années durant.

Bonne rentrée scolaire à tous !

Vous n’avez pas envie de reprendre le chemin de l’école ? Rappelez-vous que Charles Bovary était sûrement bien plus à plaindre que vous. Et nous vous souhaitons une très belle rentrée scolaire, loin de l’univers flaubertien !

Vous souhaitez en savoir plus sur Madame Bovary ? Découvrez La première fois que Bérénice vit Aurélien, elle le trouva franchement con, de Sarah Sauquet aux éditions Eyrolles

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Crédit photographique : © Robert Doisneau

[1] Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857

« Demain, peut-être, il bougera » : de la Procrastination ou les Caractères de Frédéric Verdier

Et si Frédéric Verdier revisitait Les Caractères ? Sensible à l’humour, au trait d’esprit et au caractère universel de l’œuvre de La Bruyère, le journaliste s’est proposé de les revisiter, abandonnant la distraction de Ménalque et la prétention d’Arras pour épingler les maux qui font notre monde contemporain. Premier caractère, donc, avec l’évocation du Procrastinateur !

Harassé, vanné, recuit par les fatigues accumulées d’une pleine saison de labeur, le vacancier à l’aube de ses congés justement conquis, s’avance avec confiance et entrain vers son ambitieux programme du Jour 1 :

lecture des Mémoires de Saint-Simon, depuis des années remise ; promenade inlassable dans la sauvage campagne environnante, enchaînement implacable de la visite d’un village fortifié valant le détour, aux dires d’un opuscule local, ponctué par une partie de tennis prometteuse dans la douceur de l’après-midi finissante.

Et voilà que, saisi par l’exemple de Lafargue, le procrastinateur exerce son droit à la paresse.

Préférant son lit à tout autre lieu , le Procrastinateur remet, diffère, et trouve en toute chose matière à rechigner.

La lecture du chef d’œuvre annoncé l’intimide, la chape de plomb lui voile par avance les yeux.

La chaleur écrasante de l’atmosphère rend bien hasardeuse toute idée d’excursion.

Ce village aux contreforts escarpés s’annonce comme un fameux pensum, la pensée même de gravir ses ruelles en pente s’avère un cauchemar insoutenable.

La journée s’écoule comme un vieux robinet. Avec des grâces pachydermiques, le Procrastinateur tourne et retourne dans ses draps moites, pris d’une torpeur aussi délicieuse qu’absolue.

La perspective de l’activité sportive de fin de journée se change en menace déraisonnable, les spectres du claquage, de l’AVC et de la crise cardiaque se font jour avec une inquiétante réalité.

Hébété, hagard, le Procrastinateur invoque la météo plus clémente du lendemain.

Du lit au lavabo, de la cuisine à la table, du hamac au transat, le jour se découpe puis s’évanouit avec délices dans la torpeur estivale. Allez, on remet ça.

Seul écueil à cette molle résolution : la mauvaise conscience. La sensation confuse du temps perdu.

Par bonheur la littérature vient opportunément chasser ce sombre nuage. Oblomov, le grand maître de l’immobilisme et de la procrastination. L’Oblobovisme, voilà le remède à tous les complexes! Doué mais velléitaire, riche mais négligeant sa fortune, capable de raisonnements pertinents mais ralenti immanquablement par une paresse totale et assumée, le héros fondateur d’un des aspects du caractère russe vient au secours de tous les rêveurs incorrigibles. Sans qu’il ne soit plus besoin de pénitence, le Procrastinateur s’affranchit de tout projet d’action d’envergure, bientôt de la moindre envie de mouvement, atteignant l’immobilité complète, dense et ramassé sur lui-même, comme un œuf. Dans cet état semi-gazeux, bercé par une rêverie interminable, le Procrastinateur abolit le temps et songe, apaisé et tranquille, que demain peut-être, il bougera.

Frédéric Verdier.

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Illustration : Philippe Noiret dans Alexandre le Bienheureux d’Yves Robert (1968)