Drôle d’endroit pour une rencontre : les classiques de Sylvie Germain

« A travers les questions posées à partir des textes des auteurs classiques, j’ai découvert une formidable dynamique de la pensée »

 Sylvie Germain, c’est une voix étonnamment singulière, précise, et qui se réinvente à chaque nouvelle publication, et qui m’accompagne depuis plusieurs années désormais, du Le Livre des nuits en passant par Magnus.  Rencontrée il y a quelques mois dans un bus parisien, Sylvie Germain avait accepté ma proposition d’interview. Sa pièce Economie d’énergie, avec Sam Karmann et Cristiana Réali sera à l’affiche de la sixième édition du festival Le Paris des Femmes, dimanche 8 janvier 2017. Sixième édition dont le thème est « Scandale ».

Sylvie Germain, êtes-vous issue d’une famille de lecteurs ? Comment l’écriture, la littérature et la philosophie se sont-elles imposées à vous ?

Mon père était un grand lecteur, mais pas de romans, plutôt d’ouvrages scientifiques, historiques, politiques et philosophiques. Ma mère lisait surtout des livres d’histoire, sa passion. J’ai peu lu jusqu’à l’adolescence ; mon intérêt pour la lecture est donc venu assez tard (fin du lycée), du moins a-t-il été long à mûrir. Mais une fois en place, le goût de lire est demeuré très vif, et j’apprécie autant les « classiques » (de littérature française et étrangère) que des œuvres contemporaines. Quant à l’intérêt pour la philosophie, je l’ai découvert en terminale, au fil des cours de philo. A travers les questions posées à partir des textes des auteurs classiques, j’ai découvert une formidable dynamique de la pensée : aucune réponse ne suffit à clore les questions fondamentales. D’où la poursuite de la lecture, et de l’écriture…

Y-a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

Je n’ai pas de « livres de chevet » à proprement parler, mais je reviens souvent à certains textes: essentiellement de la poésie (Rilke, Saint-John Perse, Verlaine, Rimbaud, Celan…)

La fréquentation d’Emmanuel Lévinas, ou de différentes œuvres ou auteurs, a-t-elle pu vous paralyser lorsque vous vous êtes lancée dans l’écriture ?

Toute « grande œuvre » est imposante, et intimidante, mais je ne ressens pas cette puissance comme paralysante, plutôt comme une stimulation. Car il ne s’agit pas du tout de prétendre se hausser au niveau des grands auteurs, de vouloir se comparer à eux, ce serait dérisoire. On écrit toujours en écho/dialogue/questionnement… à et avec d’autres auteurs.

Vous avez écrit plusieurs romans dépeignant des atmosphères rurales ou historiques comme Le Livre des nuits ou Jours de colère. Comment en êtes-vous venue à ce type d’œuvres ?

Je n’ai pas de réponse précise à cette question, je ne cherche jamais le « pourquoi » des thèmes, idées, images qui me viennent à l’esprit, s’y imposent et finissent par me donner envie de me lancer dans l’écriture d’un nouveau roman. Ça ne m’intéresse guère de savoir d’où me vient l’inspiration (de quelle strate de la mémoire, de quel recoin de l’inconscient, de quels plis et replis de l’imaginaire…), ce qui m’importe, c’est que cela prenne forme, cohérence (même en passant par la voie d’un certain fantastique parfois), et fasse un peu de sens.

Vous avez vécu et travaillé à Prague entre 1986 et 1993 et cette expérience vous a d’ailleurs inspiré le roman Immensités. Comment la culture française était-elle perçue à cette époque dans le contexte politico-culturel que l’on connaît ?

Dans le milieu que je fréquentais – celui de la dissidence -, les gens avaient une grande curiosité pour toute culture étrangère, dont l’accès était souvent difficile (très peu de traductions, et certains livres frappés d’interdit, donc non publiés ou retirés du circuit éditorial.) Beaucoup de textes circulaient en samizdats.                                     

La culture française était très appréciée, tant en philosophie, qu’en littérature et en poésie. Après 89, la curiosité s’est diversifiée, et dans le flot de publications qui a alors eu lieu, la qualité n’a pas toujours eu l’avantage… Quant à la littérature et à la langue française (et idem pour d’autres littératures et langues européennes), elles ont été assez abandonnées au profit de l’anglais et de la littérature américaine, comme un peu partout.

Vous avez reçu le prix Goncourt des lycéens pour Magnus en 2005. Comment analysez-vous la façon dont la littérature est aujourd’hui enseignée et envisagée par les lycéens ? A quelles attentes répondait Magnus selon vous ?

N’étant pas professeur de lycée, il m’est difficile de juger la façon dont la littérature est actuellement enseignée, et appréhendée par les élèves. Je crois que la qualité – humaine et pédagogique – de chaque enseignant est le plus important. Lors de rencontres avec des lycéens, dans des établissements très différents, j’ai pu apprécier le travail remarquable accompli par les professeur(e)s, et parfois aussi des documentalistes et/ou bibliothécaires qui avaient préparé leurs élèves, avaient su les motiver, éveiller leur curiosité, et leur esprit critique. Tout professeur qui s’investit dans son métier, qui aime vraiment la matière qu’il enseigne et prend à cœur l’importance de la transmission – de connaissances mais aussi de sa propre passion -, a des chances d’obtenir de beaux résultats (non pas en terme de notes, mais d’intérêt suscité chez les élèves).

Après l’obtention du prix des lycéens pour mon roman Magnus, j’ai été invitée dans des classes diverses (littéraires, scientifiques, techniques, professionnelles), et j’ai remarqué que ce qui avait le plus touché les lycéens c’était le thème de l’identité, de la quête (longue, difficile) de son identité par le personnage principal, car c’est là une question très sensible chez les adolescents.

 Illustration : Sylvie Germain © Tadeusz Kluba

NB : un « samizdat » désigne la « diffusion clandestine d’écrits censurés dans les pays d’Europe de l’Est sous les régimes communistes. »

Economie d’énergie de Sylvie Germain, dimanche 08 janvier 2017 au festival du Paris des Femmes

 

Littéraire et fière de l’être : Gaëlle Picut

« Pour moi, peu importe que ce soit des écrivains hommes ou femmes, des héroïnes ou des héros, c’est l’humain qui m’intéresse, dans ce qu’il peut avoir de plus admirable ou de plus noir »

Se lancer dans une nouvelle, et seconde aventure professionnelle n’est jamais simple ! Lorsque je me suis lancée dans l’univers des applications et du numérique avec ma mère Dominique, il y a quatre ans, il m’a fallu jongler entre mon métier de prof et ma nouvelle activité, et de nouvelles problématiques sont apparues à moi. C’est en tentant de répondre à ces questions sur le mode de vie, la conciliation entre vie professionnelle et personnelle que j’ai découvert En Aparté, le blog de Gaëlle. Cette journaliste et blogueuse y relate ses observations, impressions et témoignages autour de la vie professionnelle et personnelle. Gaëlle m’a d’ailleurs consacré deux interviews.

Passionnée d’éducation, portant un regard averti et aiguisé sur les réformes que connaît notre système éducatif, soucieuse de la conservation de notre patrimoine littéraire et culturel, il me fallait, après la parution d’un article ô combien rafraîchissant, passer Gaëlle à la question !

Gaëlle, quelle lectrice es-tu et notamment quelle lectrice de classiques es-tu ?

Je suis une lectrice un peu boulimique, en ce sens que je dévore les livres. Je lis très vite ! Et lorsque j’aime un livre, j’ai du mal à faire autre chose (mes enfants me le reprochent d’ailleurs un peu ;-)…En revanche, mon rythme de lecture est assez inégal. Je peux lire beaucoup durant plusieurs semaines puis faire une grande pause. Enfant, j’ai le souvenir d’avoir régulièrement rallumé en cachette ma lampe de chevet ou une petite lampe de poche (je croyais naïvement que c’était plus discret…) pour finir un livre. J’étais inscrite à la bibliothèque municipale de mon quartier et je me souviens que les bibliothécaires étaient impressionnées par le nombre de livres que j’empruntais. J’en tirais une certaine fierté ! J’ai lu beaucoup de classiques jeune. Je me souviens que mes parents (enfin, surtout ma mère) m’ont bien conseillée, ensuite ils m’ont laissé une totale liberté dans mes lectures. Je les en remercie car j’ai beaucoup appris grâce aux livres. Collégienne puis lycéenne, j’ai dévoré Jules Verne, Dumas (père et fils), Balzac, Zola, Flaubert, Maupassant puis Camus, Céline, Gide, Mauriac… mais également des auteurs étrangers (Herman Hesse, Stefan Zweig, Thomas Mann)

A l’âge de 11-12 ans je pense, Le Comte de Monte Cristo a été un vrai coup de cœur. Cette terrible histoire de vengeance m’a beaucoup marquée. En revanche, il y a certains classiques que je n’ai jamais pu terminer : Proust par exemple. J’ai fait plusieurs essais, mais en vain…

Y-at-il des classiques qui constituent pour toi des œuvres de chevet ?

J’ai un attachement particulier pour Belle du Seigneur. Je l’ai lu à 18-20 ans, et relu il y a 1 ou 2 ans. Pour moi c’est un chef d’œuvre, même si je suis bien consciente que le style est particulier et que la longueur peut effrayer. J’ai également relu il y a quelques années certains romans de Dostoïevski, ils sont vraiment admirables.Mais sinon, je relis très peu de classiques, ce qui est un tort d’ailleurs car la littérature contemporaine est parfois un peu fade. Et je me dis souvent que je ferais mieux de relire de bons classiques plutôt que des titres récents moyens… Mais je crois aussi que j’ai un peu peur d’être déçue en relisant des classiques… D’un autre côté, je suis persuadée qu’il y a certains classiques que j’ai lu un peu jeune et que j’apprécierais sans doute encore plus aujourd’hui.

Tu es une journaliste engagée sensible notamment à la cause des femmes et à la conciliation vie privée-vie professionnelle. Y-a-t-il des héroïnes de la littérature ou des femmes de lettres qui ont pu constituer une source d’inspiration, forger ta représentation des femmes ?

La littérature en général me semble un formidable vecteur de liberté, que l’on soit un homme ou une femme. Je n’avais jamais réfléchi à ta question en fait ! Elle est intéressante. J’ai peut-être été influencée, plus ou moins inconsciemment, par des auteurs comme George Sand, Colette, Daphné du Maurier, Sagan. En revanche, je n’ai pas de nom d’héroïne qui me vienne comme cela spontanément. Pour moi, peu importe que ce soit des écrivains hommes ou femmes, des héroïnes ou des héros, c’est l’humain qui m’intéresse, dans ce qu’il peut avoir de plus admirable ou de plus noir.

Le journalisme était-il une vocation de jeunesse ? Comment l’idée d’une profession autour des mots, si telle est la conception de ton métier, s’est-elle imposée ?

Etudiante, je rêvais de travailler dans l’édition. Je me sentais redevable à la littérature et j’avais envie d’apporter quelque chose à ce secteur. J’ai d’ailleurs fait plusieurs stages dans ce milieu. Par ailleurs, je rêvais d’épouser un écrivain ! C’était mon fantasme 😉

Puis les choses évoluent ! J’ai épousé quelqu’un qui n’était pas du tout écrivain (mais qui a une sensibilité littéraire 😉 et qui avait un métier qui faisait que nous n’allions pas vivre à Paris (du moins pas avant quelques années). J’ai alors décidé de me tourner vers le journalisme. J’aime écrire, traduire en mots ce que j’observe, essayer de transmettre ce que j’ai appris, compris. Régulièrement je réalise que je gagne ma vie grâce à des mots, et je trouve cela plutôt chouette;-)

Quel regard portes-tu sur l’enseignement et la transmission de la littérature classique aujourd’hui  ?

Ouh là là, tu me lances sur un sujet très sensible sur lequel je suis intarissable ! Globalement, je trouve que l’enseignement du français a beaucoup baissé. Les raisons sont multiples : baisse du nombre d’heures consacrées au français, quasi-abandon de l’orthographe et de la grammaire, exercice de la rédaction de plus en plus tardif, etc.

Lire est désormais en concurrence avec plein d’autres activités, notamment les jeux vidéos, les films, les séries, les réseaux sociaux… Bien sûr il existe des professeurs et des écoles « résistantes » mais ils sont trop rares. J’aimerais plus de défis lecture organisés dans les classes, de livres à lire durant les vacances. Je souhaiterais qu’on leur fasse découvrir à la fois des œuvres classiques mais également de bons romans jeunesse contemporains.

Tu es mère de trois enfants. Y-a-t-il des auteurs ou des œuvres que tu as réussi à leur faire découvrir ou que tu aimerais un jour leur faire découvrir ? La littérature constitue-t-elle un vecteur de transmission au sein de votre famille ?

Il y en a tellement que j’aimerais leur faire découvrir mais j’ai du mal. Pourtant, enfants, leur père et moi, nous leur avons lu des centaines d’histoires ! Et ils savent que je ne refuserai jamais de leur acheter un livre. Mais ils n’en profitent pas assez à mon goût. Qu’ils perçoivent la lecture davantage comme une obligation, du travail que comme une formidable possibilité d’évasion, de détente, d’apprentissage m’attriste un peu. Après je me dis que nous plantons des graines et j’espère qu’un jour elles écloront. C’est tout le travail d’éducation d’ailleurs ! Un travail de long terme et on ne sait jamais à l’avance ce qu’il produira ;-)Et puis, parfois, un livre réussit à les happer et je suis toute contente ! (mais c’est rarement un classique…). Mon fils lit énormément de BD et de magazines, c’est déjà un bon point ! Ma fille lisait beaucoup lorsqu’elle était en primaire mais depuis qu’elle est au collège, la lecture a malheureusement perdu pas mal d’attraits à ses yeux.

Une bonne nouvelle : ma fille aînée hésite à passer en première L l’an prochain, c’est une grande joie pour moi de l’avoir vu durant son année de seconde, grâce à une excellente professeur de français, se laisser emmener vers des œuvres exigeantes mais passionnantes.

Bref, ils n’ont pas fini de m’entendre louer les vertus de la lecture !

Pour découvrir le blog de Gaëlle Picut : http://www.en-aparte.com/

Illustration : Gaëlle Picut