Qui sont les Héloïse de la littérature classique ?

« Il y avait dans la ville même de Paris une jeune fille nommée Héloïse, nièce d’un chanoine appelé Fulbert, lequel, dans sa tendresse, n’avait rien négligé pour la pousser dans l’étude de toute science des lettres. Physiquement, elle n’était pas des plus mal ; par l’étendue du savoir, elle était des plus distinguées. »

Abélard et Héloïse, Lettres, Lettre I, « Histoire des malheurs d’Abélard adressée  à un ami »

Héloïse, l’héroïne médiévale des lettres d’Abélard et Héloïse, a réellement existé !

L’histoire d’Héloïse et Abélard

Héloïse voit le jour à Paris en 1101. Après l’avoir placée dans un monastère, son oncle, le chanoine Fulbert, lui donne pour précepteur le théologien Pierre Abélard, l’un des plus éminents professeurs de son temps. Elle n’a pas dix-huit ans, il approche de la quarantaine.

Resté jusqu’alors chaste, Abélard, profitant des leçons qu’il est censé donner à Héloïse, la séduit et l’enlève. Héloïse met au monde un fils, Astrolabe, et épouse secrètement Abélard. Fulbert accuse le précepteur d’avoir trahi sa confiance et le fait émasculer. Abélard, atrocement mutilé et Héloïse se voient contraints à la séparation et à la vie monastique, malgré l’absence de vocation d’Héloïse.

Après plusieurs années de silence, Héloïse et Abélard entament une correspondance – en latin. Les deux anciens amants ne cesseront jamais de s’écrire jusqu’à la disparition d’Abélard, en 1142. Héloïse, elle, meurt vingt-deux ans plus tard, en 1164. Ils sont tous les deux enterrés au cimetière du Père-Lachaise, à Paris.

La correspondance de deux intellectuels

C’est bien sûr grâce à leur correspondance que l’histoire d’Héloïse et Abélard nous est connue ! Après la mort d’Héloïse, la correspondance tomba dans l’oubli avant de réapparaître au XVIIIème siècle. Le genre épistolaire était alors la mode, et la correspondance d’Héloïse et Abélard, ressortie dans une traduction du latin au français de Bussy-Rabutin en 1697, séduit par sa liberté de ton.

Prototype latin du roman d’éducation sentimentale, modèle du genre épistolaire classique, la correspondance veut surtout un véritable échange intellectuel, à l’image du couple formé par Héloïse et Abélard.

Héloïse, première femme de lettres en Occident

Première femme de lettres d’Occident à l’existence  des plus romanesques, Héloïse est une des premières  figures mythiques de la passion amoureuse.  Elle est surtout, derrière cette représentation de femme fatale et au-delà de sa rencontre avec Abélard, une véritable intellectuelle ayant œuvré pour l’accès des femmes à l’éducation et à un véritable statut au sein de l’Eglise.

Vous l’aurez compris, le prénom « Héloïse » est lourd de symboles et de sens. Sur le plan littéraire, on le retrouve chez Rousseau et Flaubert, mais attention à ces nouvelles significations !

Une nouvelle Héloïse… qui s’appelle Julie !

Le roman de Rousseau que l’on appelle parfois à tort  La Nouvelle Héloïse laisserait à penser que son héroïne s’appelle Héloïse mais il n’en est rien.

Julie ou la Nouvelle Héloïse est un roman épistolaire, qui constitue un échange de lettres entre deux amants, Julie et Saint-Preux. : Saint-Preux est, au début du roman, le précepteur de Julie et de sa cousine Claire. Saint-Preux tombe amoureux de Julie, mais le père de cette dernière refuse le mariage. La mort dans l’âme, Julie se verra contrainte d’épouser M. de Wolmar et le roman relate la correspondance des deux amants.

C’est Saint-Preux qui compare le couple qu’il forme avec Julie à celui d’Abélard et Héloïse. Selon Saint-Preux, Julie doit être une « nouvelle » Héloïse, une Héloïse moderne, à la fois vertueuse et au premier plan de la relation ; à la différence de « l’ancienne » Héloïse qui était, elle, effacée et soumise dans sa relation à Abélard.

Succès considérable lors de sa parution en 1761, Julie ou la Nouvelle Héloïse a également fortement contribué à la redécouverte du personnage d’Héloïse, et de son histoire avec Abélard.

Héloïse, la première épouse de Charles Bovary !

Nous l’oublions souvent, mais Emma Bovary n’est pas la première épouse de Charles. Flaubert prend un malin plaisir à écorner la symbolique du prénom Héloïse en nous présentant l’épouse de Charles Bovary comme une vieille femme acariâtre ! Plus de détails par ici !

Héloïse d’Ormesson…

Enfin, Héloïse est le prénom de la fille de Jean d’Ormesson… à qui l’on doit la maison d’édition Héloïse d’Ormesson !

Illustration : Edmund Blair Leighton, Abelard and his pupil Heloise

Comment organiser son mariage avec les écrivains classiques ?

La saison des mariages vient de débuter ! Que vous soyez en train de préparer le vôtre, ou en train d’enchaîner les mondanités, nous ne voulions pas vous laisser sans guide de survie ! Parce que les héros de la littérature ont eux aussi assisté à des mariages ou organisé leurs noces, petit tour d’horizon des questions à se poser avant de convoler !

Qui allez-vous épouser ?

Parce qu’il scelle des alliances, unit, réconcilie, le mariage apparaît souvent comme le point d’orgue, l’aboutissement de nombreuses œuvres littéraires. Le choix du conjoint constitue en lui-même un véritable suspense et on distingue généralement quatre types de mariage :

  • Le mariage d’amour (Octave qui épouse Hyacinthe dans Les Fourberies de Scapin)
  • Le mariage imposé (Marguerite de Valois qui épouse Henri de Navarre dans La Reine Margot pour raisons politiques
  • Le mariage arrangé (Jeanne Le Perthuis de Vaud qui épouse Julien de Lamarre dans Une Vie)
  • Le mariage de raison (Candide qui se résout à épouser Cunégonde, et se trouve heureux avec elle)

Le mariage d’amour peut avoir lieu à la fin de l’œuvre littéraire ou alors en cachette, au début de l’œuvre. A l’inverse du mariage imposé qui pose un problème aux deux futurs mariés, le mariage arrangé constitue, comme son nom l’indique, un « arrangement », qui convient aux familles et aux mariés. Il permet la transmission d’un nom et d’un héritage. Le mariage de raison est un mariage qui arrive après une longue période de concubinage, parce que l’on s’attache à la personne avec laquelle on vit.

Il ne faut pas se mentir : les mariages sont essentiellement homogames ! Les héroïnes épousent toujours un prétendant appartenant à leur milieu social et il est impossible qu’une bourgeoise épouse un valet.

Votre futur conjoint est-il fidèle ?

Cette question délicate est pourtant essentielle ! En effet, il arrive que des mariages soient voués à l’échec avant même d’être scellés, parce que les futurs conjoints, ou l’un des futurs conjoints est insatisfait, et va déjà voir ailleurs ! C’est ce qui arrive dans le roman Germinal ! Le roman évoque aussi bien les mineurs que les bourgeois qui possèdent les mines et exploitent les mineurs. Or, parmi ces derniers se trouve M. Hennebeau, propriétaire de la mine. M. Hennebeau découvre que sa femme le trompe avec son propre neveu, Paul Négrel. Or, Paul Négrel est quant à lui sur le point de se marier avec Cécile Grégoire ! Germinal dénonce donc un adultère presque doublé d’un inceste – « presque » car il n’y a aucun lien de sang entre Paul et Mme Hennebeau. Toujours est-il que l’union de Paul et Cécile est franchement mal partie !

Aimez-vous vraiment votre futur conjoint ?

Autre question dérangeante, mais pourtant cruciale ! Ce sont Marivaux ou Beaumarchais qui ont le mérite de mettre cette question au cœur de leurs différentes pièces. Les deux dramaturges abordent le mariage en profondeur, notamment dans sa dimension psychologique. Les futurs mariés prennent conscience de l’importance de cet engagement et dissèquent leurs sentiments et la véracité de leur choix. Le mariage est un moyen de se découvrir soi avant de découvrir l’autre. Alors que chez Molière  la question est « vais-je pouvoir l’épouser ? », chez Marivaux ou Beaumarchais, la véritable question est « est-ce que je souhaite réellement l’épouser ? » Et rappelez-vous, changer d’avis avant le jour J est chose possible !

Vos familles s’entendent-elles ?

A moins de vouloir s’épuiser dans un remake de Roméo et Juliette, l’entente cordiale entre les deux familles, même si elles n’ont rien en commun, est plutôt une bonne chose. Car un mariage qui scelle deux mondes, deux univers qui n’ont rien en commun voire se détestent, ne peut que causer des problèmes ! C’est ce qui arrive dans La Reine Margot d’Alexandre Dumas.

Le roman débute par un mariage, celui de celle qu’on surnomme « Margot ». Afin de pacifier le pays, l’intrigante Catherine de Médicis a décidé de marier sa fille, Marguerite de Valois, catholique, à Henri de Navarre, un protestant. Mais ce mariage, qui est une union de façade et est donc véritablement un mariage imposé à deux conjoints qui se détestent cordialement, va embraser une population tout sauf dupe et très vite donner au lieu… au massacre de la Saint-Barthélémy ! Sans aller jusqu’à ces extrémités, là encore, la question mérite d’être posée.

Mariage en petit comité ou en grande pompe ?

Il arrive qu’un budget réduit, qu’une famille peu nombreuse ou que des proches éloignés soient des facteurs qui imposent d’eux-mêmes le mariage en petit comité ! Si ce n’est pas le cas, vous êtes chanceux et pouvez, peut-être, vous permettre le luxe de choisir le type de noces que vous souhaiterez organiser !

Dans Bel-Ami de Maupassant, Georges Duroy se marie deux fois, la première en petit comité, la seconde en grande pompe ! Pour son premier mariage, quoi de plus normal ! Georges épouse en effet Madeleine Forestier, à peine remise de son veuvage ! Rappelons que la situation est d’autant plus dérangeante que c’est Charles Forestier, mari de Madeleine, qui avait introduit Georges au sein du journal La Vie française ! Pour son deuxième mariage, la situation est ô combien différente et Georges voit les choses en grand. Georges, qui s’appelle désormais Georges du Roy de Cantel, et est donc anobli, épouse dans l’enceinte prestigieuse de l’église de la Madeleine, à Paris, la fille de M. Walter, son patron, dont il avait auparavant séduit l’épouse. Maupassant nous décrit l’église de la Madeleine noire de monde et la foule qui acclame les jeunes mariés. Ce mariage en grande pompe témoigne du triomphe de Bel-Ami.

Vous l’aurez compris, un mariage en petit comité ou en grand pompe n’envoie pas les mêmes messages, n’est pas chargé de la même symbolique. Cette symbolique n’est ni positive ni négative, elle est liée aux mariés et à leur histoire.

Y-a-t-il des personnes qui s’opposent à ce mariage ?

On pense souvent que cela n’arrive qu’aux autres, et pourtant ! La malheureuse Jane Eyre voit son mariage avec Edward Fairfax Rochester interrompu, et annulé ! En effet, un « invité surprise » vient rappeler que Rochester est déjà marié ! Ce dernier se voit donc dans l’obligation d’avouer à Jane son passé (il est marié à une femme devenue folle dont il ne peut se séparer).

Qu’avez-vous « prévu » pour la nuit de noces ?

Si la nuit de noces ne pose généralement pas de problèmes, elle en est pour certaines de nos héroïnes !

Dans Une Vie, Jeanne, vierge effarouchée qui n’a jamais connu que le couvent, angoisse à l’idée de sa future nuit de noces avec Julien de Lamare. Sa mère ne pouvant répondre à ses questions à peine formulées (nous sommes au XIXe siècle), Jeanne va, le soir-même de son mariage, subir les assauts de son mari. Le narrateur explique : « Mais une souffrance aiguë la déchira soudain. »[1] (sic)

Qu’allez-vous manger ?

Des convives heureux sont des convives qui ont bien mangé ! Là encore, le repas dépend et du style de votre mariage, et de votre budget et trahit votre style, vos goûts et votre degré de raffinement.

Le mariage de Charles et Emma Bovary est un mariage champêtre, et le repas servi trahit à la fois le manque de raffinement du mari et la pesanteur de la vie qui attend Emma :

« Il y avait dessus quatre aloyaux, six fricassées de poulets, du veau à la casserole, trois gigots, et, au milieu, un joli cochon de lait rôti, flanqué de quatre andouilles à l’oseille. Aux angles, se dressait l’eau-de-vie dans des carafes. Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse autour des bouchons, et tous les verres, d’avance, avaient été remplis de vin jusqu’au bord. De grands plats de crème jaune, qui flottaient d’eux-mêmes au moindre choc de la table, présentaient, dessinés sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux époux en arabesques de nonpareille. »[2]

On n’imagine sans aucun souci l’indigestion dont pourraient être saisis les convives ! Veillez donc à ne pas surcharger le repas !

Après vous avoir adressé ces conseils, nous vous souhaitons un beau mariage, une belle réception et surtout de joyeux et mémorables moments !

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Illustration : Owen Wilson et Vince Vaughn dans Serial noceurs (2005)

[1] Guy de Maupassant, Une Vie, Chapitre IV, 1883

[2] Flaubert, Madame Bovary, 1857