« Pour un parfumeur, quelle enseigne ! » Pourquoi la tirade du nez est-elle un texte universel ?

« C’est un roc ! … c’est un pic… c’est un cap ! » Tout le monde connaît la tirade du nez de Cyrano de Bergerac, que vous pouvez retrouver au sein de notre application Un texte Un jour . Cette tirade écrite par Edmond Rostand est un des textes les plus connus de la littérature française. Pourquoi ?

Quel est le but de cette tirade ?

La tirade du nez se situe à l’acte I scène 4 de Cyrano de Bergerac.

Alors qu’il assiste à une pièce de théâtre, Cyrano interrompt la pièce qu’il est en train de voir et s’en prend à l’acteur Montfleury qui jouerait trop mal. Cyrano, provocateur, se met à dos tout le public et notamment Valvert, rival de Cyrano. Valvert attaque maladroitement Cyrano sur son nez disgracieux et ce dernier, piqué au vif, réplique. Nous assistons alors à la tirade du nez. Cette tirade du nez est donc une réponse à Valvert, qui sublime et répare ce nez outragé.

Outre cela, cette tirade intervient à l’acte I scène 4. Cette scène constitue la première apparition de Cyrano.  Elle va donc constituer, de manière implicite, un portrait du personnage éponyme qui apparaît comme un personnage hors-norme et exceptionnel orateur.

Un morceau de bravoure

Qu’est-ce qu’un morceau de bravoure ? Une très longue tirade, une tirade difficile, exigeante, un « morceau de bravoure » pour un acteur. Cette tirade est d’autant plus difficile à jouer que la tirade est dite « spontanément », en plein théâtre, devant un public. Cyrano interagit avec Valvert, et avec le public du théâtre, qui les observe et se délecte du spectacle.

La tirade montre l’exceptionnelle verve de Cyrano ! Cyrano manie plusieurs registres de langue, manie les figures de style, emploie un vocabulaire précis et technique, difficile à prononcer (« conque », « Hippocampelephantocamelos »)… le tout accompagné de gestes et d’interactions avec Valvert, Champfleury et le public !

Une fabuleuse victoire des nez

« Vous…. vous avez un nez… heu… un nez… très grand. » Voilà ce que Valvert a dit à Cyrano. Rien de plus éloquent pour décrire l’appendice nasal dont Cyrano est affublé.

Cyrano, qui pourrait, et est peut-être complexé par ce nez, va montrer à Valvert, et à tout le public, qu’il peut jouer de ce nez, et en faire un atout magistral. Cyrano énonce différents adjectifs, et use de différentes tonalités pour décrire son nez. Jouant sur différents « tableaux », il se met le public dans sa poche et désamorce toute éventuelle critique de son nez.

De façon universelle, cette tirade est une superbe revanche, la revanche que tous les complexés rêveraient d’avancer à ceux qui se moquent d’eux. Cyrano transforme le grotesque en sublime.

Cyrano, le plus grand personnage du théâtre français

Personnage hors-norme, Cyrano est capable d’affronter un public entier, mais ne peut dévoiler ses sentiments à Roxane – Roxane qui assiste d’ailleurs à la tirade. Cette tirade, qui constitue un portrait, nous montre un personnage dans toute sa complexité, et sa virtuosité.

Edmond Rostand atteint son but : Cyrano de Bergerac s’ouvre avec une tirade sublime. Le reste de la pièce devra être à la hauteur du mythe déjà créé !

Vous souhaitez relire la tirade du nez et d’autres extraits de Cyrano de Bergerac ? Téléchargez nos applications Un texte Un jour et Un Texte Un Eros  !

Illustration : Gérard Depardieu dans Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau (1990)

 

 

Qui sont les audacieux de la littérature classique ?

« Avoir de l’audace », « oser changer », « sortir de sa zone de confort », sont des thématiques et expressions extrêmement en vogue. Si vous hésitez encore à « franchir le pas », ou « passer le cap », que ce soit dans votre vie personnelle ou professionnelle, petit passage en revue des audacieux de la littérature classique !

La tête-brûlée : Fabrice del Dongo dans La Chartreuse de Parme

Roman que Stendhal lui-même a dédicacé « To the Happy Few » (que l’on pourrait traduire littéralement par « ceux qui savent être heureux »), La Chartreuse de Parme suit les aventures de Fabrice del Dongo, un aristocrate italien qui a le don pour se mettre dans d’invraisemblables situations. Il est constamment protégé par sa tante, la duchesse de Sanseverina, secrètement amoureuse de lui.

Au début du roman, Fabrice, éperdu d’admiration pour Napoléon Ier, décide, comme ça, sur un coup de tête, de rejoindre le champ de bataille de Waterloo, en Belgique ! Sur place, Fabrice est totalement perdu et ne comprend absolument rien à ce qui relève d’un indescriptible chaos.

Stendhal nous le dit : « Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. »[1]. Partagé entre incompréhension et horreur, Fabrice s’est mis dans une véritable galère, une première parmi tant d’autres !

Aux innocents les mains pleines : Félix de Vandenesse dans Le Lys dans la vallée

Dans un tout autre genre, Félix de Vandenesse est lui aussi un sacré phénomène ! Le héros du Lys dans la vallée conçoit un amour fou, mais pourtant platonique pour Henriette de Mortsauf, une femme mariée et plus âgée que lui. Lors de leur première rencontre, en pleine réception, Félix est subitement ébloui par le parfum et la vue d’une inconnue. Ni une ni deux : Félix, tel un kamikaze, couvre de baisers les épaules nues d’Henriette !

Cette attitude, qui relèverait a priori du suicide, permettra à Félix de faire la connaissance d’Henriette !

« À nous deux maintenant ! »  : Eugène de Rastignac dans La Comédie humaine

Le héros de Balzac, que l’on retrouve dans plusieurs romans de La Comédie humaine, est prêt à tout pour réussir, corruption, affairisme, clientélisme ! C’est sans aucun scrupule qu’il convolera en justes noces avec la fille de son ancienne maîtresse, Delphine de Nucingen ! C’est à cet angoumoisin monté à Paris pour réussir que l’on doit le très célèbre « À nous deux maintenant ! » qu’il prononce après les obsèques du père Goriot, en haut du Père Lachaise, comme un défi lancé à Paris. Son évolution au sein de La Comédie humaine n’est en rien positive. Plus les années passent, et plus Rastignac gagne en cynisme.

L’on ne sera pas étonné d’apprendre que son deuxième père spirituel, après Le Père Goriot, est Vautrin. L’ancien forçat lui délivre une leçon d’anthologie : « Voilà le carrefour de la vie, jeune homme, choisissez. Vous avez déjà choisi : vous êtes allé chez notre cousine de Bauséant, et vous y avez flairé le luxe. Vous êtes allé chez madame de Restaud, la fille du père Goriot, et vous y avez flairé la Parisienne. Ce jour-là vous êtes revenu avec un mot écrit sur votre front, et que j’ai bien su lire Parvenir ! Parvenir à tout prix. »[2]

Le résilient : Edmond Dantès dans Le Comte de Monte-Cristo

Il en faut du courage et de la résilience pour réaliser ce qu’Edmond Dantès a fait ! Après avoir passé quatorze années enfermé au Château d’If, faussement accusé de bonapartisme, Edmond Dantès réussit à s’enfuir ! Comment ? Il ose prendre la place du mort dans le sac de l’abbé Faria, fait le mort, est ligoté puis jeté à la mer. Trouvant refuge sur l’île de Monte-Cristo sur laquelle l’attend un trésor, Edmond mûrit  une implacable et sourde vengeance. L’on connaît la suite de l’histoire.

Celui qui a le sens du sacrifice : Cyrano de Bergerac

Certains personnages incarnent l’audace à eux tout seuls ! Affublé d’un nez proéminent, Cyrano de Bergerac, le héros d’Edmond Rostand,  a décidé de faire de ce handicap un atout. Sa verve et son goût pour les mots ; il les met au service de la construction d’une légende, d’un personnage qui n’a pas peur de défier ses nombreux ennemis, ni d’interrompre une représentation théâtrale !

Mais c’est une toute autre audace qui le guide sur le plan amoureux. Secrètement épris de sa cousine Roxane, il accepte d’aider le cadet Christian de Neuvillette à séduire Roxane, en lui prêtant son éloquence. Et comme le dit Cyrano : « Toi du charme physique et vainqueur, prête-m’en : / Et faisons à nous deux un héros de roman ! »[3]

Celle qui se bat envers et contre tout : Jane Eyre

Modèle de bonté, de courage dans l’adversité et de persévérance, Jane Eyre, l’héroïne de Charlotte Brontë, est une véritable audacieuse ! Eprise de Rochester, elle n’hésite pas à quitter Thornfield lorsqu’elle réalise que ce dernier est déjà marié. Sans emploi, désormais à la rue, Jane affronte maintes difficultés avant d’être recueillie par deux sœurs, Diana et Mary Rivers. Alors qu’elle retrouve un emploi et un semblant de stabilité, Jane refuse la demande en mariage qui lui est faite par St. John, un homme d’Eglise, cousin éloigné mais dont elle n’est pas amoureuse. Jane finira par trouver le bonheur et la paix auprès de Rochester, et le lecteur ne peut que se réjouir avec Jane d’un tel dénouement !

Celui à qui tout réussit : Georges Duroy dans Bel-Ami

Publicité vivante pour l’audace, le héros du roman de Maupassant nous montre de façon éhontée que l’on peut oser, et réussir sans n’être jamais arrêté dans sa course ! A la fin de Bel-Ami, Georges Duroy est à son apogée : il a su user de son charme et de ses conquêtes féminines pour gravir, une à une, les marches de la réussite sociale, et connaître une fulgurante carrière de journaliste. Ce gratte-papier désormais anobli épouse, dans l’enceinte prestigieuse de l’église de la Madeleine, à Paris, la fille de M. Walter, son patron, dont il avait auparavant séduit l’épouse !

Résumons donc : Georges a fait pression auprès de Charles Forestier pour intégrer La Vie française. Il a séduit Madeleine Forestier avant d’en faire son nègre. Après la mort de Charles, il a épousé Madeleine, et s’est arrangé pour pouvoir divorcer. Après avoir séduit Mme Walter, femme du directeur de La Vie française, Georges enlève leur fille et l’épouse ! Le tout, bien sûr, sans oublier de nombreuses maîtresses lui offrant gite et couvert, et soutien indéfectible (Mme de Marelle). Et de solides relations, lui offrant l’ascension sociale qu’il dessine.

Moralité : la chance sourit aux audacieux ! Alors qu’attendez-vous pour oser ?

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Illustration : Camille Cottin dans Connasse princesse des cœurs (2014)

[1] Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839

[2] Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835

[3] Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, II 10, 1897