
L’écrivain au cinéma : Un homme idéal de Yann Gozlan

Alors qu’on annonce Pierre Niney dans le rôle d’Edmond Dantès, et que je ne sais toujours pas comment accueillir cette information, j’ai aimé imaginer certains acteurs campant des héros littéraires classiques, et ma sélection est totalement subjective. C’est d’ailleurs un formidable exercice pédagogique à proposer à des élèves, et il fonctionne très souvent. Je proposerai bientôt une sélection d’héroïnes et d’actrices.
On le sait, l’adaptation pour le cinéma ou la télévision semble aujourd’hui la suite logique des grands succès de librairie. Néanmoins, les bons livres ne font pas nécessairement les bons films, et un livre un peu faible peut donner un grand film.
Un classique, quant à lui, peut être (re)découvert à la faveur d’une adaptation.
Et vous, qui imagineriez-vous en héros de papier ?
« Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. »
Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731
© valerie Hache / AFP
« Elle le trouvait superbe avec ses grands yeux ardents, son beau visage ovale, sa pâleur, ses abondants cheveux noirs, »
Anatole France, Les dieux ont soif, 1912
« Cette petite fille qui s’amusait d’un rien, cette femme qui ne se contentait d’un rien. Car Bérénice avait le goût de l’absolu. »
Louis Aragon, Aurélien, 1944
© AFP
« Sa figure, rayée par des rides prématurées, offrait des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes. »
Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835
« Et elle se sentait très jeune : en même temps vieille à ne pas le croire. Elle pénétrait comme une lame à travers toutes choses : en même temps, elle était en dehors, et regardait. »
Virginia Woolf, Mrs Dalloway, 1925
© Joël Saget / AFP
« Il commençait à se croire l’ami intime de tous les soldats avec lesquels il galopait depuis quelques heures. Il voyait entre eux et lui cette noble amitié des héros du Tasse et de l’Arioste. »
Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839
« C’était une fille d’aspect hardi, d’environ vingt-sept ans, aux épais cheveux noirs, au visage couvert de taches de rousseur, à l’allure vive et sportive. »
George Orwell, 1984, 1949
© AFP
« Il n’avait jamais aimé. Si évidemment qu’on ne l’avait jamais aimé non plus. »
Louis Aragon, Aurélien, 1944
© François G. Durand
« Elle a dit que tu étais la mieux de nous toutes, que tu avais un charme exceptionnel et – comment a-t-elle dit ? – qu’on trouvait tout en toi – l’enfant, la grande dame, la vamp, la jeune fille de bonne famille, et même la fille du peuple – ce qui te rend follement intéressante. »
Witold Gombrowicz, Les Envoûtés, 1939
© Abaca Press
« Moi, de mon côté, je m’étais fait à cette idée. Je me voyais aussi « aller loin ». »
Charles-Ferdinand Ramuz, Vie de Samuel Belet, 1913
© AFP/Yann Coatsaliou
« Moi, je suis née trop tôt, je sens bien que je suis née trop tôt. Mes idées elles galopent, elles sont en avance sur mon temps… J’srai seulement comprise après ma mort.»
René de Obaldia, Du vent dans les branches de sassafras, 1966
« Paris lui ouvrit les yeux, en fit un beau jeune homme, pincé dans ses vêtements, suivant les modes. Il était le Brummel de sa classe. »
Émile Zola, La Curée, 1871
« le sourire était visible pour eux seuls, et une duchesse eût pu sourire ainsi. »
Alexandre Dumas fils, La Dame aux Camélias, 1848
© Marechal Aurore/ABACAPress.com
« François, assez fou sous bien des rapports, avait eu la sagesse de ne pas brûler les étapes. Le dire précoce, rien n’eût été plus faux. »
Raymond Radiguet, Le Bal du comte d’Orgel, 1924
« Sa figure était une pomme rouge, un bouton de pivoine prêt à fleurir ; et là-dedans s’ouvraient, en haut, deux yeux noirs magnifiques, ombragés de grands cils épais qui mettaient une ombre dedans ; »
Guy de Maupassant, Boule de Suif, 1884
© Eric Guillemain
« J’ai senti, malgré mon vêtement de peau de renne, mon cœur se glacer, mes membres se tordre, mes pieds se geler sous leurs triples chaussettes de laine ! »
Jules Verne, Michel Strogoff, 1865
« Elle avait quarante ans, elle était seule, elle aimait un homme et elle avait espéré être heureuse avec lui dix ans, vingt ans peut-être. »
Françoise Sagan, Bonjour tristesse, 1954
©AFP – EKATERINA CHESNOKOVA / SPUTNIK
« Mais tel j’arrive à la fin de ma vie de garçon, et avec l’âme aussi pure… que Jeanne d’Arc à la fin de sa vie d’héroïsme, quand elle comparut au tribunal de cet affreux Cauchon. »
Georges Feydeau, Un fil à la patte, 1884
© AFP
« Elle avait un esprit drôle, gentil, inattendu, un esprit de gamine expérimentée qui voit les choses avec insouciance et les juge avec un scepticisme léger et bienveillant. »
Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885
© LP/Fred Dugit
« je commençai à être fort aise : je me mis à travailler à ma conservation et à ma subsistance, »
Daniel Defoe, Robinson Crusoé, 1719
© AFP
👉 L’histoire ? Mathieu Vasseur est un jeune écrivain qui ne parvient pas à être publié. Il mène une vie solitaire, essentiellement dédiée à l’écriture. Pour subvenir à ses besoins, il travaille en tant que déménageur. Un jour, en vidant l’appartement d’un défunt, Léon Vauban, Mathieu tombe sur ses mémoires de la guerre d’Algérie. Mathieu s’empare du texte, le recopie intégralement, et le soumet à un éditeur. L’œuvre est immédiatement publiée et rencontre un succès colossal. Trois ans plus tard, Mathieu n’a pas écrit une ligne et ses dérobades éveillent les soupçons au sein du monde de l’édition. C’est alors qu’un ami de Léon Vauban se présente à lui : il entend bien le faire chanter.
👉 Pourquoi faire découvrir ce film ?
👉 Malgré quelques incohérences, et une présentation irréaliste du métier d’universitaire / prof en faculté, il s’agit d’un divertissement efficace, au suspense rondement mené. Les acteurs (Ana Girardot, André Marcon, Marc Barbé, Thibault Vinçon) sont justes et la photographie est belle.
👉 L’écrivain en question est confronté à l’échec, agit avec duplicité, traverse des épreuves. Tout cela favorise l’identification de jeunes spectateurs.
👉 La passion de Mathieu pour la littérature est palpable et communicative. Martin Eden est son livre de chevet, Romain Gary son maître, et le minuscule studio dans lequel il habite déborde de livres.
👉 Le film montre très bien ce qu’écrire une fiction veut dire. Avant de rencontrer son futur éditeur, Mathieu se documente sur l’Algérie, et sur l’écriture : il doit convaincre, faire croire que ce manuscrit qu’il a envoyé, il l’a porté en lui des semaines, des années durant. Il doit ensuite vivre avec son secret et pleinement incarner le personnage qu’il est devenu.
👉 Sans réfléchir à la portée de son geste, Mathieu recopie intégralement le journal de Léon Vauban, alors qu’il aurait pu s’en nourrir, s’en inspirer, y puiser de quoi construire une fiction nouvelle. L’œuvre offre ainsi une très subtile réflexion sur le plagiat, et sur les qualités qui font un réel écrivain.
👉 Empêtré jusqu’au cou dans ses mensonges, harcelé par son banquier et par son éditeur, Mathieu est longtemps victime du syndrome de la page blanche. Confronté à un rival un peu trop clairvoyant et à un maître chanteur qui le pousse à commettre l’irréparable, notre héros, prêt à tout pour ne pas tomber le masque, finit par trouver en lui les ressources pour écrire un livre. En cela, Un homme idéal peut être, aussi, perçu comme un hymne au dépassement.
Photo : Pierre Niney dans Un homme idéal (Yann Gozlan, 2015)
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