« Je suis une autrice caméléon. J’ai besoin d’épouser l’époque, le vocabulaire ad hoc pour me fondre dans le décor. Les mots, le langage s’adaptent à l’air du temps. »
C’est parce que le moulin de son cœur s’est mis à battre pour Louise Weber, célèbre danseuse du Moulin Rouge plus connue sous le nom de « La Goulue », que Maryline Martin lui a consacré une biographie, récemment publiée aux éditions du Rocher. Dans une langue ciselée confinant à l’orfèvrerie, Maryline brosse le magnifique portrait d’une scandaleuse indomptée mais aussi le tableau d’un Paris populaire, parfois oublié, et parvient au grand écart entre le Paris de 1870 et celui de 1929. Cette amoureuse des reconstitutions historiques et des mots justes et beaux nous raconte avoir Madame Bovary pour livre de chevet. Rien d’étonnant à cela : il fallait bien que, telle Emma, Maryline aime « les accidentés », et « la mer qu’à cause de ses tempêtes » pour ressusciter le « destin haletant de cette Magnifique Poissarde ».
Maryline, quelle lectrice de classiques es-tu ou as-tu été ?
Une lectrice compulsive capable de tomber raide dingue d’un livre et de l’offrir afin de partager ma passion (je pense à Propos sur le Bonheur d’Alain) …
Y a-t-il des classiques qui constituent tes livres de chevet et/ou des classiques qui t’ont amenée à l’écriture ?
Je me souviens avoir dévoré Madame Bovary de Flaubert. Le livre se trouve toujours rangé dans ma bibliothèque. Collection Folio Numéro 804. Des passages sont encore annotés notamment ceux de la page 219 …Il a du vécu car ma fille l’a également étudié (au programme de son Bac de Français…).
J’ai également beaucoup aimé la série de Roger Martin du Gard : Les Thibault et j’ai un souvenir ému de L’Écume des Jours…une émotion devant l’univers de Boris Vian, cette même sensation poétique que j’ai retrouvée devant le film éponyme de Michel Gondry.
Tu viens de publier une biographie consacrée à La Goulue. Or, si ce personnage fait partie de la mémoire collective française, peu de gens connaissent le destin aussi flamboyant que tragique de cette reine du Moulin Rouge. Comment t’es-tu intéressée à ce personnage ? Quel fut le déclic pour vouloir lui consacrer une biographie ?
J’ai rencontré ce personnage de femme via le peintre Henri de Toulouse Lautrec. J’aime à dire que nous avons été présentées par cet ami commun. En faisant des recherches, je me suis aperçue que les journalistes de l’époque avaient brossé d’elle un portrait très réducteur, en dessous de la vérité. La Goulue était considérée (à tort) comme une femme vicieuse et dénuée d’intelligence. J’ai souhaité rétablir une vérité certaine, en la décrivant, archives à l’appui (son journal intime, coupures de journaux, et documents d’archives) comme une femme terriblement en avance sur son temps, humaine, fantasque mais terriblement attachante.
Ta biographie brosse le tableau du Paris de 1880 comme de celui de la Belle Époque, ainsi que le portrait plusieurs mondes méconnus pour ne pas dire interlopes. Qu’as-tu appris de plus curieux sur cette époque ? Faut-il être soi-même marginale pour s’intéresser à cette marginalité ?
Cette biographie fait le grand écart entre la Belle Époque et les Années Folles. Louise Weber, le véritable patronyme de La Goulue, née en 1866, s’éteint en 1929. Elle aura connu deux guerres : 1870, 1914-1918. Elle aura connu la gloire, côtoyé les plus grands (Shah de Perse, marquis de Biron, Baron de Rotschild, Edouard VII, le futur roi d’Angleterre) mais aussi aimé des petits gigolos, les Apaches des fortifs…Sa vie est faite de plats et de bosses. La gloire, la richesse puis l’oubli et la misère.
Louise est un personnage haut en couleur mais très contemporain. Elle n’est pas marginale, juste en avance sur une époque où la femme est considérée comme une incapable majeure. Je ne pense pas qu’elle ait fait avancer la place de la femme dans la société française, elle n’était pas une suffragette mais de par son tempérament, elle était certainement plus « couillue » que certains hommes. En adoptant certaines postures, elle s’est démarquée d’un carcan social qui considère la femme à cette époque comme une mineure. Elle danse en cheveux alors que la femme ne doit pas sortir tête nue. Cette dernière doit être accompagnée d’un mâle pour entrer dans toute administration, La Goulue se moque de ses usages et rentre au Moulin Rouge avec un bouc tenu au bout d’une laisse. Elle montre sa contrariété en usant du révolver contre ceux qui viennent lui chercher chicane et s’est rapidement mise à son compte pour gérer ses affaires. Enfin pour répondre à ta dernière question, je ne pense pas qu’il faut ressembler à son personnage pour pouvoir écrire sur lui. C’est une question de perception et d’empathie et j’en éprouve énormément pour Louise Weber.
Tes recueils de nouvelles comme ta biographie de La Goulue témoignent d’un intérêt certain pour l’Histoire. D’où te vient cette appétence pour l’Histoire ? La littérature passe-t-elle nécessairement pour toi par un ancrage historique ?
Je pars du principe que nous (toi, les lecteurs, les lectrices de cet entretiens, moi) nous sommes les maillons de cette chaîne qui constitue cette Histoire…J’aime à décrire, planter le décor d’une époque, et de situer l’histoire de mes personnages dans l’Histoire. Je ne sais pas écrire sur commande. C’est ainsi que je vois mon travail d’écriture. Il n’y a pas une seule façon d’écrire et fort heureusement l’écriture ne doit pas rentrer dans des cases toutes formatées. On s’ennuierait…
Y a-t-il une période historique particulièrement propice à nourrir ton travail romanesque ?
L’an passé, je t’aurais dit que je ne pourrai écrire sur le siècle des lumières. Cette période m’était sans faire de mauvais jeu de mots « obscure »… Mais depuis j’ai écrit un récit d’aventure où l’action se passait à la cour de Louis XVI et plus particulièrement sur Rose Bertin, ministre des modes de Marie-Antoinette, je me suis régalée à ouvrir des livres et approfondir mes connaissances. Je ne supporte pas l’à peu près ni l’anachronisme. J’ai trop le respect de celui ou celle qui me lit pour commettre un impair… Les nombreuses bibliothèques de la Ville de Paris, ainsi que les lieux de recherches sont mes endroits favoris…
Tous tes ouvrages, qu’il s’agisse de La Vie devant elles, des Dames du Chemin ou de L’Horizon de Blanche, sont écrits dans une langue ciselée, et témoignent d’une attention de tous les instants portée au style. Ce style est-il lié au contexte historique dans lequel se déroulent la plupart de tes textes ? En d’autres termes, écrirais-tu un roman sur une héroïne du XXIème siècle dans le même style ? Le contexte historique fait-il le style ?
Comme je l’exprime plus haut, je suis une autrice caméléon. J’ai besoin d’épouser l’époque, le vocabulaire ad hoc pour me fondre dans le décor. Les mots, le langage s’adaptent à l’air du temps. Tu ne peux faire parler un personnage du début du siècle précédent comme aujourd’hui. Imagine le décalage. J’ai, encore une fois, trop de respect pour celui ou celle qui me lit. J’ai le souci, comme dans la vie, du mot juste. La langue française est si riche pour que l’on se prive de son vocabulaire. C’est en oubliant les mots qu’une langue s’appauvrit. Lorsque des mes interventions scolaires, j’insiste auprès des jeunes sur l’importance du vocabulaire et de la lecture ! Quand on ne possède pas assez de mots, on est vide de sens, et on réagit par la violence…
Pour en savoir plus
Maryline Martin, Les Dames du Chemin, L’Horizon de Blanche, La Vie devant Elles, tous trois aux éditions Glyphe
Maryline Martin, La Goulue, Reine du Moulin-Rouge, Éditions du Rocher, 2019, 216 pages, 17,90 euros