Quels personnages de la littérature participeraient à #VendrediLecture ?

Ah, le #VendrediLecture… Cette grand-messe que les lecteurs connectés, blogueurs, auteurs et éditeurs attendent chaque semaine avec impatience. Parfait baromètre des lectures du moment, ce rendez-vous hebdomadaire donne souvent lieu à de belles (re)découvertes : classiques qu’on croyait oubliés, lectures inavouables que l’on ose revendiquer, sorties récentes, dédicacées, que l’on est fiers d’exhiber… A chacun son #VendrediLecture ! Et si les héros de la littérature avaient pu y participer ? Dis-moi quelle est ta #VendrediLecture, je te dirai qui tu es….

Jane Eyre est fascinée par les Voyages de Gulliver

« Bessie me demanda si je désirais un livre ; le mot livre agit sur moi comme un stimulant passager, et je la priai d’aller chercher les Voyages de Gulliver dans la bibliothèque. C’est un livre que j’avais lu et relu avec délices ; je le regardais comme le récit de choses qui existent réellement, j’y avais trouvé une source d’intérêt plus profonde que dans les contes de fées ; »

Charlotte Brontë, Jane Eyre, chapitre III, 1847

Aurélien est hanté par Bérénice de Racine

« Qu’elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n’y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l’irritait.

Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l’avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu’il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l’avait obsédé, qui l’obsédait encore :

Je demeurai longtemps errant dans Césarée…

En général, les vers, lui… Mais celui-ci lui revenait et revenait. Pourquoi ? C’est ce qu’il ne s’expliquait pas. »

Louis Aragon, Aurélien, 1944

Chick lit le cultissime Paradoxe sur le Dégueulis de Jean-Sol Partre

« Bonjour ! dit Chloé…

  • Bonj… Etes-vous arrangée par Duke Ellington ? » demanda Colin… Et puis il s’enfuit, parce qu’il avait la conviction d’avoir dit une stupidité.

Chick le rattrapa par un pan de sa veste.

«  Où vas-tu comme ça ? Tu ne vas pas t’en aller déjà ? Regarde !… »

Il tira de sa poche un petit livre relié en maroquin rouge.

«  C’est l’original du Paradoxe sur le Dégueulis, de Partre…

Boris Vian, L’Ecume des jours, 1947

Gargantua recommande Plutarque, Platon, Pausanias, et Athénée à son fils Pantagruel

« Même les femmes et les filles ont aspiré à cette louange et à cette manne céleste de la bonne science. Si bien qu’à mon âge j’ai été obligé d’apprendre le grec, non que je l’aie méprisé comme Caton, mais je n’avais pas eu la possibilité de l’apprendre en mon jeune âge ; et volontiers je me délecte à lire les Traités moraux de Plutarque, les beaux dialogues de Platon, les Monuments de Pausanias et les Antiquités d’Athénée, en attendant l’heure qu’il plaise à Dieu mon créateur de m’appeler et m’ordonner de sortir de cette terre. »

Rabelais, Pantagruel, chapitre VIII, « Comment Pantagruel, étant à Paris, reçut des lettres de son père Gargantua et la copie de celles-ci », 1532

Dorian Gray parcourt Manon Lescaut de l’abbé Prévost en attendant Lord Henry

« Lord Henry n’était pas encore rentré. Par principe, il était toujours en retard, son principe étant que la ponctualité est une voleuse de temps. Aussi le jeune homme avait-il l’air un peu boudeur, cependant que ses doigts tournaient distraitement les pages richement illustrées d’une édition de Manon Lescaut qu’il avait trouvée dans l’une des bibliothèques. »

Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, chapitre 4, 1890

Julien Sorel dévore le Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases en cachette de son père

« Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait. Rien n’était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture lui était odieuse, il ne savait pas lire lui-même.

Ce fut en vain qu’il appela Julien deux ou trois fois. L’attention que le jeune homme donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de son père.[…] À peine Julien fut-il à terre, que le vieux Sorel, le chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. Dieu sait ce qu’il va me faire ! se disait le jeune homme. En passant, il regarda tristement le ruisseau où était tombé son livre ; c’était celui de tous qu’il affectionnait le plus, le  Mémorial de Sainte-Hélène. »

Stendhal, Le Rouge et le Noir, Livre I, Chapitre IV, 1830

Bouvard et Pécuchet lisent Rousseau, Mme de Staël, Benjamin Constant et Claire de Duras

« A haute voix et l’un après l’autre, ils parcoururent La Nouvelle Héloïse, Delphine, Adolphe, Ourika. Mais les bâillements de celui qui écoutait gagnaient son compagnon, dont les mains bientôt laissaient tomber le livre par terre. Ils reprochaient à tous ceux-là de ne rien dire sur le milieu, l’époque, le costume des personnages. Le cœur est traité. Toujours du sentiment ! Comme si le monde ne contenait pas autre chose ! »

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, chapitre 5, 1881

Emma Bovary a été marquée par Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre

« Elle avait lu Paul et Virginie et elle avait rêvé la maisonnette de bambous, le nègre Domingo, le chien Fidèle, mais surtout l’amitié douce de quelque bon petit frère, qui va chercher pour vous des fruits rouges dans des grands arbres plus hauts que des clochers, ou qui court pieds nus sur le sable, vous apportant un nid d’oiseau. »

Gustave Flaubert, Madame Bovary,  Première partie, chapitre 6, 1857

Lecture du jour, du moment, lecture qu’ils recommandent  ou qui les a façonnés, nos héros littéraires ont, tous, en eux, un #VendrediLecture. Et vous, quel sera votre #VendrediLecture ? Nous vous souhaitons, en tout cas, une excellente journée !

Vous souhaitez relire Madame Bovary ou Le Rouge et le Noir ? N’attendez plus pour télécharger les applis Un texte Un jour et Un Texte Un Eros !

Vous souhaitez relire Jane Eyre, les Voyages de Gulliver ou Le Portrait de Dorian Gray ? Découvrez notre appli A text A day !

Illustration : Claude Jade et Jean-Pierre Léaud dans Domicile conjugal (François Truffaut, 1970)

NB : Paradoxe sur le Dégueulis de Jean-Sol Partre est une allusion de Boris Vian à La Nausée de Jean-Paul Sartre

NB : Pour en savoir plus sur Claire de Duras, l’auteur du roman Ourika : https://fr.wikipedia.org/wiki/Claire_de_Duras

 

 

J’en ai cauchemardé, Flaubert l’a fait : la rentrée scolaire de Charles Bovary !

C’est la rentrée des classes ! Liste de fournitures, remplissage de fiches, découverte de nouveaux visages, nouveaux lieux et nouvelles matières… Chaque rentrée scolaire est riche en émotions et imprévus, qu’ils soient propices à la joie, ou sources d’angoisse ! S’il y a bien un héros qui a souffert d’une rentrée scolaire traumatisante, c’est Charles Bovary ! Et c’est le récit de ce souvenir, qui hantera le héros des années durant, qui constitue l’incipit de Madame Bovary. En voici un extrait :

« Nous étions à l’étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.

Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d’études :

— Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l’appelle son âge. […]

Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une bouche démesurée et lança à pleins poumons, comme pour appeler quelqu’un, ce mot : Charbovari. Ce fut un vacarme qui s’élança d’un bond, monta en crescendo, avec des éclats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trépignait, on répétait : Charbovari ! Charbovari !), puis qui roula en notes isolées, se calmant à grand-peine, et parfois qui reprenait tout à coup sur la ligne d’un banc où saillissait encore çà et là, comme un pétard mal éteint, quelque rire étouffé. »[1]

Un nouvel élève dans une classe de cinquième

Plus que d’une rentrée scolaire, il s’agit plutôt de l’arrivée d’un nouvel élève dans une classe. Il ne connaît personne, et il est bien plus âgé que ses camarades. Notre héros a probablement redoublé plusieurs fois ou fait des pauses dans sa scolarité. Le texte fait un long portrait de ce nouvel élève, et notamment de la casquette qu’il porte mais l’on ignore son identité exacte. Nous avons également une présentation rapide d’une classe et de ses us et coutumes.

Un univers hostile

Cette classe apparaît très vite comme un univers hostile envers le nouvel élève. Le maître ne fait rien pour mettre à l’aise le nouvel élève, et ne cesse de le rudoyer. Il n’est pas présenté à la classe, à peine introduit, et est directement jeté dans la fosse aux lions. Aucun élève ne lui adresse la parole.

Si le héros semble issu d’un milieu bourgeois, les élèves, eux, appartiennent à un milieu bien plus populaire et est donc d’ores et déjà exclu du groupe. Outre cela, tous les élèves participent à un rite qui consiste à balayer le sol avec la casquette. La casquette de notre héros, bien trop luxueuse, interdit la participation à ce rite.

La casquette du nouvel élève

Le nouveau porte lui aussi une casquette. Flaubert décrit cette casquette plusieurs lignes durant, qui apparaît comme une casquette bien trop chargée, ridicule et outrancière. Elle nous montre que cet élève ne maîtrise pas les codes sociaux qui l’entourent et n’a pas « LA » casquette qui lui permettra de s’intégrer. Il finit d’ailleurs par la faire tomber.

De « Charbovari » à Charles Bovary…

Lorsque le maître demande au nouvel élève son nom, ce dernier, intimidé, ne peut articuler qu’un vague « Charbovari », qui sera repris par tous les élèves de la classe. On imagine aisément que les élèves passeront toute l’année à poursuivre le nouveau en l’appelant « Charbovari ». Il s’agit bel et bien d’une rentrée cauchemardesque pour ce pauvre Charles !

Que signifie cette rentrée scolaire dans Madame Bovary ?

Comme nous l’avons dit, ce texte fait l’ouverture du roman de Flaubert et il nous présente le futur mari d’Emma, des années avant leur rencontre puisque nous devinons que « Charbovari » est Charles Bovary. En racontant cet épisode marquant dans la vie de Charles, l’auteur place déjà le mariage d’Emma et sa propre vie sous le signe de l’amertume et de la déception. Charles étant un personnage faible et quelque peu inadapté, la vie d’Emma ne pourra être qu’un échec. L’incipit de Madame Bovary exprime en tout cas parfaitement l’idée du traumatisme d’enfance qui peut nous hanter des années durant.

Bonne rentrée scolaire à tous !

Vous n’avez pas envie de reprendre le chemin de l’école ? Rappelez-vous que Charles Bovary était sûrement bien plus à plaindre que vous. Et nous vous souhaitons une très belle rentrée scolaire, loin de l’univers flaubertien !

Vous souhaitez en savoir plus sur Madame Bovary ? Découvrez La première fois que Bérénice vit Aurélien, elle le trouva franchement con, de Sarah Sauquet aux éditions Eyrolles

Vous souhaitez relire la rentrée scolaire de Charles Bovary ? Téléchargez notre appli Un texte Un jour !

Crédit photographique : © Robert Doisneau

[1] Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857