Qui sont la Manon de la littérature classique ?

Rares sont les prénoms qui portent en eux un tel imaginaire littéraire ! Manon est bien évidemment Manon Lescaut, l’inoubliable héroïne du roman de l’Abbé Prévost. Que raconte ce roman ? Manon Lescaut, roman de mœurs du XVIIIèm siècle, relate les aventures sentimentalo-rocambolesques d’un couple infernal, celui formé par Manon et le chevalier Des Grieux.

Des Grieux est un jeune homme de bonne famille, promis à un brillant avenir, celui de Chevalier de l’Ordre de Malte – c’est le Polytechnique de l’époque. Lorsqu’il rencontre la très jeune Manon, son cœur ne fait qu’un bond, et il en est sûr, la demoiselle est la femme de sa vie. Malheureusement les dieux se sont ligués contre notre jeune homme puisque Manon, quatorze ans à peine, est envoyée au couvent par ses parents pour, je cite, « arrêter son penchant au plaisir ». C’est un remake de Roméo et Juliette que nous offre l’Abbé Prévost et les deux amants n’auront de cesse de se retrouver, de se séparer, de s’aimer et de se déchirer. « Ni avec toi ni sans toi », comme dirait Fanny Ardant dans La Femme d’à côté.

Où est Manon ?

Si Des Grieux et Manon n’arrivent jamais à s’aimer ni à se séparer, c’est en grande partie à cause de la complexité de notre héroïne. Parfaitement décrite par Marcel Proust comme un « être de fuite », Manon n’est jamais là où on l’attend, ni jamais là tout court. C’est une fille volage qui assume l’impétuosité de ses désirs, c’est la femme qui vous rend fou, vous promet monts et merveilles, ne vous rappelle jamais, et réapparaît lorsque vous avez enfin réussi à l’oublier. Manon Lescaut pourrait se résumer à un personnage insupportable, mais ce serait se méprendre sur les intentions de l’auteur.

Une héroïne moderne

Manon Lescaut est en effet celle qui cite Racine dans le texte, qui fait preuve de beaucoup d’esprit et qui sait ouvrir son cœur, une fois la carapace fendue. Le sourire coquin et l’œil qui frise en étendard, cette charmeuse avance ses pions comme personne, et n’a aucun scrupule à se servir de ses atouts qu’elle sait à la fois rares et nombreux. C’est une héroïne moderne, une féministe avant l’heure, qui a simplement choisi de vivre comme elle l’entend. Rien d’étonnant à ce que Massenet et Serge Gainsbourg ne se penchent sur son cas.

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Illustration : Avant, William Hogarth (1697-1764), Victoria and Albert Museum

 

 

Qui sont les Charles de la littérature classique ?

Prénom d’origine germanique, « Charles » vient du germanique « karl » qui signifie « viril ». Associé à la force et au pouvoir, ce prénom intemporel a souvent été l’apanage des rois ou de grandes figures politiques et intellectuelles.

De façon étonnante et tout à fait significative, les héros de la littérature qui se prénomment « Charles » ne frappent pas, au premier abord, par leur virilité !  Ils sont cependant assez nombreux pour esquisser le portrait de Charles aussi différents les uns des autres, et porteurs d’imaginaires riches et variés.

Charles de Batz-Castelmore, comte d’Artagnan

Eh oui, on l’ignore souvent, mais Charles est le prénom de d’Artagnan ! Au début des Trois Mousquetaires, d’Artagnan est un jeune Gascon qui monte à Paris pour intégrer le corps des mousquetaires de Louis XIII. Après une première rencontre conflictuelle avec les Mousquetaires – notamment avec Aramis, à propos d’un mouchoir brodé que d’Artagnan a la maladresse de ramasser – les quatre hommes deviennent amis. Tous les quatre s’opposeront au cardinal Richelieu pour sauver l’honneur de la reine Anne d’Autriche.

Généreux, courageux, mais aussi amoureux ; d’Artagnan est l’incarnation d’un certain idéal de jeunesse que rien ne semble pouvoir ternir. On le retrouve, plus âgé, dans Vingt après et Le vicomte de Bragelonne. Il est le plus grand personnage de cape et d’épée de la littérature française.

Charles Bingley, solaire et généreux

Personnage d’Orgueil et préjugés, Charles Bingley est le meilleur ami de Fitzwilliam Darcy. Alors que ce dernier apparaît comme un personnage fier et ténébreux, Charles frappe par son aspect solaire, sa profonde gentillesse et sa générosité. Ce sont ces qualités, qui détonnent au sein de l’aristocratie du  Hertfordshire, qui séduisent Jane Bennet, qui se reconnaît en tout point en Charles.

Malheureusement, la gentillesse de Charles nuit à sa clairvoyance. Manipulé par sa sœur Caroline, il en faut de peu pour qu’il passe à côté de l’amour de sa vie et c’est grâce à l’intervention de Darcy que Charles pourra finalement s’unir à Jane.

Si Charles Bingley peut par moment paraître un peu falot, il apparaît au bout du compte comme un personnage un peu jeune, et tellement bon qu’il ne voit le mal nulle part. La fin du roman et la très belle demande en mariage qu’il fait à Jane achèvent de brosser le portrait d’un personnage éminemment sympathique, comme on n’en trouve guère en littérature.

Charles Bovary, l’humilié magnifique

Charles Bovary est un des personnages les plus connus, et les plus malheureux de la littérature française ! Hanté par le traumatisme d’une entrée en cinquième catastrophique, « Charbovary » est un personnage qui n’est jamais à la hauteur, ni des rêves de sa femme, Emma, ni des ambitions sociales de sa mère. Médiocre officier de santé, on imagine aisément qu’il aspirait à une vie plus simple que celle dont rêvait sa femme Emma. Mais d’ailleurs, sait-il lui-même ce dont il rêve ?

Toujours satisfait de lui-même, il est difficile de trouver des circonstances atténuantes à ce personnage sans finesse, cocu idéal.

Charles Swann, l’aristocrate fin et élégant

C’est un Charles bien différent que dépeint Marcel Proust dans A la recherche du temps perdu ! Ami fidèle du narrateur, Charles Swann est un modèle d’élégance, de culture, de distinction et de raffinement. Personnage sentimental et complexe, Charles Swann s’est trouvé embrigadé dans une relation amoureuse avec Odette de Crécy, une vulgaire cocotte qui ne lui ressemble en rien. Une fois leur relation finie, Charles le reconnaîtra : « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre »[1]. Il aura d’ailleurs une fille, Gilberte, avec Odette qu’il finira par épouser.

Apprenant au cours du roman qu’il est mourant, Charles Swann se confie à son amie Oriane de Guermantes qui n’en croit un mot et préfère le planter pour aller changer de chaussures : c’est la magnifique scène finale du Côté de Guermantes.

La fin tragique de Charles Swann laissera le Narrateur et les lecteurs d’A la recherche du temps perdu bouleversés. Le personnage sombrera néanmoins dans l’oubli, car, contrairement au Narrateur, Swann n’aura pas su devenir un artiste.

 

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[1] Marcel Proust, Un amour de Swann, 1913

Illustration : Simon Woods dans le rôle de Charles Bingley dans le film Orgueil et préjugés de Joe Wright (2005)