Elodie Pinel, ou la littérature médiévale pour miroir des âmes

« La folie des béguines m’est sympathique »

Si les utilisateurs d’Un Texte Un Jour connaissent, sans le savoir, Elodie Pinel (on lui doit l’ajout de plusieurs textes de littérature médiévale dans la catégorie « Cette semaine »), le grand public a peut-être découvert cette agrégée de lettres modernes au printemps 2020 dans la Maison Lumni, à travers des interventions dynamiques et toujours passionnantes. Parce qu’elle n’a pas son pareil pour rendre accessibles des notions parfois complexes, et qu’elle a plein de cordes à son arc, je souhaitais vous présenter cette spécialiste de littérature médiévale. Elodie vient juste de soutenir sa thèse consacrée à Marguerite Porete, dont vous retrouverez d’ailleurs un texte sur l’application Un Texte Un Jour !

Elodie, les lecteurs d’Un Texte Un Jour te connaissent un peu en tant que spécialiste de la littérature médiévale. Pourrais-tu te présenter ?

Je suis professeure agrégée de lettres modernes et certifiée de philosophie ; j’ai mené un travail de thèse de doctorat en littérature du Moyen Âge de 2014 à 2020. Avant cela, j’ai fait des études en philosophie, littérature mais aussi en métiers du livre car j’ai travaillé 3 ans dans les éditions Vrin, spécialisée en philosophie, de 2006 à 2009. Je poursuis cette dernière activité au sein des éditions du Robert en tant qu’autrice et coordinatrice d’ouvrages scolaires.

La littérature médiévale n’est pas nécessairement simple d’accès. Qu’y trouves-tu et en quoi te passionne-t-elle ?

J’ai découvert la littérature du Moyen Age en lisant la correspondance d’Abélard et Héloïse, qui est la première correspondance amoureuse écrite en France ! Elle est passionnante car elle semble avoir été écrite hier, et l’histoire qu’elle raconte est bouleversante. Je suis étonnée qu’il n’y ait pas encore eu de film ou de série au sujet de ces deux grands amoureux !

J’ai ensuite été initiée à la lecture des manuscrits du Moyen Âge à l’université de Nantes dans le cours de Michelle Szkilnik, aujourd’hui professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle. Ce fut le coup de foudre ! J’ai ensuite picoré dans plein de textes : les romans du roi Arthur, bien sûr, mais aussi les poésies des troubadours, hommes et femmes.

Quels titres conseillerais-tu pour s’initier à cette littérature ?

L’entrée la plus facile est celle des romans de chevalerie, en particulier ceux du roi Arthur. Lancelot ou le chevalier à la charrette et Perceval ou le Conte du Graal, tous deux de Chrétien de Troyes, sont souvent édités dans des versions modernisées. Tristan et Iseult est aussi un grand classique, qui a notamment été adapté à l’opéra par Wagner.

Tu as soutenu le 12 décembre ta thèse sur Marguerite Porete. Qui est-elle et comment l’as-tu découverte ?

Marguerite Porete est une autrice du XIIIe siècle qui a été brûlée pour son livre en 1310 par l’Inquisition de Paris. Son livre est en effet un texte énigmatique qui mêle littérature, spiritualité et philosophie. Il vise à permettre à tous ceux qui le souhaitent de trouver Dieu en eux-mêmes et de changer de vie. Ce genre de discours pouvait sembler dangereux pour l’Eglise de son époque, surtout quand il était mal compris par certains lecteurs qui ont pensé y trouver l’autorisation de se dire plus avancés que les autres et de faire n’importe quoi sur le plan moral ! Je l’ai découverte grâce à une professeure, Estelle Doudet, qui m’a préparée à l’agrégation de lettres : je l’en remercie encore aujourd’hui !

Qu’as-tu démontré dans cette thèse ? Qu’est-ce qui fait la modernité de Marguerite ? En quoi peut-elle nous parler aujourd’hui ?

Un des points de démonstrations de ma thèse porte sur la figure d’autrice de Marguerite. Au fil de ma lecture du texte et de ma consultation de tous les manuscrits qui en restent à travers toute l’Europe, j’ai constaté que son livre, le Miroir des âmes simples,avait été un objet de fascination à travers les siècles et qu’il avait été traduit et réécrit dans plusieurs langues et plusieurs pays, alors qu’il était condamné à être détruit et à disparaître ! En rapprochant ce texte des autres livres de son époque, j’ai aussi constaté que Marguerite avait lu énormément de choses, notamment la Bible, sans doute en latin. Cela en fait non seulement un des premières autrices en langue française mais aussi une des premières intellectuelles de notre culture.

Tu enseignes en lycée, mais tu multiplies les interventions et collaborations autour de la littérature et de la langue française. Comment ce désir de diversifier tes activités est-il né ? Une expérience t’a-t-elle marquée plus que d’autres ?

Ce désir est d’abord né d’un besoin bêtement financier ! Maman séparée, j’ai rapidement dû trouver des activités complémentaires pour boucler les fins de mois… Je me suis naturellement orientée vers les cours particuliers, la vulgarisation littéraire et la rédaction de contenus pédagogiques. J’y ai pris goût et je collabore maintenant régulièrement avec Les Bons Profs, les éditions du Robert et la revue Etudes, entre autres.

A l’issue de ta thèse, as-tu envie de continuer à faire de la recherche ? As-tu des projets en cours dont tu pourrais nous parler ?

J’ai besoin de faire une pause dans mes recherches académiques pour l’instant mais j’aimerais, un jour, pouvoir éditer et traduire les textes des autres autrices que j’ai découvertes au cours de ces années de thèse, à savoir les poésies des béguines et leurs biographies, qui sont souvent totalement démentes ! Ces femmes étaient obsédées par le fait de mener une vie mystique, ce qui les conduisait à des prodiges sur le plan mental, mais aussi physique… Certaines se jetaient dans des fours à pain pour faire l’expérience de la mort ! D’autres vivaient recluses, ou jeûnaient, ou ne mangeaient que des hosties… Leur folie m’est sympathique. Mais mon plus grand projet, c’est celui d’écrire un roman pour tenter de reconstituer la vie de Marguerite Porete, dont on n’a aucun témoignage à part celui de son exécution.

Enfin, pour finir, quel regard portes-tu sur des initiatives comme Un Texte Un Jour ?

J’adore Un Texte Un Jour et je suis l’application depuis longtemps, puisque j’y ai aussi collaboré ! Je trouve cette manière de rendre accessible la littérature, qu’elle soit patrimoniale, poétique, anglaise ou féminine, très efficace. Je conseille personnellement ces applis à mes élèves et je les consulte moi-même très souvent (notamment pour améliorer mon anglais avec A text A day !). C’est qui plus est une initiative très inspirante car je travaille moi-même à un format de vulgarisation littéraire, dans un autre registre bien sûr !

© La Maison Lumni

 

10 signes que vous adorez la littérature du Moyen Âge

Vous aimez saluer les gens en criant « Oyez oyez »

Même si cette expression ne se rencontre pas dans les romans de chevalerie à proprement parler, elle devait sans doute être lancée par les jongleurs au moment de commencer à réciter les histoires sur les places publiques ou pendant les veillées.

Vous avez appelé votre fils « Arthur », « Tristan » ou « Yvain »et/ou votre fille « Blanche », « Iseult » ou « Marguerite ». Perceval, Lancelot et Guenièvre sont plus difficiles à porter…

Vous partez tous les étés en Bretagne…

…et aimez flâner dans les forêts magiques, comme celle de Paimpont, autrement appelée « Brocéliande ».

Vous êtes fans de GOT

Ou Game of Thrones pour les non-avertis. Même si la série a commencé par vous rebuter (beaucoup trop d’anachronismes!), vous avez fini par retrouver une atmosphère qui est aussi celle des romans de chevalerie arthuriens.

Vous dites souvent « C’est pas faux »

En référence à la fameuse réplique de Perceval dans le Kaamelott d’Astier, qui vous ramène au vrai Perceval, celui de Chrétien de Troyes.

Vous avez ri comme une baleine devant l’épisode de Kaamelott où Perceval ne sait pas comment il s’appelle

Car vous vous êtes souvenus que Perceval dans le roman de Chrétien de Troyes ne connaît pas non plus son nom : il ne l’apprend que bien après avoir entamé ses aventures de chevalier !

Et devant celui où Arthur et ses chevalier s’interrogent sur la vraie nature du Graal

Pierre rouge ou plat à poisson ? Les deux options sont examinées dans l’épisode, elles le sont aussi dans le Perceval de Chrétien de Troyes : le roi qui accueille Perceval  et à qui le chevalier aurait dû poser une question pour trouver le Graal (d’après ce qu’il apprend ensuite) est un roi qui pêche, et le moment où Perceval aurait aimé poser une question est celui où il voit passer un plat à poisson au cours du repas. C’est chez Wolfram von Eschenbach que le Graal devient une pierre précieuse.

Vous appelez les chanteurs à textes des « troubadours »

Et oui, chanson d’amour déclamée à la guitare ou chant d’amour courtois accompagnée d’un luth, même combat !

Vous connaissez la différence entre goupil et Renart

« Renart » c’est le nom du personnage, pas de l’animal, que diable !

Vous mourrez de soif auprès de la fontaine

Non pas parce que vous êtes un peu bizarre mais… parce que vous connaissez par coeur le premier vers du plus célèbre poème de Charles d’Orléans !

Vous souhaitez découvrir des textes du Moyen Âge ? Téléchargez nos applis Un texte Un jour et Un Texte Un Eros !

Article écrit par Elodie Pinel : Agrégée de lettres modernes, certifiée de lettres classiques, Elodie a travaillé plusieurs années dans le monde de l’édition, a enseigné le français au lycée et donne actuellement des cours à l’université tout en préparant une thèse en littérature du Moyen Âge ! Un grand merci à elle ! N’hésitez pas à découvrir son blog !

Illustration : Fabrice Luchini dans Perceval le Gallois (Eric Rohmer, 1978)