D’une bibliothèque à Antibes à Un appartement à Paris : les classiques de Guillaume Musso

Beaucoup de mes romans sont en fait bâtis autour de la phrase de Gabriel Garcia Marquez « Un homme a trois vies, une vie privée, une vie publique, une vie secrète ». Et c’est sur la vie secrète que s’articulent la plupart de mes romans à suspense.

On ne présente plus Guillaume Musso, auteur français le plus lu et qui publie ces jours-ci son quatorzième roman chez XO Editions, Un appartement à Paris. Avec une confondante disponibilité, Guillaume Musso nous a accordé un entretien dans lequel il est revenu sur les œuvres qui ont construit le lecteur, puis l’auteur qu’il est devenu. On y découvre un homme généreux, avide de faire partager ses lectures, mais surtout un conteur-né, qui conçoit la création romanesque et la rencontre avec les lecteurs comme une sorte d’alchimie miraculeuse. A mille lieues de recettes éculées et de procédés tout faits, Guillaume Musso n’a d’autre ambition que d’écrire, à chaque fois, le livre qu’il rêverait de lire.

 M. Musso, quel lecteur de classiques êtes-vous ou avez-vous été ?

Mon parcours est assez clair. Je suis fils de bibliothécaire, pendant longtemps assez rétif aux livres. La découverte des romans et du plaisir de lire se fait de façon très limpide, tel un déclic : j’ai onze ans, ce sont les vacances de Noël, je suis gardé par mes grands-parents et on regarde la télé. Coupure de courant. Il faut faire autre chose mais il fait froid dehors. Dans la bibliothèque de mon grand-père, il y a les Mémoires du Général de Gaulle, et il y a un vieux livre, un livre qui appartenait à ma mère quand elle était plus jeune, Les Hauts de Hurlevent. Et je commence à lire ce livre, mon premier livre sans images, hors de toute lecture scolaire. Et j’ai un véritable coup de cœur pour ce livre, à la fois pour son histoire, pour son aspect tourmenté, gothique. Mais je suis surtout fasciné par la façon dont les passions humaines sont racontées, et à onze ans, c’est la première fois que j’ai l’impression de pénétrer dans l’inconscient des personnages. Avec le recul, j’arrive à poser des mots sur ce qui m’a fasciné à l’époque : le fait que des mots, couchés sur papier 150 ans plus tôt par une jeune Anglaise qui vivait dans la lande au fin fond du Yorkshire puissent avoir un impact aussi fort sur moi, petit Français vivant en 1985. Les Hauts de Hurlevent a donc constitué une porte d’entrée à une boulimie de lectures, et ceci d’autant plus que j’avais le temps. Adolescent, j’avais le temps.

Vous avez onze ans, et vous devenez donc un lecteur compulsif.

Tout à fait. Je passe le mercredi, le samedi ou les vacances scolaires à la bibliothèque municipale d’Antibes, place du général de Gaulle, que dirige ma mère.  J’ai l’impression d’être le seigneur d’un château de livres, au mois d’août, il n’y a personne, tout le monde est à la plage…. Et très vite, j’ai envie de lire des choses différentes. Je lis Emily Brontë, je découvre qu’elle a des sœurs. Je suis ensuite conseillé par ma mère, qui me dit « si tu aimes les sœurs Brontë, tu aimeras Le Grand Meaulnes ». Je reviens à des lectures françaises, je découvre les œuvres qui ont été écrites à cette période. Mes premières lectures fonctionnent telles des ramifications ou des liens hypertextes.

Ma mère joue  bien sûr un rôle prépondérant dans cette découverte de la lecture. « Lire, c’est bien, mais il ne faut pas être snob », me dit-elle. « Lis de tout, lis les classiques français, Balzac, Flaubert, Maupassant, lis les classiques russes, mais lis aussi Barjavel, Marcel Pagnol, Stephen King. ». De même au cinéma. Krzysztof Kieślowski c’est bien, mais allons voir aussi Les Bronzés.

La découverte de la culture, et de la littérature, se fait donc sous l’angle du plaisir ?

Sous l’angle du plaisir mais aussi sous l’angle de l’affect, et de la psychologie humaine. Avec Les Hauts de Hurlevent, je découvre la peinture des sentiments, ce que peuvent ressentir les personnes, et pas nécessairement l’amour. L’affect prime, et je trouvais que vivre ces sentiments par procuration – car adolescent, on n’a pas toujours d’expérience -, était extrêmement fort. Rentrer dans la tête des personnages, c’était très curieux pour moi, et l’on ne retrouve pas ça au cinéma. Je découvre ensuite le plaisir de l’histoire, d’une histoire construite, avec un suspense ou des rebondissements grâce à Alexandre Dumas, Stephen King, Agatha Christie, Conan Doyle, des auteurs chez qui l’histoire prime.

L’appréhension du style viendra plus tard avec la poésie d’Aragon, et Le Roman inachevé. Je découvre, avec Aragon, que l’on peut dire des choses vraiment formidables, avec une concision et une inventivité fortes. Je suis alors lycéen, en pleine révision du bac de français. Les commentaires composés m’aident à prendre conscience du travail des auteurs sur le plan formel. Un autre roman m’éblouit à cette époque : Le Hussard sur le toit, de Jean Giono dans lequel je trouve une osmose parfaite entre le style et le propos. Un roman d’initiation formidable sur le refus de fréquenter la médiocrité qui est une maladie contagieuse.

Vous devenez donc un grand lecteur. Comment avez-vous découvert l’écriture ?

L’écriture est venue un peu après ma découverte de la lecture. Je suis élève en seconde, j’ai quinze ans, je participe à un concours de nouvelles, et chaque élève doit écrire une histoire. A l’époque, j’écris un texte qui est influencé par Alfred Hitchcock, Alain-Fournier et Stephen King pour l’idée du surnaturel qui surgit de façon inopinée. La nouvelle s’appelle « Fenêtre sur rue », et je gagne ce concours. Et là, vraiment, je découvre qu’une histoire, sortie de mon esprit, que j’avais eu beaucoup de plaisir à écrire, peut avoir de l’intérêt pour les autres. Je trouve ça extraordinaire, et je continue à lire, et me mets, plus ou moins, à écrire. Je tiens un journal, j’ai des embryons d’histoire. Je ne vais pas suivre des études littéraires, je vais en filière scientifique, et la lecture et la littérature vont m’apparaître comme des soupapes, comme un moyen de prendre du plaisir et de me reposer.

Et c’est à cette période qu’un autre livre va vous marquer durablement…

Tout à fait. Au bac de français, à l’épreuve du commentaire composé, je tombe sur la première page de Belle du Seigneur. Je ne connais pas Albert Cohen – je sais seulement qu’il était en classe avec Pagnol – et je lis cette première page, assez dingue, de ce type, Solal, à cheval, qui s’apprête à aller faire une déclaration d’amour à une femme déguisé en vieillard. Je rentre chez moi, sur le chemin je m’arrête à la librairie et achète le Folio. Je découvre ce livre. A l’époque, lors de cette première lecture, c’est l’analyse des comportements de séduction, l’analyse de la féminité et de la masculinité qui parle à l’adolescent que je suis. Il y a donc un vrai choc Albert Cohen et pendant longtemps c’est le livre que j’offre à tout le monde, parce que lorsque j’aime un roman j’essaie de convaincre mon entourage de le lire, ne serait-ce que pour avoir le plaisir d’en parler avec eux !

Si aujourd’hui il est de bon ton de dire qu’il est misogyne, surévalué, moi je trouve que Belle du Seigneur reste un roman formidable. Je trouve que c’est à la fois drôle, incroyablement triste également, et d’une noirceur absolue quant à la passion amoureuse qui s’étiole et paraît sans issue.

Après votre bac et au début de vos études, vous partez aux Etats-Unis travailler…

Oui. Je découvre Le prince des marées de Pat Conroy et ai un autre coup de cœur pour cette saga au souffle romanesque, à l’américaine, décrivant des paysages incroyables. Il y a une véritable analyse psychologique sur les non-dits, et je découvre comment la psychiatrie peut s’intégrer à un roman. Je découvre également John Irving (L’Œuvre de Dieu, La Part du Diable, Une prière pour Owen) et cette idée qu’on peut à la fois écrire des romans qui sont à la fois des page turner, tout en ayant une exigence au niveau du style, de la contextualisation. Ce sont des romans modernes, qui nous parlent du monde contemporain tout en ayant une dimension universelle.

Et en parallèle de ces lectures, se dessine, peu à peu, le projet d’écrire un roman. Quand je reviens des Etats-Unis, à l’âge de vingt ans, la nécessité d’écrire s’impose de plus en plus. Je suis des études d’économie, je deviens enseignant, mais je continue à écrire. Plusieurs essais avortent. Les premiers textes sont forcément mauvais. Ils parlent de soi, sans filtre… et j’ai de la difficulté à ajuster le curseur. Je veux écrire car j’aime lire, j’aime raconter des histoires, mais écrire quoi ?… Pourquoi… Cela va prendre quelques années à préciser. J’avais la lucidité de savoir que ce j’écrivais ne pouvait pas encore être envoyé à un éditeur.

Partant de ce constat, quelle est la genèse de votre premier roman, Skidamarink ?

Je lisais de plus en plus de polars, de romans à suspense et j’avais vraiment le souci de vouloir m’exprimer à plusieurs niveaux. D’assumer le côté divertissant tout en ayant quand même le souci de traiter de certains thèmes. Je voulais, en tant qu’économiste, écrire sur la mondialisation, l’interdépendance, et j’avais le sentiment que le polar m’offrirait cette liberté. Et un jour, je tiens une idée, autour du vol de la Joconde. J’imagine quatre personnages, un généticien russe, un avocat français, une femme d’affaires américaine et un prête italien, qui ne se connaissent absolument pas et qui se retrouvent en possession d’une partie du tableau de Léonard de Vinci. Les morceaux de tableau sont accompagnés d’un bristol qui les invite à tous se retrouver dans la paroisse toscane du prêtre italien. Ils se mettent à enquêter sur ce qui les lie.

Ce livre me plaît bien et je l’envoie à plusieurs éditeurs. Anne Carrière l’accepte assez vite. Cela reste un jour, particulier dans ma vie, et je garde un souvenir très net du coup de fil que j’ai reçu d’Alain Carrière. J’ai alors 26 ans. Le livre paraît au printemps 2001, et reçoit un accueil plutôt favorable de la presse. Mais il n’est pas mis en place à beaucoup, on doit vendre 2000 exemplaires. Le titre n’était pas bon… Mais cela reste un très joli souvenir, une première étape.

Après Skidamarink, il y aura le  succès de votre deuxième roman, Et après.

Après ce premier roman, je vais avoir un accident de voiture. Et à l’issue de cet accident, je me mets à lire des choses sur les gens qui ont frôlé la mort, la philosophie stoïcienne… Et j’ai vraiment envie de parler de ça ! Je revois aussi des vieux films américains des années 40, 50, 60, des films comme La Vie est belle de Capra, La Féline de Jacques Tourneur. A l’époque sort Sixième sens, que tout le monde va voir, et je me rends compte que le surnaturel permet de parler de thèmes graves de façon ludique. Je réfléchis donc à un roman aux frontières du surnaturel qui évoquerait la fragilité de la vie.

J’écris, 70-80 pages et j’étais alors en contact avec Caroline Lépée, qui travaillait aux éditions XO et avait bien aimé Skidamarink. Je lui envoie mes feuillets et le contrat est signé avant même d’écrire la fin. Et avant sa sortie, le livre est acheté par une dizaine de pays. Quand le roman sort, il est donc déjà précédé d’une aura positive. Et là, le miracle s’opère. Porté par un excellent bouche-à-oreille, le roman reste longtemps dans les listes des meilleures ventes, en France et à l’étranger et les droits sont vendus au cinéma. C’est à la fois très bien et c’est en même temps un peu compliqué. J’avais  utilisé le ressort du fantastique pour parler de thèmes graves, comme un outil narratif… On n’attend pas nécessairement que j’en fasse un deuxième sur le même format, mais je vais commencer une série de romans qui sont à la fois ludiques et font appel au surnaturel. Et il y a des lecteurs qui adorent ça, qui sont férus de surnaturel, alors que d’autres ne liront jamais un roman faisant appel au surnaturel car ils ont le sentiment que le surnaturel n’est pas fait pour eux et que le manque de rationalité apparente de l’histoire les coupera du contenu du roman.

Si je comprends bien, le surnaturel n’était donc pas nécessairement votre voie, ou celle que celle que vous pensiez poursuivre sur plusieurs romans ?

J’ai écrit Et après. Je me suis rendu compte de l’outil incroyable qu’était le fantastique, ou le surnaturel, pour parler de thèmes comme le deuil, la mort, la paternité, les difficultés du couple. J’ai écrit toute série de romans que j’aime, que je ne renie absolument pas, qui ont fait lire énormément de gens qui lisaient peu…. Mais cela m’a juste coupé d’un certain lectorat qui, lui, est allergique à ça.

Comment le glissement du surnaturel au thriller s’est-il opéré ?

Il s’est fait avec un livre, L’Appel de l’ange, et il s’est fait aussi car en tant que lecteur, je prenais de plus en plus de plaisir à lire ce genre d’ouvrages. L’Appel de l’ange est né de façon fortuite. J’étais à l’aéroport de Montréal, en rentrant de promotion, et une femme prend par erreur mon portable. Je la rattrape, nous discutons. Dans l’avion de retour, je me dis que cette histoire de portables échangés ferait une bonne comédie romantique. J’écris un synopsis, mais je n’ai pas spécialement envie d’écrire de comédies romantiques et je laisse ça macérer dans un coin. Je n’en fais rien, et puis un jour j’ai un déclic : ce livre n’est pas une comédie mais c’est un polar.  Lorsqu’ils se rendent compte de leur méprise, elle est à Paris, lui à San Francisco. Il fouille dans son portable. Il y trouve le dossier d’une enquête qu’elle n’a jamais résolue. C’est une ancienne flic. Le processus d’écriture se met en branle. J’écris ce livre qui est une véritable enquête. Et L’Appel de l’ange est en fait le prequel d »Un appartement à Paris.

Le tournant se fait comme ça, et je gagne un nouveau lectorat, des gens qui lisaient Harlan Coben, ou Douglas Kennedy, tout en gardant mes premiers lecteurs. C’est très agréable, et cela marque le début d’une deuxième carrière. Je ne dis pas que je ne ferai plus jamais de surnaturel – j’en ai d’ailleurs refait avec L’instant présent – mais cela m’a fait repartir sur quelque chose de nouveau, cela m’a donné un nouveau souffle, et je suis très à l’aise avec le véhicule du polar. Vous pouvez aborder tous les thèmes dont vous avez envie, vous pouvez traiter du suspense psychologique, de l’intimité, des secrets au sein du couple. Beaucoup de mes romans sont en fait bâtis autour de la phrase de Gabriel Garcia Marquez « Un homme a trois vies, une vie privée, une vie publique, une vie secrète ». Et c’est sur la vie secrète que s’articulent la plupart de mes romans à suspense.

Plusieurs de vos romans  du début (je pense à Seras-tu là ?, Je reviens te chercher, Que serais-je sans toi ?) empruntent leur titre à des paroles de chanson. Comment cette idée est-elle née ?

Cela s’est fait comme ça, c’était lié à une période. Pour Seras-tu là ?, la dernière phrase du livre est « Il était là ». Pendant longtemps, ce livre a eu un titre de travail que je détestais, « « Si j’étais moi ». Je ne trouvais pas ça bien et j’ai changé le titre à la dernière minute. C’est venu naturellement. Je dirais que je suis plus à l’aise avec les titres de mes derniers romans.

La plupart des chapitres de vos romans commencent par des citations d’un éclectisme remarquable et réjouissant. Comment cette pratique s’est-elle instaurée ?

En travaillant sur Et après ?, j’avais emmagasiné beaucoup de citations d’auteurs stoïciens que je souhaitais faire partager. Je ne voyais pas comment les mettre dans le corps du texte, les gens ne parlent pas en faisant des citations ! Et puis je me suis souvenu de la série de l’Inspecteur Morse de Colin Dexter que lisait ma mère, éditée chez 10-18. Colin Dexter faisait ça au début de chaque chapitre, j’avais un grand plaisir à découvrir ces citations… J’ai fait de même, dans le simple souci de faire partager. J’aime partager, j’aime découvrir et faire découvrir, et je cite aussi bien des répliques de film que des citations d’auteurs classiques… C’est en tout cas toujours dans l’idée qu’un livre va en entraîner d’autres, qu’une œuvre ouvrira la porte vers d’autres œuvres. C’est resté.

Je me suis rendu compte que les lecteurs étaient friands de ça, et moi je suis rentré dans ce jeu.

Vous avez dit en interview qu’un livre demandait cinq ans de maturation, et vous en publiez environ un par an. Comment s’opère le processus créatif ?

Depuis que j’ai quinze ans, je note toutes les idées que je peux avoir. Je prends en note, j’enrichis, je réfléchis… mais il n’y  pas de recettes ! Comme le dit Somerset Maugham « Il y a trois grandes règles pour écrire un bon livre, malheureusement personne ne les connaît ! » Et c’est vraiment ça. Il n’y a aucun roman dont la genèse ressemble au précédent, sauf qu’effectivement, la maturation est assez longue. Le record, c’est pour Central Park où, pendant dix ans, j’ai tourné autour. Je voulais écrire sur la maladie d’Alzheimer, parce que cela m’intéressait, en tant qu’homme, en tant que citoyen, mais je n’y arrivais pas. J’ai récolté pendant toutes ces années énormément d’informations sur le sujet, et un jour, j’ai eu le déclic en me disant : « tu dois écrire un roman dont la chute serait cette maladie, un roman dans lequel le personnage serait atteint d’Alzheimer mais ne le sait pas ». Ce roman s’est écrit ensuite sans que j’en aie conscience.

Mais cela n’a jamais été automatique, et je ne me suis jamais dit « hop, une idée, et dans un an c’est écrit ! » J’ai toujours une quinzaine de thèmes ou d’histoires auxquels je réfléchis. Quant à la rédaction, depuis que je ne fais plus que ça, elle me prend environ un an.

Et lorsque vous êtes lancé dans l’écriture, savez-vous vite si cela fonctionne ?

Oui. Et il y a une chose que je répète souvent, mais à laquelle je crois profondément, c’est le parallèle entre une histoire d’amour réussie et un livre réussi. Une histoire d’amour réussie, c’est rencontrer la bonne personne, au bon moment. Et un roman réussi, c’est avoir une bonne histoire, portée par des personnages intéressants, mais que vous écrirez dans un moment de votre vie où vous serez le plus à même de la raconter. La Fille de Brooklyn en est le parfait exemple. J’avais le début d’histoire depuis longtemps, mais c’était une intrigue complexe, à tiroirs, sur laquelle je butais. Je ne l’ai pas écrit plus tôt car il fallait attendre que je sois père pour raconter ça !

L’écriture est de toute façon une alchimie. Parfois on sait que ça marche, parfois pas. Il m’est arrivé d’avoir une bonne histoire, de bons personnages, mais que rien ne se passe.

Quel regard portez-vous sur les cours de creative writing ?

Je suis très curieux de ça. Même si cela ne ferait pas bien, cela ne fait pas de mal. Pourquoi l’écriture serait-elle le seul art pour lequel il n’y ait pas de formation ? Cela permet en tout cas de rencontrer des gens qui sont dans une situation identique, cela permet de parler de son travail, mais il ne faut surtout pas l’envisager comme un apprentissage de règles à respecter. Je ne crois pas du tout au mythe de l’auteur et de l’inspiration venue de nulle part, et ceci d’autant plus que je n’ai jamais attendu d’avoir une prétendue inspiration pour commencer à travailler, à écrire. Et c’est d’ailleurs généralement en écrivant que l’inspiration vient !

Pourriez-vous adhérer  à cette citation de William Boyd : «  There are two kinds of writers. There are the writers who talk about themselves. There are the writers who tell a story » ?

Je suis plutôt du côté des raconteurs d’histoires, bien évidemment ! Mais ce vieux débat me semble inutilement clivant car l’on peut toujours mettre de soi dans ses livres. On peut y mettre ses peurs, ses joies comme ses peines, et même en créant un personnage aux antipodes de ce que vous êtes, on y retrouvera toujours, en filigrane, en creux, quelque chose de l’auteur.

Et pour finir, quel message pourriez-vous délivrer à des auteurs de premiers romans ?

Le processus de création littéraire est incroyablement fragile, aléatoire, insaisissable. Ce n’est parce que vous avez écrit quatorze livres que vous arriverez à écrire le quinzième. Pour ma part, j’essaie d’écrire le livre que, dans la mesure de mes moyens, j’aimerais lire en tant que lecteur. C’est mon seul credo et cela l’a toujours été, avec l’idée que si cela me plaisait cela plairait peut-être à d’autres. Le succès, c’est avoir la chance que votre sensibilité rentre en écho avec celle du plus grand nombre.

Un appartement à Paris, Guillaume Musso, mars 2017, 472 pages, XO Editions, 21,90 euros

Illustration : Guillaume Musso © Emanuele Scorcelletti

 

 

 

 

Le français vu du ciel : et si la pratique linguistique était la dernière terre à conquérir ?

« Je souhaite vivement que Le français vu du ciel ouvre la voie à une nouvelle manière d’aborder l’enseignement et l’apprentissage du français (et des langues en général) »

« Les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés. Il y en a aujourd’hui de toutes tailles et de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions. Vivre, c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner. » C’est dans son livre Espèces d’espaces que Georges Pérec, dont on connaît le goût pour la nomenclature et la classification, racontait comment l’histoire des sociétés était avant tout l’inscription dans un espace, à partir duquel et sur lequel on écrivait.

Marion Charreau, elle s’intéresse à l’histoire des langues, à leur transmission et à leur évolution et a le talent de les mettre en images. Son ouvrage Le français vu du ciel est un incroyable voyage au sein d’une contrée, la langue française, qu’elle nous présente comme des territoires à explorer. Riche et coloré, son livre permet une toute nouvelle approche du français, et séduira aussi bien spécialistes que néophytes. Nous avons souhaité en savoir plus sur la démarche de Marion, et l’intérêt pédagogique des « cartes mentales », ces cartes qui permettent de passer d’une notion linguistique à une autre sans jamais se cogner.

Marion, pourrais-tu rapidement nous présenter Le français vu du ciel, et nous raconter la genèse de ce projet ?

Le français vu du ciel propose un voyage inédit dans la langue française. Il s’agit d’un beau livre au format BD qui présente la grammaire, la conjugaison et le lexique sous forme de cartes mentales illustrées reliées entre elles par les aventures d’un personnage. L’univers du livre est poétique, visuel et ludique.

Au début du livre, un personnage observe un brouillard de mots (pronom, mode, complément, transitif, adjectif, etc). Des mots que l’on utilise pour décrire la langue mais qui ne sont pas forcément clairs pour lui (ni pour nous). Il décide donc de partir en direction du brouillard et arrive dans les territoires des mots. Là, il va rencontrer les différents types de mots, comprendre leur nature, leur fonction, et découvrir comment les utiliser pour exprimer sa pensée.

Avec Le français vu du ciel c’est un peu comme si on pouvait se déplacer dans les neurones d’une personne qui se pose des questions, comprend et apprend. En suivant le parcours et la progression du personnage, le lecteur décortique les mécanismes de la langue française, il clarifie et relie ses connaissances. Ce livre est l’aboutissement de 7 années d’enseignement du français à l’étranger à l’aide (notamment) des cartes mentales et d’une pratique de classe originale. À la demande d’enseignants souhaitant utiliser mes supports, l’idée de publier un livre a germé petit à petit.  Rencontrer un éditeur qui ose parier sur ce projet a pris du temps. Mais voilà, c’est fait, Le français vu du ciel est maintenant largement distribué.

Selon toi, à qui le livre s’adresse-t-il et quels usages peut-on faire des cartes mentales ?

Quand j’ai construit ce livre, j’ai toujours eu en tête une famille confortablement installée dans un canapé, discutant du français tout en naviguant dans les cartes. Le français vu du ciel est intergénérationnel, il s’adresse aux adolescents et aux adultes souhaitant rafraichir leurs connaissances et se sentir à l’aise avec la langue. Mais il trouve d’autres publics : les enseignants qui s’en inspirent ou l’utilisent pour aborder certains points de grammaire en classe, les personnes qui apprennent le français langue étrangère, les personnes familiarisées avec les cartes mentales et la pensée visuelle, les professionnels de la pédagogie, les amateurs de beaux livres.

On peut utiliser les cartes mentales illustrées du livre pour avoir une vision d’ensemble des mécanismes de la langue française et se faire plaisir en apprenant. On peut consulter une carte en particulier pour revoir ou mémoriser un point de grammaire. On peut présenter un aspect de la langue sous un nouveau jour, s’inspirer des cartes pour parler de la langue autrement et associer des notions complexes à l’imaginaire des personnes qui nous écoutent. Ces cartes sont à la fois une proposition de voyage dans ses propres connaissances et un outil de discussion et de partage autour de la langue française.

L’ensemble, et c’est un tour de force, est à la fois extrêmement ordonné et construit tout en donnant une impression de profusion. Pourrais-tu nous en dire plus sur ton processus créatif, sur la façon dont tu as structuré et pensé l’ensemble ?

Pour créer, on part toujours de quelque chose d’existant. Dans le cas du livre, j’avais en stock et en mémoire des dizaines de cartes mentales sur la langue française réalisées pendant des années dans le cadre de cours de français. J’ai tout de suite pensé le livre comme devant être un bel objet qui donne envie de se plonger dans les cartes. Puis j’ai dû trouver un fil conducteur (narratif et visuel) pour guider le lecteur et rendre le tout parfaitement cohérent.

Une fois les grandes lignes du livre définies, j’ai mis toutes ces informations dans une gigantesque carte mentale faite à l’aide d’un logiciel. Puis j’ai dessiné des cartes sur papier pour valider un prototype du livre auprès de l’éditeur et de l’équipe linguistique d’Orthodidacte.com qui a veillé sur ce projet. J’ai affiné le scénario, les cartes et l’univers visuel petit à petit, jusqu’à la réalisation des cartes originales. Pendant des mois, mon appartement a été envahi de cartes accrochées aux murs. J’ai littéralement vécu dans Le français vu du ciel.

tube des pronoms
tube des pronoms

Dans ton livre, les notions grammaticales ou lexicales sont associées à des images (le tube des pronoms, les totems des modes, etc.). Comment ces choix se sont-ils faits ? Comment associes-tu une notion à une image ?

Certaines images viennent d’explications spontanées pendant les cours. J’aime beaucoup procéder par analogie pour aider quelqu’un à comprendre. J‘ai aussi posé des questions du type « qu’est-ce qu’un verbe » à d’anciens élèves, des enseignants, des amis, des personnes d’âges et de nationalités différentes pour nourrir mon imaginaire et écouter ce qu’avait à dire mon futur public. Au départ j’avais des images pour quelques notions seulement et puis petit à petit, l’univers des territoires des mots s’est construit, imposant sa propre logique. C’était une sensation assez étrange, comme si ces lieux imaginaires devenaient autonomes.

Par exemple, si les noms sont des êtres sur une ile et que les verbes se construisent dans la montagne, les pronoms sont logiquement reliés aux deux espaces en question car ils remplacent le nom mais sont aussi liés au verbe… C’est donc le tube des pronoms qui fait le lien entre l’ile des noms et la montagne des verbes (par analogie avec le métro –tube) qui est un moyen de déplacement relativement rapide comme chacun le sait. Dans une phrase, le pronom permet lui aussi d’aller plus vite, c’est une sorte de raccourci.

Le style graphique du livre est-il à l’image de ton style artistique habituel ? As-tu insisté sur certains aspects, travaillé particulièrement certaines couleurs, ou souhaité avoir un rendu particulier ?

Comme je savais qu’il y aurait profusion d’informations, j’ai souhaité avoir un style graphique léger et organique pour mettre en avant les liens et donner une sensation de fluidité. Ce sont des éléments qui l’ont retrouve dans mon travail artistique mais…il n’est pas visible sur internet donc tu n’auras pas d’élément de comparaison… Je voulais aussi donner aux informations une texture, du relief. J’ai d’ailleurs observé beaucoup de lecteurs se déplacer dans le livre en caressant les pages.

encrage sans couleurs
encrage sans couleurs

Le livre est relativement exhaustif et aborde de nombreuses notions. Y-a-t-il des notions ou thématiques que tu n’as voulu aborder, ou pas réussi à mettre en images ?

C’est vrai que ce livre donne une sensation réelle d’exhausitivité. Evidemment, il ne contient pas tous les aspects de la langue française, ce ne serait ni lisible ni utile et aucun éditeur ne se risquerait à publier un livre aussi épais ! Le français vu du ciel fait la synthèse ce qui est vraiment nécessaire pour comprendre les mécanismes du français. Il contient les bases qui permettent de relier les notions essentielles aux plus complexes. Mon idée est que le lecteur puisse ensuite aller au-delà du livre avec l’assurance de l’expert et l’enthousiasme de l’explorateur. En naviguant dans les cartes et en suivant les aventures du personnage, on a l’agréable sensation que tout s’imbrique et se clarifie. On est donc prêt à poursuivre l’aventure.

Voici d’ailleurs un message pour les lecteurs: n’hésitez pas à prolonger les branches du français vu du ciel par vous-même (dans votre tête ou avec un crayon) !

 

Pourrais-tu un jour concevoir un nouveau livre fondé sur le même principe et consacré au vocabulaire ? Peux-tu nous parler d’éventuels projets à venir ?

J’ai tout une carte mentale remplie de projets à venir! Certains concernent la langue française ou d’autres langues, d’autres sont des variantes ou des compléments du livre existant. Il y a aussi des projets d’expositions, de parcours pédagogiques, des posters, des jeux éducatifs. Il y a aussi un projet très singulier concernant le vocabulaire, j’espère qu’il trouvera preneur…
Je ne sais pas si tout cela aboutira, mais je souhaite vivement que Le français vu du ciel ouvre la voie à une nouvelle manière d’aborder l’enseignement et l’apprentissage du français (et des langues en général).

Pour finir, que dirais-tu à quelqu’un qui voudrait découvrir la langue française à travers ton livre ?

Je lui dirais avant tout qu’il s’agit d’un livre pour se faire plaisir, un compagnon de voyage. Je lui poserais ensuite des questions pour comprendre d’où il/elle part: cerner ses besoins, ses connaissances préalables, ses résistances, ses objectifs et ses motivations. Avec ses réponses, je pourrais lui indiquer comment utiliser mon livre et d’autres ressources adaptées. Je lui dirais aussi qu’il y a plusieurs façons de lire et d’apprendre avec Le français vu du ciel. On peut parcourir la langue en feuilletant l’ensemble, on peut se focaliser sur l’histoire et la progression du personnage sans entrer dans le détail, on peut consulter une carte en particulier pour un besoin précis (ex: comment poser des questions).

Je l’encouragerais vivement à réaliser “son français vu du ciel” en construisant ses propres cartes dans un grand cahier blanc, sur des thèmes qui l’intéressent, qu’il doit communiquer clairement ou mémoriser pour longtemps. Et je lui confierais ceci: le livre qu’il tient entre ses mains est né parce qu’un jour, me trouvant devant des personnes voulant apprendre le français, j’ai dû faire mes propres cartes pour apprendre à l’enseigner.

Marion Charreau, Le français vu du ciel, Editions Le Robert, 96 pages, 29 euros

Images Marion