Pourquoi « L’Albatros » est-il un poème universel ?

« Exilé sur le sol au milieu des huées, / Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. » « L’Albatros » est un des poèmes les plus connus des Fleurs du mal, et bien des lecteurs ont été hantés par ses derniers vers, dans lesquels Charles Baudelaire dit la douleur, la frustration, l’impossibilité.

Bien des poètes ont abordé dans leurs textes la condition du poète (on pense par exemple à François Villon, Clément Marot ou Victor Hugo pour ne citer qu’eux) mais rares sont ceux qui ont atteint à l’universel comme le fait Charles Baudelaire dans « L’Albatros ». Pourquoi ?

L’univers marin pour évoquer la condition du poète

Charles Baudelaire fait un pari audacieux. Au lieu d’évoquer directement la fonction du poète, les liens entre le poète et son mécène, ou le syndrome de la page blanche, l’auteur des Fleurs du mal choisit de raconter la capture d’un albatros par des marins. L’oiseau apparaît totalement étranger au monde qui l’entoure, et les hommes n’hésitent pas faire preuve de cruauté envers lui.

La structure du poème témoigne de la condition tragique de l’albatros. L’oiseau est d’abord saisi en vol, majestueux et planant au-dessus de la mer et des hommes, attiré par un idéal. Les albatros, « rois de l’azur » et « vaste oiseau des mers », sont en réalité les oiseaux des  vastes mers. Rien ne semble alors pouvoir les atteindre. Mais rattrapé par la médiocrité et la barbarie humaines, l’albatros voit son destin basculer.

L’albatros, ce roi déchu

La chute de l’albatros est physique mais aussi symbolique. Prisonnier des « planches », figure de style qui désigne le pont du navire, l’albatros devient ridicule, « gauche et veule », « comique et laid », et ses « grandes ailes blanches », qui lui donnaient sa majesté, traînent, désormais, piteusement sur le sol. Le roi est déchu de son trône et les marins qui l’entourent sont des bouffons qui lui servent une comédie aussi cruelle qu’amère. Ces hommes d’équipage se moquent de lui et le maltraitent. Le prince des nuées qui « hante la tempête et se rit de l’archer » semble bien loin.

L’albatros, un poète ignoré et incompris

C’est dans la dernière strophe que Baudelaire affirme pleinement le parallèle entre l’oiseau et le poète : « Le Poète est semblable au prince des nuées ». Comme l’albatros, le poète est victime de la cruauté des hommes ordinaires. Le poète est donc déchiré entre un monde sublime, sur lequel il règne —la poésie — et la vulgarité dégradante de la société. Si l’albatros peut se moquer de l’archer, c’est-à-dire des flèches qui ne peuvent l’atteindre, il n’en demeure pas moins exilé, exclu du milieu dans lequel il est contraint de vivre. Les ailes de l’albatros symbolisent le génie poétique. Elles permettent à l’oiseau d’atteindre au sublime mais, sur terre, ses ailes le gênent et le font presque souffrir.

Une toute nouvelle image du poète

À mille lieues d’un poète triomphant, d’un prophète ou d’un rêveur sacré, Baudelaire renouvelle totalement la condition du poète. Celui-ci apparaît bel et bien comme un être supérieur, de génie, mais aussi comme un poète maudit, aimanté par l’idéal mais rattrapé par la mélancolie, le fameux « Spleen » baudelairien. L’albatros devient ainsi le symbole du poète incompris par son époque, dont le séjour sur terre est vécu comme un emprisonnement, ou une retraite qu’il n’aurait pas choisie.

 

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« Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! » : Pourquoi « A une passante » est-il un poème universel ?

« Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! » Tout le monde connaît les derniers vers du poème de Charles Baudelaire « A une passante », que vous pouvez retrouver au sein de nos applications Un texte Un jour et Un Poème Un Jour.

Ce poème est un des poèmes les plus célèbres des Fleurs du mal, et probablement un des poèmes les plus connus de la littérature française. Pourquoi ?

Une scène urbaine et intemporelle

« A une passante » est le récit d’une scène urbaine et parisienne comme Paris, et toute grande ville, connaissent de façon quotidienne. C’est le récit d’un coup de foudre à sens unique, de deux regards qui se croisent furtivement en pleine rue. Celui qui nous parle, ce « je » qu’on appelle techniquement « le locuteur » est frappé par la beauté d’une femme.  A qui il n’aura pas le temps de parler, et qui disparaîtra à jamais dans la jungle urbaine.

Un poème d’une facture parfaite

« A une passante » est un sonnet, composé, comme son nom l’indique, de deux quatrains (strophes de quatre vers) et de deux tercets (strophes de trois vers). C’est un poème relativement court (le sonnet est une forme des plus classiques) qui réussit, en quatorze vers, à instaurer une véritable dramaturgie.

  • Vers 1 : Baudelaire plante le décor urbain
  • Vers 2 à 5 : portrait de la passante
  • Vers 6 à 9 : les regards se croisent, le locuteur est littéralement foudroyé
  • Vers 10 à 13 : le locuteur exprime son désespoir
  • Vers 14 : le vers final, la chute scelle à jamais le chagrin du locuteur et l’amour tragique et à sens unique

Une subite apparition

La fulgurance de cette rencontre laisse notre locuteur au désespoir. Déjà initialement souffrant (notre locuteur étouffe au sein de cette ville qui « autour de moi hurlait »), le locuteur, après avoir subitement retrouvé espoir et joie de vivre va retomber dans le désespoir le plus profond, comme en témoigne le rythme du poème qui s’accélère subitement (« Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! ») Cette passante serait-elle l’amour de sa vie ? Il ne pourra jamais le vérifier, et restera à jamais hanté par cette idée.

Une passante éternelle et universelle

Qui est-elle cette passante ? Une figure universelle, dont on ne sait rien ou presque, et qui peut être n’importe quelle passante parisienne, en réalité. C’est une femme élégante, en deuil mais « majestueuse » et à la douleur contenue, véritable source d’inspiration des artistes et des sculpteurs (« avec sa jambe de statue »).

« Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! »

Le derniers vers du poème, témoignage d’un éternel regret, est resté dans les mémoires. Est-ce grâce à l’emploi du subjonctif plus-que-parfait ? Ce vers est en tout cas la parfaite expression d’un rêve inachevé doucement teinté d’amertume, d’un sentiment typique de toute histoire d’amour non vécue mais à laquelle on aura crue, même fugacement.

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Illustration : Fanny Ardant sur le tournage de La Femme d’à côté de François Truffaut (1981)