De grandes performances aux travailleurs de l’amer : de l’art de s’afficher au travail avec les classiques

Au beau milieu de l’open-space, près de la machine à café ou à la cantine lors de la pause déjeuner, lire sur son lieu de travail n’est en rien anodin et pourra vous apporter, ou les foudres de votre patron, ou l’admiration de vos collègues. Petit tour d’horizon des livres à lire…et à ne pas lire !

3 critères sont essentiels

  • la longueur : trop court vous passerez pour un fayot qui n’a en réalité jamais lu un seul livre de sa vie, trop long vous passerez pour un je-m-en-foutiste (que faites-vous de vos journées de travail ?) doublé d’un prétentieux.
  • le lieu où vous lisez : aux toilettes, on vous détestera. Dans l’open-space on vous raillera. La meilleure option reste encore la cantine, à condition de ne pas lire lors de toutes vos pauses déjeuner sous peine de passer pour un asocial.
  • le temps que vous consacrez à votre lecture : plus que le moment où vous lisez, c’est le temps que vous passez à lire qui peut poser problème. Dix-quinze minutes est un temps raisonnable. Cela permet à la fois la pause et la réflexion. Plus long cela deviendrait suspect.

Les auteurs qui marchent

  • les auteurs français réalistes du XIXe siècle : rassurants et universellement connus, ils rassurent et suscitent une certaine admiration, sans effrayer.
  • les auteurs des années 50-60 : classiques sans l’être trop, les Sagan, Faulkner, Hemingway et Cie vous permettront d’engager aisément la conversation avec vos collègues.

Les auteurs à proscrire

  • les auteurs controversés, comme Céline par exemple, qui risquent par des raccourcis faciles, de susciter une certaine méfiance autour de votre cas.

Les livres à double tranchant

  • Le Père Goriot, et Splendeurs et misères des courtisanes : ces romans, qui relatent l’ascension sociale d’Eugène de Rastignac, risquent de vous faire passer pour un ambitieux aux motivations troubles. Idéal pour être mis au placard ?
  • Le Comte de Monte-Cristo : ce magnifique roman est celui de l’amour, de l’évasion, de l’espoir, mais aussi celui de la vengeance. Vous auriez tôt fait de passer pour un Edmond Dantès, pour un Janus à double face attendant de se venger d’anciens collègues.
  • Germinal : renseignez-vous d’abord sur la politique sociale de votre entreprise.

Les livres à proscrire

  • Le Journal d’un séducteur : inscrivez-vous plutôt sur un site de rencontre.
  • Les Rêveries du promeneur solitaire: idéal pour finir très rapidement dans les limbes de Pôle Emploi.
  • Sur la route : commencez d’abord par démissionner.
  • Tartuffe : bonjour, je me présente, je suis un gros faux-cul.
  • Le malade imaginaire : combien d’arrêts maladie avez-vous pris cette année ?

Les livres qui cartonnent et auxquels vous n’auriez pas pensé

  • Cyrano de Bergerac: vous passerez pour une âme généreuse capable de finir le travail des autres en cachette. Idéal pour nouer des alliances !
  • Les Mémoires de Saint-Simon : assurément le guide de survie en entreprise !
Vous travaillez avec…. Choisissez
des Américains Gatsby le magnifique : le seul livre que ces incultes connaissent.
des femmes Chéri : vous flatterez leur ego et toucherez leur cœur en choisissant un auteur féminin qui fait l’unanimité.
des hommes Mémoires d’Hadrien : un choix original et exigeant qui suscitera une réflexion saine sur le pouvoir.
des jeunes L’Attrape-cœurs : parce qu’on a tous en nous quelque chose d’Holden Caulfield.
de jeunes loups de la finance Les hauts de Hurlevent : pour leur rappeler que la roue tourne, et pas toujours du bon côté…
des fonctionnaires dépressifs Au Bonheur des dames : c’est carré, on sait où l’on va….et ça finit bien !
des créatifs L’Illiade et L’Odyssée : idéal pour stimuler leur imaginaire
des pervers narcissiques La princesse de Clèves : moralité et intégrité j’écris vos noms.
des mythomanes De l’inconvénient d’être né : au moins le message est clair.
des paresseux Oblomov : vous feriez mieux de vous mettre au boulot !
des Anglais

Tristram Shandy : on ne pourra pas vous reprocher de ne pas avoir saisi l’humour anglais !

 

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Illustration : Leonardo DiCaprio dans Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese (2013)

 

Tartuffe, le héros aux deux visages

« Beaucoup d’hommes naissent aveugles et ils ne s’en aperçoivent que le jour où une bonne vérité leur crève les yeux. » Jean Cocteau

Tartuffe de Molière, ce n’est pas l’histoire d’un dîner de cons qui aurait mal tourné, mais c’est plutôt l’histoire de L’incruste  qui s’invite à la table d’un con. Deux Francis Veber pour le prix d’un. L’incruste, c’est Tartuffe. Ce faux-dévot tout de noir vêtu n’est qu’hypocrisie et concupiscence. Il n’a rien et veut tout, le beurre, l’argent du beurre, et plus encore

Qui est Tartuffe ?

Tartuffe rencontre Orgon à l’Eglise et voit en ce personnage le con chez qui il pourra tous les soirs crécher. Comme dans une rencontre amoureuse à la chorégraphie parfaitement synchronisée, la parade amoureuse de Tartuffe opère de façon magistrale. Notre homme, subitement devenu une publicité vivante pour l’Eglise catholique arrive à ses fins, c’est-à-dire à s’installer chez Orgon, trop bon, trop con.

Qui est-il cet Orgon ? Ce bourgeois, marié et père de famille, ayant autrefois participé à la Fronde, étouffe au sein d’un gynécée aux allures de cage dorée qu’il a lui-même construit. Soumis à sa mère, Mme Pernelle, il ne voit ni que sa très belle épouse  Elmire, doucement le méprise, ni que sans sa servante Dorine, la cellule familiale imploserait. Trois femmes puissantes règnent sur sa maisonnée. Notre homme est un pauvre petit garçon qui n’a pas grandi, en attente d’attention et de reconnaissance.

Orgon, victime d’un Tartuffe pervers narcissique

Tartuffe s’infiltre dans cette béance qu’est la souffrance d’Orgon. Tartuffe ne lâche pas Orgon d’une semelle, il l’écoute, le console, le valorise… et subitement disparaît, et brutalement devient distant… Au nom de la religion, affirme-t-il ! Puis réapparaît, aussi mielleux qu’au premier jour. Orgon, lui, accueille tel un don du Ciel l’ami qu’il a attendu toute sa vie et irait jusqu’à lui donner sa fille, sa femme et sa maison. Il faudra toute l’ingéniosité d’Elmire et l’intervention miraculeuse de l’envoyé du roi pour mettre fin aux manigances de Tartuffe, envoyé manu militari en prison. Tout est bien qui finit bien !

Un chef-d’oeuvre aux allures d’avertissement

Que nous apprend Tartuffe ? Tartuffe est un drame de l’aveuglement qui s’achève in extremis sur une fin heureuse que l’on n’attendait plus. Tartuffe nous invite à la vigilance, nous rappelle que l’on ne connaît jamais parfaitement ceux qu’on aime, ni ceux à qui on offre, un peu trop vite parfois peut-être, notre amitié, le gîte et le couvert.

Tartuffe, enfin, vaut tous les livres de développement personnel en matière de pervers narcissique, et nous montre que chacun de nous peut, à un moment de sa vie, devenir trop bon, trop con.

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Illustration : Yves Montand, Gérard Depardieu et Marie Dubois dans Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet (1974)