Qui sont les Charles de la littérature classique ?

Prénom d’origine germanique, « Charles » vient du germanique « karl » qui signifie « viril ». Associé à la force et au pouvoir, ce prénom intemporel a souvent été l’apanage des rois ou de grandes figures politiques et intellectuelles.

De façon étonnante et tout à fait significative, les héros de la littérature qui se prénomment « Charles » ne frappent pas, au premier abord, par leur virilité !  Ils sont cependant assez nombreux pour esquisser le portrait de Charles aussi différents les uns des autres, et porteurs d’imaginaires riches et variés.

Charles de Batz-Castelmore, comte d’Artagnan

Eh oui, on l’ignore souvent, mais Charles est le prénom de d’Artagnan ! Au début des Trois Mousquetaires, d’Artagnan est un jeune Gascon qui monte à Paris pour intégrer le corps des mousquetaires de Louis XIII. Après une première rencontre conflictuelle avec les Mousquetaires – notamment avec Aramis, à propos d’un mouchoir brodé que d’Artagnan a la maladresse de ramasser – les quatre hommes deviennent amis. Tous les quatre s’opposeront au cardinal Richelieu pour sauver l’honneur de la reine Anne d’Autriche.

Généreux, courageux, mais aussi amoureux ; d’Artagnan est l’incarnation d’un certain idéal de jeunesse que rien ne semble pouvoir ternir. On le retrouve, plus âgé, dans Vingt après et Le vicomte de Bragelonne. Il est le plus grand personnage de cape et d’épée de la littérature française.

Charles Bingley, solaire et généreux

Personnage d’Orgueil et préjugés, Charles Bingley est le meilleur ami de Fitzwilliam Darcy. Alors que ce dernier apparaît comme un personnage fier et ténébreux, Charles frappe par son aspect solaire, sa profonde gentillesse et sa générosité. Ce sont ces qualités, qui détonnent au sein de l’aristocratie du  Hertfordshire, qui séduisent Jane Bennet, qui se reconnaît en tout point en Charles.

Malheureusement, la gentillesse de Charles nuit à sa clairvoyance. Manipulé par sa sœur Caroline, il en faut de peu pour qu’il passe à côté de l’amour de sa vie et c’est grâce à l’intervention de Darcy que Charles pourra finalement s’unir à Jane.

Si Charles Bingley peut par moment paraître un peu falot, il apparaît au bout du compte comme un personnage un peu jeune, et tellement bon qu’il ne voit le mal nulle part. La fin du roman et la très belle demande en mariage qu’il fait à Jane achèvent de brosser le portrait d’un personnage éminemment sympathique, comme on n’en trouve guère en littérature.

Charles Bovary, l’humilié magnifique

Charles Bovary est un des personnages les plus connus, et les plus malheureux de la littérature française ! Hanté par le traumatisme d’une entrée en cinquième catastrophique, « Charbovary » est un personnage qui n’est jamais à la hauteur, ni des rêves de sa femme, Emma, ni des ambitions sociales de sa mère. Médiocre officier de santé, on imagine aisément qu’il aspirait à une vie plus simple que celle dont rêvait sa femme Emma. Mais d’ailleurs, sait-il lui-même ce dont il rêve ?

Toujours satisfait de lui-même, il est difficile de trouver des circonstances atténuantes à ce personnage sans finesse, cocu idéal.

Charles Swann, l’aristocrate fin et élégant

C’est un Charles bien différent que dépeint Marcel Proust dans A la recherche du temps perdu ! Ami fidèle du narrateur, Charles Swann est un modèle d’élégance, de culture, de distinction et de raffinement. Personnage sentimental et complexe, Charles Swann s’est trouvé embrigadé dans une relation amoureuse avec Odette de Crécy, une vulgaire cocotte qui ne lui ressemble en rien. Une fois leur relation finie, Charles le reconnaîtra : « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre »[1]. Il aura d’ailleurs une fille, Gilberte, avec Odette qu’il finira par épouser.

Apprenant au cours du roman qu’il est mourant, Charles Swann se confie à son amie Oriane de Guermantes qui n’en croit un mot et préfère le planter pour aller changer de chaussures : c’est la magnifique scène finale du Côté de Guermantes.

La fin tragique de Charles Swann laissera le Narrateur et les lecteurs d’A la recherche du temps perdu bouleversés. Le personnage sombrera néanmoins dans l’oubli, car, contrairement au Narrateur, Swann n’aura pas su devenir un artiste.

 

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[1] Marcel Proust, Un amour de Swann, 1913

Illustration : Simon Woods dans le rôle de Charles Bingley dans le film Orgueil et préjugés de Joe Wright (2005)

 

Frédéric Verdier ou la confession d’un journaliste du siècle

« Quand tu as dix-huit ans, que tu veux devenir journaliste et que tu lis Bel-Ami, l’histoire d’un type qui a moins de talent que Rubempré, mais qui est assez démerdard pour choisir ses maîtresses, c’est génial ! »

 

Il est assez rare de se retrouver devant sa télé, à regarder Roland Garros, et à être cueillie par la voix d’un commentateur sportif qui vous cite, entre deux échanges, « Le Dormeur du Val » d’Arthur Rimbaud ou mieux encore, un extrait d’A Rebours de Huysmans !

Ce journaliste sportif, qui officie sur Eurosport, c’est Frédéric Verdier. C’est avec énormément d’humour et une grande bienveillance que le journaliste nous a raconté ses classiques, sans chapelle ni langue de bois. Vous ne regardez plus les matchs de tennis d’un même œil !

Frédéric, quel lecteur es-tu, et notamment quel lecteur de classiques es-tu ?

Je suis un lecteur de classiques, et un lecteur tout court passionné et très décomplexé. Je reviens régulièrement aux classiques, notamment ceux que je crois avoir lus et je suis parfois surpris. Par exemple, j’ai lu récemment La Chartreuse de Parme, pensant que je l’avais déjà lu… Ce n’était pas le cas, et j’en ai été ravi ! J’ai d’ailleurs pu voir que la chartreuse de Parme n’apparaît jamais dans le livre, sauf à la toute fin ! Je choisis en tout cas mes lectures très librement, et souvent par association d’idées. Il suffit d’un mot, d’une situation ou d’une rencontre pour que je pense à un livre ou à un auteur, et que je le lise. Au fil des années, je crois pouvoir dire que j’ai lu à peu près tous les livres que j’avais en tête à l’âge de dix-huit ans.

« J’ai donc un rapport passionnel aux classiques »

J’ai lu récemment les Maximes de La Rochefoucauld, c’est fantastique, les Caractères de La Bruyère aussi… J’ai donc un rapport passionnel aux classiques, et cela m’aide même dans mon travail.

Pourrais-tu développer ?

Lire des livres universels comme ceux-là élargit considérablement la pensée. On peut s’approprier des phrases entières, des idées ou des mots qu’on n’aurait jamais eus avant ! Notre vocabulaire s’enrichit, c’est une grande force et une grande joie.

Il t’arrive de convoquer les classiques lors de tes commentaires sportifs. Que se passe-t-il dans ta tête, au moment où tu cites ces grands textes ?

C’est avant tout pour moi que je le fais, et je suis très heureux lorsqu’un téléspectateur, voire deux, m’écrit pour me dire qu’il a reconnu une citation d’Isidore Ducasse (ndlr : Lautréamont) ou de Huysmans. J’adore !

« L’instantanéité de la référence est très importante »

C’est en tout cas toujours naturel, spontané et je ne vais bien sûr jamais sur Google pour chercher la référence idoine (rires). Il faut que ce soit dans le moment, l’instantanéité de la référence est très importante ! C’est la situation qui déclenche chez moi la référence, et c’est d’ailleurs très agréable lorsque Jean-Paul Loth ou Guy Forget la reconnaissent et rebondissent dessus ! Mais je cite aussi bien des chansons populaires que Cyrano de Bergerac, et c’est pour ça qu’il est très utile d’avoir de la mémoire.

Le but est en tout cas à chaque fois d’enrichir le commentaire, et que la référence ne soit pas seulement le résultat, ou le descriptif d’une situation. La paraphrase permanente n’a aucun intérêt !

Quels sont les grands classiques qui t’ont marqué ?

Il y en a plein ! Cyrano. Voyage au bout de la nuit. Vie et Destin de Vassili Grossman. Le Journal de Jules Renard, le Journal littéraire de Léautaud. Guerre et Paix. La Marche de Radetzky de Joseph Roth. L’Homme sans qualités de Robert Musil, même si je n’ai pas tout compris, et qu’il est inachevé, alors que j’aurais adoré le lire jusqu’au bout ! Mais de manière générale, j’adore la Mitteleuropa et l’empire austro-hongrois. Et pour le style, bien sûr, Saint-Simon, le Cardinal de Retz, La Rochefoucauld, La Bruyère, La Fontaine… Etre capable, chez La Bruyère, de synthétiser le distrait Ménalque en quelques phrases, je trouve ça phénoménal ! D’ailleurs le travail du moraliste se rapproche de celui du journaliste. Etre capable de portraiturer en étant vif, piquant et juste… J’adore !

« Des Esseintes, à la limite de l’autisme »

Et je n’aime pas tous les Aragon, mais je trouve qu’Aurélien est un roman magnifique. Ce début fulgurant, cette histoire, très belle, et la façon dont elle est racontée, cette atmosphère de dancing, dans les années vingt. J’aime beaucoup Aurélien.

Bel-Ami évidemment ! Même chose qu’Aurélien ! Un type totalement amoral mais génial. Quand tu as dix-huit ans, que tu veux devenir journaliste et que tu lis Bel-Ami…c’est génial ! Georges Duroy, moins de talent que Rubempré, mais assez démerdard pour bien choisir ses maîtresses, et finir par un mariage dans l’église de la Madeleine.

 J’adore aussi Des Esseintes, le personnage d’A rebours, de Huysmans. Des Esseintes est à la limite de l’autisme ! C’est un personnage peu doué pour la vie, qui rappelle pas mal de Russes comme Oblomov, ou Ivanov, des abrutis qui ne font pas grand-chose… Des types indolents, un peu snobs, qui pourraient très bien être heureux mais se retirent plutôt dans une Thébaïde. Génial ! Sans oublier Martin Eden que j’ai lu à Dubrovnik et n’oublierai jamais. Comment une rencontre fait naître en toi quelque chose que tu n’aurais toi-même jamais deviné…

Le ou les classiques qui te tombe(nt) des mains ?

Mort à Venise – j’en ai d’ailleurs autant à propos du film que du livre. Madame Bovary, extrêmement ennuyeux. Belle du Seigneur. Le Quatuor d’Alexandrie. L’Archipel du Goulag, Le Pavillon des Cancéreux… Soljenitsyne j’ai du mal, Nabokov aussi.

Gide dans La Porte étroite, je trouve ça daté. On dirait du Pierre Benoit, que plus personne ne lit… J’aime le Nouveau-Roman, j’aime beaucoup Robbe-Grillet et Sarraute, mais je déteste tout Duras, surtout L’Amant. Butor et Claude Simon me fatiguent.

Et tu penses que dans la conscience collective française, des livres comme Madame Bovary ou Belle du Seigneur sont surévalués ?

Pas du tout, et je ne me sens pas forcément fier. Si ces œuvres ont conquis tant de monde, c’est qu’il y a une raison. Si je n’ai pas aimé ces livres-là, c’est peut-être parce que je les ai mal lus, mal compris, pas lus dans les bonnes conditions…

Et quand tu n’aimes pas, tu arrives à aller au bout ?

Plus maintenant ! Pendant longtemps, je me suis efforcé de lire jusqu’au bout. Aujourd’hui, il m’arrive de reposer le livre, et de le reprendre plus tard. Je m’oblige toujours en tout cas à aller à la page 100. Et si à la page 100, je ne ressens aucun plaisir, aucun éveil, je laisse tomber.

 Parlons tennis… Si Nick Kyrgios était un héros de roman, qui serait-il ?

Pourquoi pas Rastignac !

Si Maria Sharapova était une héroïne de roman, qui serait-elle ?

Avec les soucis qu’elle connaît en ce moment (Maria Sharapova a été convaincue de dopage et lâchée par ses sponsors), Raskolnikov !

 Rafael Nadal ?

Sans hésiter le Minotaure ! A cause de ce qu’il dégageait, un peu moins maintenant qu’à ses débuts. Mais je pense au sable de la terre battue, à la poussière, aux nasaux…Le côté taurin, mais aussi le côté insubmersible !

Roger Federer ?

Un Lucien de Rubempré… en plus doué pour la vie quand même !

Et Djokovic ?

Un personnage qui en a bavé mais qui en veut… Ou alors un tyran, qui asservit les autres ! Question difficile…

Si John McEnroe était un personnage shakespearien, qui serait-il ?

Falstaff ! Truculent, un peu bouffon, avec un esprit en même temps très aiguisé.

En guise de conclusion, si tu devais donner le nom d’un grand roman anglais à Wimbledon, lequel serait-ce ?

Pour ceux qui vont loin : La Puissance et la Gloire de Graham Greene. Ça pourrait être aussi Le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley. Et enfin pour ceux qui jouent les qualifications et sont au premier tour, ça serait plutôt…

La Foire aux Vanités ?

Pourquoi pas, d’autant que j’adore Thackeray !  Mais Le Livre de la Jungle irait très bien (rires) !

Illustration : Frédéric Verdier, journaliste sportif