Quinze femmes de lettres méconnues à retrouver sur l’application et le livre « Un texte Une femme »

À l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, nous avons souhaité vous présenter quelques-unes des 110 autrices de l’application et du livre Un Texte Un Femme, qui vous permettent chaque jour de recevoir un texte écrit par une femme, qui parle des femmes.

Christine de Pizan (1364 – 1430)

Qui est-elle ? Mariée à quinze ans à un homme qu’elle adore, Christine de Pizan est veuve à vingt-cinq, avec trois enfants. Elle réussit à gagner sa vie en écrivant des textes ambitieux et féministes, qui rencontrent un tel succès qu’ils sont traduits en plusieurs langues et notamment en anglais.

Pourquoi elle ? Elle est la première femme de lettres de la littérature française.

Elle a dit : « Toi, Jeanne, de bonne heure née, / Benoît soit celui qui te créa ! ». Christine de Pizan évoque ici Jeanne d’Arc.

Louise Bourgeois (1563-1636)

Qui est-elle ? Sage-femme des grands de ce monde et de la reine, Marie de Médicis, Louise Bourgeois se distingua par ses très nombreuses connaissances, aussi bien en obstétrique qu’en médecine générale.

Pourquoi elle ? Première sage-femme à avoir écrit des traités d’obstétrique, première à prescrire l’administration de fer pour soigner l’anémie des femmes enceintes, Louise Bourgeois se vit refuser le droit d’enseigner à la faculté de médecine, malgré une pétition de sages-femmes parisiennes.

Elle a dit : « J’ai cru qu’il était de mon devoir de faire connaître la vérité du fait, tant en l’accouchement qu’en la maladie, et montrer très évidemment que la cause de la mort n’est point cette portion de l’arrière-faix comme prétendu. »

Angélique du Coudray (1712-1794)

Qui est-elle ? Première sage-femme à enseigner en public l’art des accouchements, Angélique du Coudray forma plus de cinq mille femmes, mais aussi des chirurgiens, et fit ouvrir des maisons de maternité.

Pourquoi elle ? Angélique du Coudray dut s’imposer face à ceux qui souhaitent réserver les accouchements aux hommes. Elle inventa un mannequin afin que ses élèves, souvent illettrées, puissent être mieux confrontées à des cas pratiques. Ce mannequin fut breveté par l’Académie de chirurgie.

Elle a dit : « Je pris le parti de leur rendre mes leçons palpables, en les faisant manœuvrer devant moi sur une machine que je construisis à cet effet, & qui représentait le bassin d’une femme, la matrice, son orifice, ses ligaments. »

Félicité de Genlis (1746-1830)

Qui est-elle ? Érudite, ambitieuse et débrouillarde, Félicité de Genlis dut composer très jeune avec un revers de fortune. Introduite à la cour de Louis XV, elle connaît une trajectoire fulgurante. Chargée de l’éducation du futur roi Louis-Philippe, Félicité de Genlis se fait connaître par ses principes sur l’éducation et plus de 130 ouvrages littéraires.

Pourquoi elle ? On lui doit La femme auteur, un roman plein d’esprit et véritablement féministe dans lequel une jeune femme, malgré les réticences de son entourage, publie un premier ouvrage qui est un succès.

Elle a dit : « De la romance que j’ai chantée, de la sonate que j’ai jouée sur la harpe, rien ne reste ; ces plaisirs qui ne laissent aucune trace, ressemblent trop à des illusions, il m’en faut d’autres. »

Françoise de Graffigny (1695-1758)

Qui est-elle ? Fille de militaire ayant reçu une éducation très complète, Françoise de Graffigny fut mariée très jeune à un homme violent dont elle eut trois enfants qui moururent tous en bas âge. Après onze années d’union et une procédure judiciaire, elle parvint à se séparer de son mari. Elle gagna ensuite Paris, y tint salon, et se lança dans une carrière d’autrice, avec succès.

Pourquoi elle ? Ses Lettres péruviennes, qui s’inspirent des Lettres persanes de Montesquieu, portent un regard critique sur les mœurs françaises et firent d’elle une autrice majeure de son siècle.

Elle a dit : « Et cependant l’homme le moins considérable, le moins estimé, peut tromper, trahir une femme de mérite, noircir sa réputation par des calomnies, sans craindre ni blâme ni punition. »

La marquise de Lambert (1647-1733)

Qui est-elle ? Femme de lettres et salonnière d’une grande élégance morale, Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles, par son mariage marquise de Lambert, parvint à faire Montesquieu à l’Académie française et contribua à la diffusion des idées des Lumières.

Pourquoi elle ?  Les Avis d’une mère à son fils et Avis d’une mère à sa fille, adressés à ses deux enfants, témoignent de la grande intelligence de la marquise, totalement hermétique aux mœurs dépravées de la Régence.

Elle a dit : « Rien n’est plus court d’ailleurs que le règne de la beauté, rien n’est plus triste que la suite de la vie des femmes qui n’ont su qu’être belles. »

Concepción Arenal (1820-1893)

Qui est-elle ? Concepción Arenal fut la première femme à étudier dans une université espagnole, où elle obtint un diplôme de droit. Philanthrope, Concepción Arenal fonda plusieurs associations et sa formation de pénaliste lui permit d’écrire plusieurs essais et articles sur le système pénitentiaire, la marginalisation des femmes.

Pourquoi elle ?  Son Manuel du visiteur du prisonnier connut un retentissement important et fut traduit dans presque toutes les langues européennes.

Elle a dit : « Pour une femme qui tue son mari, combien y a-t-il de maris qui tuent leur femme ? »

Hubertine Auclert (1848-1914)

Qui est-elle ? Journaliste, autrice et militante féministe, Hubertine Auclert fonda le journal La citoyenne. Elle se distingua par les idées qu’elle y défendait : féminisation de certains mots, contrat de mariage avec séparation de biens, égalité salariale.

Pourquoi elle ?  Hubertine Auclert est considérée comme une figure centrale dans l’histoire du mouvement des droits des Françaises. Elle fit preuve d’activisme jusqu’à sa mort.

Elle a dit : « Femmes de France, je vous le dis du haut de cette tribune : ceux qui nient notre égalité, dans le présent, la nieront dans l’avenir. »

Joséphine Dandurand Marchand (1861-1925)

Qui est-elle ? Journaliste, écrivaine, conférencière et militante féministe, Joséphine Dandurand Marchand fut une pionnière du journalisme féminin au Québec. Elle lança la première revue féminine québécoise, Le Coin du feu.

Pourquoi elle ?  Joséphine Dandurand Marchand ne cessa de promouvoir l’éducation des femmes, et de façon plus large, l’alphabétisation et la lecture chez les plus défavorisés. En 1898, elle fonda L’Œuvre des livres gratuits, une bibliothèque ambulante qui expédiait des livres gratuitement à des particuliers comme à des institutions partout dans la province du Québec.

Elle a dit : « Faut-il lire ? Je répondrais, à qui me ferait pareille question, par cette autre : Faut-il manger ? »

Olympe Audouard (1832-1890)

Qui est-elle ? Autrice, voyageuse, suffragette et conférencière, Olympe Audouard était divorcée, et mère. elle prôna plusieurs réformes autour du divorce et de l’égalité des femmes, dans des conférences qui la conduisirent à travers les États-Unis.

Pourquoi elle ?  Olympe Audouard fut une des plus importantes représentantes du mouvement féministe français de la seconde moitié du XIXe siècle. Elle était aussi une véritable globe-trotteuse.

Elle a dit : « Ce bon bourgeois me dit ce « vous avez beaucoup voyagé » du même air choqué qu’il prendrait pour me dire « vous avez fait pas mal cascader votre vertu ».

Séverine (1855-1929)

Qui est-elle ? Caroline Rémy,  dite Séverine, fut une journaliste et militante féministe française qui travailla d’abord aux côtés de Jules Vallès, son mentor, avant de voler de ses propres ailes.

Pourquoi elle ?  Première grande journaliste française, n’hésitant pas à aller sur le terrain, Séverine fut un témoin privilégié des retentissements des grandes affaires politiques de son temps, qu’il s’agisse du boulangisme, du scandale du Panama ou de l’affaire Dreyfus.

Elle a dit : « Il ne faut pas s’y méprendre, on ne s’y doit pas tromper : les trois quarts des gaillards qui assassinent leur légitime n’ont aucunement l’excuse de la jalousie, le prétexte de la passion. »

Thérèse Bentzon (1840-1907)

Qui est-elle ? Journaliste, essayiste, romancière et traductrice, Thérèse Bentzon, était une spécialiste du monde anglo-saxon. Elle se rendit plusieurs fois aux États-Unis, où elle rencontra des personnalités politiques, féministes et abolitionnistes.

Pourquoi elle ?  Thérèse Bentzon réalisa plusieurs sujets sur les femmes américaines. Elle visita des universités et dressa un état des lieux de l’éducation des Américaines.

Elle a dit : « La prédominance des femmes n’abaisse pas le niveau, si j’en crois les meilleurs juges. Ils sont d’avis que souvent dans l’enseignement féminin il y a plus de méthode, »

Madeleine Pelletier (1874-1939)

Qui est-elle ? Première femme médecin diplômée en psychiatrie en France, Madeleine Pelletier fut anarchiste, franc-maçonne, médecin des pauvres, antimilitariste, écrivaine et essayiste.

Pourquoi elle ?  Féministe radicale, Madeleine Pelletier prôna le droit de vote des femmes, mais aussi la révolution sexuelle ou le droit à l’avortement. Ses écrits sont d’une très grande modernité, limpides, sincères, passionnants et puissamment engagés.

Elle a dit : « Que dirait la concierge, que penseraient les voisins si elle regagnait son domicile  à une heure indue ; que diraient-ils surtout si elle découchait, ce ne serait ni plus ni moins qu’un scandale. »

Marguerite Audoux (1863-1937)

Qui est-elle ? Ancienne pupille de l’Assistance publique, Marguerite Audoux travailla d’abord dans une ferme du Morvan, en tant que bergère d’agneaux et servante, avant de s’établir en tant que couturière à Paris, où elle fréquenta les milieux littéraires de la rive gauche. Alors que rien ne la prédisposait à la littérature, elle couche sur papier ses souvenirs d’enfance. Ces feuillets deviendront le roman Marie-Claire.

Pourquoi elle ?  Défendu et lancé par Octave Mirbeau qui en écrivit la préface, Marie-Claire obtint le prix Femina ; et c’est parce qu’il avait obtenu ce prix que le roman ne put obtenir le prix Goncourt. Les ventes dépassèrent les cent mille exemplaires, et le roman fut traduit en neuf langues. Il n’est pas impossible que « Marie-Claire » ait donné son nom au magazine féminin fondé en 1937.

Elle a dit : « Elle enviait les autres entrepreneuses qui bataillaient, criaient et s’en allaient ayant presque toujours obtenu ce qu’elles désiraient. »

Sabine Sicaud (1913-1928)

Qui est-elle ? Poétesse extrêmement précoce, Sabine Sicaud grandit dans le Lot, qui est indissociable de ses écrits. À la suite d’une blessure au pied, elle tomba gravement malade et sa poésie fut progressivement hantée par la douleur. Refusant de se faire soigner à Bordeaux et de quitter son Lot natal, Sabine décèda à l’âge de quinze ans.

Pourquoi elle ?  Étoile filante de la poésie française, Sabine Sicaud écrivit des poèmes bouleversants. Elle obtint dès l’âge de dix ans des prix littéraires importants : d’abord la consécration du Jasmin d’argent, puis celle des Jeux Floraux de France, présidés par Anna de Noailles et Jean Richepin.

Elle a dit : « Un médecin ? Mais alors qu’il soit beau !  / Très beau. D’une beauté non pas majestueuse,  / Mais jeune, saine, alerte, heureuse ! »

 

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Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand : l’hôtel littéraire Alexandre Vialatte

Lettre 165 : Usbek à Rica,

À Clermont-Ferrand :

Mon cher Rica,

Après avoir découvert les hôtels Le Swann et Marcel Aymé à Paris, et Gustave Flaubert à Rouen, il me fallait poursuivre mon tour de France des hôtels littéraires. Ne sais-tu pas que ces établissements aussi charmants qu’authentiques poussent comme des champignons et qu’on parle déjà d’un cinquième hôtel littéraire pour 2019, consacré à Arthur Rimbaud ?

Je décidai donc, cette fois-ci, de quitter les hauteurs du Marcel Aymé, pour rejoindre l’hôtel littéraire dédié à l’auvergnat Alexandre Vialatte situé en plein cœur de Clermont-Ferrand, ville où Vialatte n’est peut-être pas né, mais où il vécut et travailla. Mais avant de te parler de l’homme fascinant qu’est Vialatte, cet écrivain  « notoirement méconnu » comme il aimait à s’appeler lui-même, laisse-moi te dire quelques mots sur Clermont !

À 3h30 de Paris en partant de la gare de Bercy, Clermont, « Averna Civitas Nobilissima », la plus noble cité averne, est une ville volcanique et généreuse, pareille à une pierre précieuse que l’on aurait déposée dans un écrin superbe, au pied de la Chaîne des Puys. Terre de Vercingétorix, Blaise Pascal, ou Édouard Michelin pour ne citer qu’eux, (quelle ne fut pas ma surprise, en marchant dans la ville, en tombant sur des poinçons à l’effigie de ces grands hommes ancrés dans le sol et qui jalonnent ta promenade), Clermont a façonné des personnalités courageuses et persévérantes, car il en faut, du caractère, pour tenir tête aux volcans qui vous contemplent ! Sa beauté aride, à l’image de sa cathédrale gothique en pierre de lave noire, son architecture disparate, sa place Jaude qui brille de mille feux une fois la nuit tombée, valent mille fois le détour. Et c’est assurément l’hôtel littéraire Alexandre Vialatte, idéalement situé, à égale distance de la gare et du centre-ville, qui t’offrira la plus belle vue sur la ville ! L’établissement dispose en effet d’une superbe terrasse (ses transats sont extrêmement confortables), et d’une salle panoramique, au sixième étage, d’où voir toute la ville, avec sur ta gauche sa cathédrale, à ta droite sa basilique, et au milieu, juste en face de toi au loin, la Chaîne des Puys ! À cette période de l’année, alors que nous rentrons à peine dans l’automne, les couleurs orangées de cette nature environnante sont particulièrement magnifiques ! J’ai ce matin, encore, pris mon petit-déjeuner en contemplant ce paysage dont je ne parviens pas à me lasser.

Lit - Hôtel Vialatte-Un texte Un jour

Mais connais-tu Alexandre Vialatte ? Cet écrivain auvergnat né en 1901 et décédé en 1971, qui a raté le Goncourt de peu (cette année-là, Julien Gracq l’avait emporté pour son Rivage des Syrtes, récompense qui d’ailleurs l’indifférait) est un personnage extraordinaire, un de ces hommes de l’ombre qui a frôlé la pleine lumière, qu’on ne cesse aujourd’hui de redécouvrir et qui méritait bien qu’un hôtel entier lui soit consacré ! Ce protéiforme, touche-à-tout et malicieux était à la fois chroniqueur, journaliste, romancier, traducteur, traquant la poésie des humbles, l’humanité des animaux, célébrant aussi bien la beauté des oubliés que l’amour de sa patrie (Vialatte a écrit les plus belles pages qui soient sur l’Auvergne et les Auvergnats) ou l’importance de l’amitié. Aucun sujet ne semblait résister à cet homme qui habitait poétiquement le monde et pouvait aussi bien disserter sur la beauté des enterrements, la langue des esquimaux, Napoléon ou célébrer l’hippopotame, qui avait toute sa sympathie, et rendre un vibrant et décalé hommage au Bibendum Michelin, une des icones des Clermontois (« Clermont ne peut plus se concevoir sans Bibendum, divinité volumineuse, élastique, tentaculaire, aux yeux de grenouille, au ventre de pacha »). Le Bibendum est d’ailleurs un des très nombreux et étonnants personnages qui hantent cet hôtel, à l’image du portrait de Vialatte qui orne l’entrée de l’hôtel. Se voir accueilli dans le hall, par quatre grands Bibendums se donnant la main, tels une frise, annonce instantanément la couleur : c’est se livrer à une fantaisie impromptue que de plonger dans l’univers d’Alexandre Vialatte.

Bibendum Hôtel Vialatte Un texte Un jour

Comme les autres hôtels littéraires, L’Alexandre Vialatte est organisé d’une façon bien spécifique, et chaque étage constitue aussi bien une ode à l’amitié qu’une invitation au voyage. L’hôtel comporte 62 chambres, une bibliothèque de 500 livres, une mezzanine, mais aussi plusieurs salles de réunion, et de réception. C’est un grand hôtel, tant par ses dimensions, que par la gentillesse de ses hôtes, et par le panorama qu’il offre, et l’on s’y sent extrêmement à l’aise.

Le premier étage est consacré au Vialatte romancier, un Vialatte sensible et délicat dont l’humour donnait un aspect si singulier à ses romans. Lire un roman de Vialatte, c’est graviter, tel un satellite, autour d’un amourd’enfance ou d’un rêve d’adolescence auquel on refuse de renoncer, c’est songer à un ailleurs chimérique au parfum d’Afrique (Les Fruits du Congo est ce fameux roman pour lequel Vialatte a failli obtenir le prix Goncourt, en 1951), c’est s’abreuver d’onirisme et revivre ses années de collège et de lycée en se moquant, enfin, de ceux qui nous ont offensés. Les chambres de l’étage portent, tu t’en doutes, le nom des héros des romans de Vialatte, de « Luc de Capri » à « Monsieur Panado » en passant par « Félix Badonce ». Chose très amusante, les chambres « Frédéric Lamourette » et « Dora », les amoureux des Fruits du Congo, sont mitoyennes. Je serais curieux de savoir si une porte communicante les relie !

Chambre Hôtel Vialatte Un texte Un jour

Les deuxième et troisième étages sont consacrés au Vialatte chroniqueur ! Longtemps, j’ai cru que Les Chroniques de La Montagne d’Alexandre Vialatte étaient de courts écrits consacrés à l’univers de la montagne. Tel un Frison-Roche du Massif Central, j’imaginais Alexandre Vialatte en alpiniste chevronné, parcourant les cimes enneigées. Il aura fallu que je séjourne dans cet hôtel pour que je comprenne que les Chroniques de la Montagne, d’ailleurs aujourd’hui rassemblées en un seul ouvrage, étaient en réalité les chroniques que Vialatte avait écrites pour le journal La Montagne, le quotidien de Clermont-Ferrand et de la région dont le siège, superbe et imposant de noirceur, donne sur la place Jaude. Vialatte commença ses chroniques en 1952, et la dernière fut écrite en 1971. Chacune de ces chroniques – 898 au total, toutes s’achevant par la phrase « Et c’est ainsi qu’Allah est grand » – est un bijou d’humour et d’intelligence, tentant à chaque fois de résoudre une équation dont l’inconnue est notre place dans le monde. Témoignages exceptionnels de l’évolution des mœurs françaises, ces chroniques ont fait la renommée de Vialatte qui, délesté des pesanteurs que peut parfois imposer le carcan romanesque, y fait des merveilles. Chaque chambre porte ainsi le titre d’une chronique, qu’il s’agisse du « Paradoxe de l’éléphant », de « L’Oiseau de Juin ou la chaisière des ténèbres », de la « Chronique des plaines et de leur horizontalité », ou de la « Célébration annuelle de l’Almanach Vernot ». Chacune comporte, bien sûr, une aquarelle, un long extrait de la chronique, et nous plonge dans un univers des plus particuliers.

Au quatrième étage, celui du Vialatte traducteur, se trouve ma chambre, « Verdi, roman de l’opéra ». Tu ne le sais peut-être pas, mais sans Vialatte, les Français n’auraient peut-être jamais lu Kafka, dont l’univers étrange et onirique n’est pas si éloigné de celui de notre chroniqueur ! C’est Vialatte, germanophone, diplômé de littérature allemande et qui avait découvert Kafka lors de séjour en Allemagne, dans les années 1920, qui s’attela à traduire, en français, Le Château, mais aussi Le Procès, Lettres à Milena ou Le Terrier, et le fit ainsi connaître au public français. Mais Kafka ne fut pas le seul auteur que Vialatte fit connaître. Ainsi, Vialatte traduisit Friedrich Nietzsche,  Hofmannsthal, Thomas Mann ou Franz Werfel, pour ne citer qu’eux. C’est à Werfel, écrivain autrichien, que l’on doit Verdi, roman de l’opéra, une biographie romancée du compositeur italien. En pénétrant pour la première fois dans ma chambre dont les tons gris ne sont pas sans rappeler la roche volcanique et tranchent admirablement avec la blancheur des draps, je découvris un portrait de Verdi. L’œil malicieux et le sourire chaleureux, le compositeur semblait m’attendre. Mais alors que je fredonnais un air de La Traviata, je réalisai qu’au-dessus de mon lit, une citation aussi drôle que surprenante m’attendait, et me ramenait de l’Italie à l’Auvergne : « L’Auvergne produit des ministres, des fromages et des volcans ». Ne jamais l’oublier, découvrir Alexandre Vialatte, c’est être un funambule avançant au-dessus d’un fil !

Salle panoramique Hôtel Vialatte Un texte Un jour

 

Le cinquième étage est consacré à l’entourage d’Alexandre Vialatte. De son grand ami Henri Pourrat, à sa femme, Hélène Vialatte, en passant par Jean Paulhan, directeur de la NRF qui lança sa carrière de traducteur, ou Jules Romains, l’auteur des Copains et des Hommes de bonne volonté, comme lui auvergnat, il est ici question de douze chambres, de douze personnalités singulières dessinant une constellation singulière dans l’œuvre et la vie d’Alexandre Vialatte. Fait étonnant, Vialatte écrivit d’ailleurs, en 1957, le second chapitre d’un roman collectif, Le Roman des Douze, auquel Louise de Vilmorin, Michel de Saint-Pierre, Jules Romain ou Jean Dutourd, pour ne citer qu’eux, participèrent.

Le sixième et dernier étage, non loin du paradis car donnant accès à la terrasse dont je te parlais plus haut, est celui de « l’Auvergne absolue », terre natale et d’élection de Vialatte, maîtresse jamais quittée et toujours adorée, célébrée, chantée. Incarnation vivante de l’emprise qu’une terre peut exercer sur un homme, Vialatte aurait très bien pu faire sienne la phrase de Pascal Quignard : « Nous dépendons de nos lieux plus encore de nos proches. ». Les quatre chambres de l’étage, « Le puy de Dôme », « Clermont-Ferrand », « Ambert » et « Saint-Amant-Roche-Savine » évoquent une Auvergne intime, presque secrète, mais que le talent de Vialatte parvient à universaliser, et donne envie de découvrir, par le bais d’un folklore demeuré toujours accessible au profane.

Chambre avec tulipes Hôtel littéraire Alexandre Vialatte Un texte Un jour

Mon cher Rica, tu l’auras compris, la montagne est belle, mais elle est même doublement belle ! N’hésite pas à me rejoindre, nous pourrons lire les chroniques de La Montagne, et mordre dans Les Fruits du Congo ! Te souviens-tu de ce pape, dont nous parlions autrefois dans nos lettres, et que nous comparions à un grand magicien ? Peut-être, mais nous étions bien jeunes, faisions-nous alors erreur, car je crois bien que ce grand magicien, est bien cet Alexandre Vialatte. Que serait-il devenu s’il avait obtenu le Prix Goncourt ? La destinée humaine tient parfois à si peu de choses ! Peut-être aurait-il achevé son dernier roman Camille et les grands hommes. Toujours est-il que Vialatte aurait été plus lu encore. Parce que l’écrivain est reconnu et aimé de très nombreux journalistes et écrivains, qu’il s’agisse de Pierre Desproges, Érik Orsenna, Eva Bester, Frédéric Beigbeder, Philippe Meyer ou Amélie Nothomb pour ne citer qu’eux, le nom de « Vialatte » est tel un mot de passe qui entrouvrirait la porte d’un club, avec ses esthètes et fins connaisseurs ; un club qui ne cesse de s’agrandir au fil des années et des rééditions.

De Paris, le 29 de la lune de Chabhan, 2018.

Pour en savoir plus sur Les Hôtels littéraires :

https://www.hotelslitteraires.fr/

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