D’Anna Karénine à Estelle Cantorel, les classiques d’Elodie Varlet

« Il me semble que nos lectures ne sont jamais anodines, elles nous nourrissent et parfois nous poursuivent pendant longtemps… Ce qui est sûr c’est que les grands textes ont ce pouvoir d’amener une vision sur notre propre vie et sur nos choix. »

Si le grand public a découvert Elodie Varlet dans Plus Belle la Vie où elle incarne, depuis 2006, le personnage d’Estelle Cantorel, la comédienne a plusieurs cordes à son arc et navigue entre différents projets qui la mènent de La Réunion à La Ciotat, en passant par Marseille. Alors qu’on la retrouvera sur France 3 dans un tout nouvel épisode de la série Meutres à, Elodie Varlet nous raconte ses classiques…

Elodie, quelle lectrice êtes-vous, et notamment quelle lectrice de classiques êtes-vous ?

Je suis issue d’un Baccalauréat Littéraire, j’ai toujours eu un bon rapport avec les livres et ce dès l’enfance car mes parents nous ont toujours lu beaucoup d’histoires. J’ai découvert les classiques comme beaucoup d’entre nous au collège et lycée et Antigone de Sophocle est un des premiers textes qui m’a véritablement marquée. J’ai d’abord surtout apprécié la poésie qui me semblait un formidable moyen d’expression, très libre et développant un imaginaire très fort, métaphorique. J’aimais déjà les images, et ici donc les images mentales que la poésie permettait à l’esprit. Rimbaud m’a notamment beaucoup marqué dans ma jeunesse. Les grands classiques, je les ai lus jeune dans leur majorité mais aujourd’hui j’avoue que je les lis moins… J’ai peut-être aussi moins le temps de lire en général alors je préfère découvrir de nouvelles choses. Le dernier vrai classique que j’ai lu est Belle du Seigneur mais cela remonte déjà à 3 ans. Aujourd’hui, j’aime lire un bon thriller, pour l’adrénaline… Mais j’alterne aussi avec une autre lecture plus ancrée dans la société.

Etes-vous issue d’une famille de lecteurs ? Avez-vous eu des passeurs dans votre approche de la littérature classique ?

Ma famille a toujours lu. Avec plus ou moins d’assiduité mais de manière constante, nous avons toujours eu une bibliothèque fournie et c’est aussi ce qui permettait de s’y intéresser. Ensuite j’ai découvert surtout le théâtre classique et pour cela j’ai eu un passeur, une personne qui m’a ouvert aux différentes lectures qu’on peut avoir d’un texte, à son interprétation. C’est un professeur de Sciences Économiques  du Lycée qui est passionné de théâtre et engagé dans l’éducation comme dans plein d’autres choses. C’était mon professeur de théâtre au lycée et il était passionnant.

Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

Non pas particulièrement. Mais il y en a certains dont je relis certains passages avec plaisir… souvent du Shakespeare ou Anna Karénine de Tolstoï. Et puis j’aime beaucoup Boris Vian en ce moment…

Vous avez fait des études littéraires avant d’embrasser le métier d’actrice. De grands textes ont-ils influé sur le choix d’une telle profession ?

Il me semble que nos lectures ne sont jamais anodines, elles nous nourrissent et parfois nous poursuivent pendant longtemps… Ce qui est sûr c’est que les grands textes ont ce pouvoir d’amener une vision sur notre propre vie et sur nos choix. Parmi les textes qui m’ont marqué il y a évidemment La Mouette de Tchekhov et puis sinon j’ai adore travailler l’absurdité de Roland Topor et la précision chez Marivaux… Et puis Médée aussi quel texte ! C’est un medley mais ce sont ceux qui me reviennent…

Le personnage d’Estelle Cantorel, que vous incarnez dans Plus Belle la Vie, a beaucoup évolué depuis son apparition dans la série. Si Estelle devait s’apparenter à un ou plusieurs personnages de la littérature classique, à qui vous ferait-elle penser ?

Estelle est une éternelle amoureuse, une justicière. Elle se perd souvent dans ses sentiments et ses émotions. C’est aussi une solitaire puisqu’elle n’a pas de famille… Comme ça je ne saurai vous donner une comparaison à un grand personnage… ou alors oui Anna Karénine pour certains aspects.

De même, lorsque vous jouez des personnages contemporains, englués dans des problématiques actuelles, vous arrive-t-il de convoquer de grands textes pour les incarner ?

Les références littéraires aident énormément pour l’inspiration d’un personnage. Les grands textes restent toujours étonnamment actuels et nous permettent d’apporter une dimension forte aux personnages contemporains.

Vous alternez projets télévisuels et théâtraux et avez notamment interprété l’une des sorcières de Macbeth dans la mise en scène de Françoise Chatôt au théâtre Gyptis, en 2013. Le travail du texte se fait-il de la même façon pour la télévision et le théâtre ?

Le travail du texte au théâtre et à la télévision est très différent pour une raison principale : le temps ! A la télévision, tout doit aller très vite, le rendement est une donnée à prendre en compte en permanence et puis les personnages sont souvent contemporains donc il y a plus un travail sur la psychologie que sur le texte en lui-même que nous pouvons modifier. Au théâtre, en général et particulièrement sur les textes classiques, il y a une part d’analyse et une discussion sur la vision de chacun de ce texte. C’est très enrichissant. Et puis il y a aussi un respect du texte tel qu’il est bien sûr !

Vous venez de jouer dans la série télévisuelles Meurtres à pour France 3. Pouvez-vous nous parler d’éventuels projets à venir ?

Oui, c’est un épisode qui s’appelle Meurtres à la Ciotat et qui passera sur France 3 en septembre. J’ai été très fière de ce projet car il était ancré dans une problématique sociale et notamment concernant les chantiers navals en 1980 qui ont marqué la ville. Pour les autres projets, je suis partie 3 mois tourner à la Réunion pour la série Cut (France Ô ) et c’était une expérience incroyable. Ce sera diffusé à partir de novembre. Et puis actuellement j’ai repris les chemins des studios de PBLV où je suis au cœur d’une intrigue qui va encore faire évoluer mon personnage d’Estelle et je suis ravie ! Pour la suite, un projet de long métrage qui se tournera à Marseille et une pièce de théâtre en vue… Affaire à suivre !

Pour finir, quels classiques ou quels essais théâtraux conseilleriez-vous à un jeune lycéen qui souhaiterait se lancer dans une carrière théâtrale ?

Du Sophocle pour commencer, Racine me paraît un indispensable. Molière on ne peut y échapper bien que ce ne soit pas mon écriture préférée… Et surtout surtout du Shakespeare. Pour le Théâtre de l’Absurde, Beckett et Ionesco. Pour les essais théâtraux plus pointus, les contemporains,  cela dépend tellement des goûts de chacun ! Soyez simplement curieux !

Meurtres à la Ciotat, un film de Dominique Ladoge avec Elodie Varlet et Philippe Bas

 

 

Kitty est-elle l’unique et seul amour de Lévine ?

« Mais vous, vous êtes trois sœurs. Je me souviens – trois petites filles. » Anton Tchekhov, Les trois sœurs, 1901

 

Anna Karénine de Léon Tosltoï met en scène plusieurs couples, incarnant soit la paix et l’harmonie (Kitty et Lévine), soit la confusion et le désordre (Anna et Vronski, Dolly et Stiva) ; résumant à eux seuls la première phrase du roman : « Toutes les familles heureuses se ressemblent ; les familles malheureuses le sont chacune à leur façon ».

L’amour est dans le pré

Si le roman a pour titre Anna Karénine, il s’attarde davantage sur le personnage de Constantin Dmitrievitch Lévine, qui dirige une grande propriété dans la campagne moscovite. Lévine est un homme sensible et droit, amoureux des grands espaces, est également nourri d’idéaux politiques et sociaux, loin du cliché de l’austère moujik. S’il n’a ni la beauté de Vronski, ni le statut d’Alexis Karénine, ni le bagout d’un Stiva Oblonskï, frère d’Anna, c’est  un homme discret qu’il faut prendre le temps de découvrir, un de ces trésors cachés qu’il faut patiemment dénicher.

L’on connaît le grand amour de Lévine, Kitty Stcherbazka, qu’il finira par épouser et avec laquelle il forme un ménage heureux. Les lecteurs se souviennent du désarroi et du chagrin de Lévine lorsqu’il est éconduit par Kitty, et se réjouissent avec lui lorsqu’elle lui accepte finalement de l’épouser. Lévine est l’illustration parfaite de la victoire de la patience sur celle de l’intransigeance.

Mais Lévine a connu d’autres échecs avant Kitty, et, fait étonnant, au sein de la même famille puisque Lévine est successivement tombé amoureux de trois sœurs, celle de la fratrie Stcherbazki !

Tournez manège !

Notre héros d’abord été amoureux de Dolly Stcherbazka avant qu’elle ne jette son dévolu sur son meilleur ami Stiva Oblonskï. Mal en a pris à Dolly peut-être car cette dernière reste, tout au long du roman, une femme trompée. Lévine s’est ensuite entiché de Natalie, la sœur de Dolly. Si cette dernière a d’abord semblé sensible à l’intérêt que lui portait Lévine, c’est à peine arrivée dans le monde que Natalie épousa Lvov, un diplomate qui ne lui ressemblait en rien. Malgré ce deuxième échec, le courageux Lévine n’a de cesse de creuser le filon Stcherbazki, pour, contre toute attente, le plus grand bonheur de Kitty ! Dolly, Natalie et Kitty sont un peu comme Olga, Macha et Irina, Les trois sœurs de Tchekhov, les filles du colonel Prozorov !

Que faut-il en penser ? Lévine est-il réellement amoureux de Kitty ou est-il amoureux de ce qu’elle représente, de ce qu’elle incarne en tant que membre de la famille Stcherbazki ? La question mérite en tout cas d’être posée, tant le cas particulier d’un homme tombé successivement amoureux de ces trois sœurs laisse songeur !

Illustration : Alicia Vikander et Domhnall Gleeson dans Anna Karénine de Joe Wright (2012)