« Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! » : Pourquoi « A une passante » est-il un poème universel ?

« Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! » Tout le monde connaît les derniers vers du poème de Charles Baudelaire « A une passante », que vous pouvez retrouver au sein de nos applications Un texte Un jour et Un Poème Un Jour.

Ce poème est un des poèmes les plus célèbres des Fleurs du mal, et probablement un des poèmes les plus connus de la littérature française. Pourquoi ?

Une scène urbaine et intemporelle

« A une passante » est le récit d’une scène urbaine et parisienne comme Paris, et toute grande ville, connaissent de façon quotidienne. C’est le récit d’un coup de foudre à sens unique, de deux regards qui se croisent furtivement en pleine rue. Celui qui nous parle, ce « je » qu’on appelle techniquement « le locuteur » est frappé par la beauté d’une femme.  A qui il n’aura pas le temps de parler, et qui disparaîtra à jamais dans la jungle urbaine.

Un poème d’une facture parfaite

« A une passante » est un sonnet, composé, comme son nom l’indique, de deux quatrains (strophes de quatre vers) et de deux tercets (strophes de trois vers). C’est un poème relativement court (le sonnet est une forme des plus classiques) qui réussit, en quatorze vers, à instaurer une véritable dramaturgie.

  • Vers 1 : Baudelaire plante le décor urbain
  • Vers 2 à 5 : portrait de la passante
  • Vers 6 à 9 : les regards se croisent, le locuteur est littéralement foudroyé
  • Vers 10 à 13 : le locuteur exprime son désespoir
  • Vers 14 : le vers final, la chute scelle à jamais le chagrin du locuteur et l’amour tragique et à sens unique

Une subite apparition

La fulgurance de cette rencontre laisse notre locuteur au désespoir. Déjà initialement souffrant (notre locuteur étouffe au sein de cette ville qui « autour de moi hurlait »), le locuteur, après avoir subitement retrouvé espoir et joie de vivre va retomber dans le désespoir le plus profond, comme en témoigne le rythme du poème qui s’accélère subitement (« Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! ») Cette passante serait-elle l’amour de sa vie ? Il ne pourra jamais le vérifier, et restera à jamais hanté par cette idée.

Une passante éternelle et universelle

Qui est-elle cette passante ? Une figure universelle, dont on ne sait rien ou presque, et qui peut être n’importe quelle passante parisienne, en réalité. C’est une femme élégante, en deuil mais « majestueuse » et à la douleur contenue, véritable source d’inspiration des artistes et des sculpteurs (« avec sa jambe de statue »).

« Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! »

Le derniers vers du poème, témoignage d’un éternel regret, est resté dans les mémoires. Est-ce grâce à l’emploi du subjonctif plus-que-parfait ? Ce vers est en tout cas la parfaite expression d’un rêve inachevé doucement teinté d’amertume, d’un sentiment typique de toute histoire d’amour non vécue mais à laquelle on aura crue, même fugacement.

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Illustration : Fanny Ardant sur le tournage de La Femme d’à côté de François Truffaut (1981)

 

 

Tartuffe, le héros aux deux visages

« Beaucoup d’hommes naissent aveugles et ils ne s’en aperçoivent que le jour où une bonne vérité leur crève les yeux. » Jean Cocteau

Tartuffe de Molière, ce n’est pas l’histoire d’un dîner de cons qui aurait mal tourné, mais c’est plutôt l’histoire de L’incruste  qui s’invite à la table d’un con. Deux Francis Veber pour le prix d’un. L’incruste, c’est Tartuffe. Ce faux-dévot tout de noir vêtu n’est qu’hypocrisie et concupiscence. Il n’a rien et veut tout, le beurre, l’argent du beurre, et plus encore

Qui est Tartuffe ?

Tartuffe rencontre Orgon à l’Eglise et voit en ce personnage le con chez qui il pourra tous les soirs crécher. Comme dans une rencontre amoureuse à la chorégraphie parfaitement synchronisée, la parade amoureuse de Tartuffe opère de façon magistrale. Notre homme, subitement devenu une publicité vivante pour l’Eglise catholique arrive à ses fins, c’est-à-dire à s’installer chez Orgon, trop bon, trop con.

Qui est-il cet Orgon ? Ce bourgeois, marié et père de famille, ayant autrefois participé à la Fronde, étouffe au sein d’un gynécée aux allures de cage dorée qu’il a lui-même construit. Soumis à sa mère, Mme Pernelle, il ne voit ni que sa très belle épouse  Elmire, doucement le méprise, ni que sans sa servante Dorine, la cellule familiale imploserait. Trois femmes puissantes règnent sur sa maisonnée. Notre homme est un pauvre petit garçon qui n’a pas grandi, en attente d’attention et de reconnaissance.

Orgon, victime d’un Tartuffe pervers narcissique

Tartuffe s’infiltre dans cette béance qu’est la souffrance d’Orgon. Tartuffe ne lâche pas Orgon d’une semelle, il l’écoute, le console, le valorise… et subitement disparaît, et brutalement devient distant… Au nom de la religion, affirme-t-il ! Puis réapparaît, aussi mielleux qu’au premier jour. Orgon, lui, accueille tel un don du Ciel l’ami qu’il a attendu toute sa vie et irait jusqu’à lui donner sa fille, sa femme et sa maison. Il faudra toute l’ingéniosité d’Elmire et l’intervention miraculeuse de l’envoyé du roi pour mettre fin aux manigances de Tartuffe, envoyé manu militari en prison. Tout est bien qui finit bien !

Un chef-d’oeuvre aux allures d’avertissement

Que nous apprend Tartuffe ? Tartuffe est un drame de l’aveuglement qui s’achève in extremis sur une fin heureuse que l’on n’attendait plus. Tartuffe nous invite à la vigilance, nous rappelle que l’on ne connaît jamais parfaitement ceux qu’on aime, ni ceux à qui on offre, un peu trop vite parfois peut-être, notre amitié, le gîte et le couvert.

Tartuffe, enfin, vaut tous les livres de développement personnel en matière de pervers narcissique, et nous montre que chacun de nous peut, à un moment de sa vie, devenir trop bon, trop con.

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Illustration : Yves Montand, Gérard Depardieu et Marie Dubois dans Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet (1974)