Des poèmes d’Émile Nelligan aux romans d’Anne Hébert, dix classiques de la littérature québécoise

« Les géniteurs du peuple québécois sont l’Indien et le Blanc, le jésuite et le coureur des bois. Le peuple québécois est donc né métissé. De ce métissage, il reste quelques traces dont témoigne l’histoire de la littérature du Québec qui oscille entre l’appel du lointain, des grands espaces vierges, et le repli frileux autour du foyer et de l’église paroissialeDe ce mouvement de balancier entre l’ailleurs et l’ici, la culture du Québec est profondément marquée. »

Catherine Pont-Humbert, Littérature du Québec, 1998, Nathan

 

 

Elle n’est ni française, ni canadienne, ni américaine. Sa naissance, indissociable de la conquête d’un territoire aux rudes conditions climatiques, fut tourmentée. Elle est encore jeune, et elle s’est très longtemps concentrée sur l’évocation du terroir, comme des grands espaces. Elle a su se défaire de l’emprise du clergé, et dépasser ses problématiques régionalistes et nationalistes comme seules dynamiques d’intrigues. Elle a su puiser dans la tradition orale, évoquer les cultures autochtones, remonter au temps mythiques des origines, et elle s’écrit parfois même en joual. Ses auteures sont de vibrantes féministes…. Elle est, vous l’aurez deviné, la littérature québécoise ; et parce qu’en France on assimile trop souvent cette littérature à Maria Chapdelaine (Louis Hémon, son auteur, était français, et non québécois), parce que c’est une littérature que j’adore, et qui mérite d’être (re)découverte, j’ai choisi de vous présenter dix classiques de la littérature québécoise du XXème siècle.

 

Au début XVIIème siècle, lorsque les premiers colons s’installent dans la vallée du Saint-Laurent, il y a une véritable lutte entre la civilisation européenne et le continent nouveau. Les grandes familles envoient leurs enfants étudier en France, il n’y a pas de bibliothèques publiques (la première bibliothèque publique est construite à Québec en 1779) et la littérature nationale peine à émerger. Les premiers écrits sont d’abord des récits de voyage, des journaux, et des textes religieux. Le conte séduit une société encore souvent analphabétisée, qui puise dans son folklore ainsi que dans l’héritage français des ancêtres.

 

Il faut attendre le XIXème siècle pour qu’une véritable littérature commence à apparaître, et la littérature est alors indissociable de la nationalité et de l’identité québécoise. Les écrits québécois valorisent, défendent, mettent en avant la culture et le mode de vie – rural – des Québécois. La poésie subit l’influence des Romantiques français et les poètes québécois imitent alors Victor Hugo, Lamartine ou Musset. Les premiers romans québécois sont L’influence d’un livre de Philippe Aubert de Gaspé fils, La terre paternelle de Patrice Lacombe, Charles Guérin de Pierre-Joseph Olivier Chauveau. Philippe Aubert de Gaspé père, lui, propose, avec Les Anciens Canadiens, un roman historique qui évoque la conquête du Canada par les Anglais et chante les exploits des héros de Nouvelle-France.

 

Poésies d’Émile Nelligan, 1904

Émile Nelligan  Photo : Archives publiques Canada

J’aime à penser qu’Émile Nelligan est un peu le Arthur Rimbaud de la littérature québécoise. Né en 1879 et mort en 1941, cette étoile filante de la littérature québécoise a écrit l’essentiel de son œuvre poétique avant ses 20 ans avant de sombrer dans la folie et de passer les 42 années suivante interné. Sa précocité, son talent, les thèmes qu’il aborde, au-delà du terroir et du patriotisme québécois, ainsi que la schizophrénie dont il était atteint l’ont hissé au rang de mythe.

Très influencé par les Romantiques français comme Musset ou Gérard de Nerval, Nelligan est surtout un grand admirateur de Charles Baudelaire auquel il a beaucoup rendu hommage. Comme l’auteur des Fleurs du mal, Nelligan est hanté par le temps qui passe, l’ennui, le paradis perdu de l’enfance, les chats ou l’idéal inaccessible ! Comme Baudelaire, Nelligan utilise des formes classiques, régulières et plutôt courtes, ainsi qu’un lexique audacieux. « La Romance du vin » (« C’est le règne du rire amer et de la rage / De se savoir poète et l’objet du mépris, ») ou « Le Vaisseau d’or » (« Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l’or massif : / Ses mâts touchaient l’azur, sur des mers inconnues ; »), pour ne citer qu’eux, témoignent tout à fait de l’influence baudelairienne. Le poème « La passante » est quant à lui un hommage évident au poème « À une passante » : « Hier, j’ai vu passer, comme une ombre qu’on plaint, / En un grand parc obscur, une femme voilée ».

Le plus grand poète lyrique du Québec est un auteur accessible et dont l’univers ne pourra que toucher les amoureux de poésie romantique française.

 

Les Goutelettes, de Pamphile Lemay, 1904

Pamphile Lemay n’est peut-être pas le plus grand poète québécois, mais j’aime énormément son recueil de sonnets Les Goutelettes. Divisé en plusieurs sections (« Glané dans notre histoire », « Hommage », « Au foyer », « Souffle d’amour », « Sport », etc.), Les Goutelettes évoque aussi bien les grands hommes de l’histoire du Québec que l’importance de la religion ou la récolte du sucre d’érable.

Ainsi, « Écoutez le babil de la goutte de sève /Qui tombe de l’érable en l’auge de bouleau. » écrit Lemay dans « La Sucrerie ». Dans le poème « Champlain », Pamphile Lemay s’adresse au fondateur de la ville de Québec : « Quand tu rêves, soldat du galant Navarrois, / Ton regard inspiré cherche-t-il à connaître / Si ton jeune pays va grandir, ou doit n’être /Qu’un fleuron sans valeur aux couronnes des rois ? ».

Les Goutelettes est un recueil tout à fait représentatif des valeurs défendues par les écrivains régionalistes. Le mouvement littéraire régionaliste, qu’on retrouve dans les romans du terroir, s’est déployé entre 1846 et 1945. Il prône le retour à la terre, exalte les valeurs religieuses et familiales, valorise la langue québécoise.

 

Menaud, maître-draveur de Félix-Antoine Savard, 1937

Ozias Leduc, Nature morte, oignons, 1892 Collection Wilfrid Corbeil, Don des Clercs de Saint-Viateur de Joliette  © Succession Ozias Leduc / SODRAC (2017)

 

Chef-d’œuvre du roman du terroir Menaud, maître-draveur témoigne de la possibilité de produire une œuvre à la fois très littéraire et hautement nationaliste. Il est écrit dans une langue puissante et met en scène un héros, viscéralement attaché au pays de Charlevoix, nourri de gestes et de paroles aussi humbles que poétiques, à qui une vie difficile a donné le goût des « choses calmes, profondes ».

Menaud est un draveur, c’est-à-dire quelqu’un qui veille à ce que les billots de bois coupés l’hiver descendent, au printemps, la rivière sans créer d’embâcles.  Déjà âgé, Menaud apprend que la terre de ses ancêtres doit être vendue à des fins commerciales, et il se bat pour défendre son territoire, comme ses idéaux. En parallèle, nous suivons les errements de Marie, la fille de Menaud, qui doit choisir entre deux prétendants. Tous les deux sont des draveurs mais l’un est un digne héritier de Menaud, l’autre  rallié à la cause de ceux qui veulent racheter les terres de Menaud.

Menaud apparaît comme un homme révolté, tourmenté, toujours en action et jamais apaisé, bouleversant dans son attachement à une terre à laquelle on veut l’arracher : « Désormais, elle lui serait interdite cette cambuse, interdite la montagne, de par la loi, la loi du pays de Québec qui permet à l’étranger de dire, quand bon lui semble, à l’enfant du sol : « Va-t-en ! » » Hanté par Maria Chapdelaine qu’il ne cesse de relire, Menaud se répète, tel un leitmotiv, les mots de Louis Hémon : « Nous sommes venus il y a trois cent ans et nous somme restés… […] Ici, toutes les choses que nous avons apportées avec nous, notre culte, notre langue, nos vertus et jusqu’à nos faiblesses deviennent des choses sacrées, intangibles et qui devront demeurer jusqu’à la fin. » Il y a du Raboliot, le roman de Maurice Genevoix, en Menaud, maître-draveur.

 

Regards et Jeux dans l’espace, Hector de Saint-Denys Garneau, 1937

Ludger Larose, Paysage à Sainte-Rose, 1901, Collection du Musée national des beaux-arts du Québec

Le recueil poétique Regards et Jeux dans l’espace marque une vraie rupture, et les débuts d’une littérature authentiquement québécoise. Aux antipodes d’un Pamphile Lemay ou d’un Émile Nelligan qui demeuraient très imprégnés de leurs homologues français du XIXème, Hector de Saint-Denys Garneau se détache des thématiques nationales et rurales, et écrit des poèmes tout en intériorité, riches d’un véritable univers où la solitude, vécue dans une nature dépouillée, ainsi que l’ironie sont reines. Le poète innove également sur le plan formel puisqu’il adopte le vers libre.

Voici un extrait de « La cage d’oiseau » : « Je suis une cage d’oiseau / Une cage d’os / Avec un oiseau / L’oiseau dans la cage d’os / C’est la mort qui fait son nid »

Malheureusement, Regards et Jeux dans l’espace ne rencontrera pas le succès escompté, et le poète décède à l’âge de 31 ans, dans des circonstances demeurées partiellement inexpliquées. Hector de Saint-Denys Garneau est le cousin d’Anne Hébert.

 

Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, 1945

Gabrielle Roy  Photo : Bibliothèque et Archives Canada

« On peut réellement considérer la publication de Bonheur d’occasion comme l’événement déclencheur de la littérature de contestation qui bouleversera le Québec pendant les vingt années suivantes. »[1]

Bonheur d’occasion est un premier roman qui connut un retentissement international et obtint notamment le Prix Femina. Divisé en 33 chapitres, le roman se déroule sur 3 mois, entre février et mai 1940, dans les quartiers pauvres de Montréal, pendant la Grande Dépression. L’héroïne en est Florentine Lacasse, seul membre de sa famille qui bénéficie d’un emploi régulier et est déterminée à sortir de la misère. Ce sont les choix amoureux de cette héroïne « moitié peuple, moitié chanson, moitié printemps, moitié misère » qui guident son évolution et sont au cœur du roman. Ce dernier est d’une grande finesse psychologique et Gabrielle Roy n’a pas son pareil pour disséquer le jeu de la séduction et ce moment où l’hésitation laisse place à la prise de décision.

Bonheur d’occasion marque un véritable tournant dans la littérature québécoise. Alors que dans les romans de terroir, la ville est vue comme un lieu de perdition, le quartier montréalais de Saint-Henri est au cœur du roman et l’omniprésence de la ville, en tant que personnage à part entière, est une nouveauté dans la littérature québécoise. C’est la guerre, « ce bonheur d’occasion », qui a permis l’industrialisation et l’urbanisation des Québécois. Les besoins traditionnels de la campagne sont transférés à la ville, et Gabrielle Roy évoque la perte de repères que connaissent les citadins, qui vivent en famille, autour de leur paroisse et de manière autarcique, dans une ville dont ils maîtrisent difficilement les codes et la géographie. Néanmoins, les personnages sont habités par un fort instinct de survie et le destin finit par sourire à Florentine.

 

Agaguk, d’Yves Thériault, 1958

En tant que Française, j’ai grandi avec Apoutsiak, le petit flocon de neige de Paul-Emile Victor, et j’ai plus tard découvert Agaguk, roman policier dont l’action se situe dans le Nord du Québec, chez les Inuits. Traduit en 7 langues, adapté au cinéma en 1992, Agaguk  témoigne du quotidien extrêmement rude des Inuits, qu’il s’agisse d’assurer leur survie ou de se faire respecter des hommes blancs qui les exploitent.

Fils du chef inuit Ramook, Agaguk quitte sa tribu et s’installe avec Iriook, qu’il a choisie pour épouse, dans la Toundra. Dépendant du monde extérieur, Agaguk doit revenir dans son village pour commercer avec les Blancs. L’amoralisme de ces derniers pousse Agaguk à commettre le pire.

Roman du grand Nord, témoignage d’une société en mutation, Agaguk exploite superbement la thématique des grands espaces pour nous conter l’impossible alliance de deux cultures aux antipodes l’une de l’autre.

 

Les belles-sœurs de Michel Tremblay, 1968

Michel Tremblay Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir

Deuxième pièce de Michel Tremblay, l’auteur le plus joué au Québec comme à l’étranger, Les belles-sœurs connut un véritable succès de scandale puisque son auteur y rejetait en bloc les canons du théâtre classique québécois. Écrite en joual – une première —, le dialecte de la classe ouvrière québécoise, la pièce met en scène quinze femmes hautes en couleur du quartier Mont-Royal. Elles sont réunies autour de Germaine Lauzon, qui vient de gagner un million de timbres-primes mais doit tous les coller dans des catalogues afin de pouvoir les échanger contre des objets de consommation. Germaine organise donc « un party de collage de timbres ». Cependant, la bonne fortune de Germaine suscite rancœur et jalousies et chacune de ces femmes, sous la forme de monologues, témoigne de sa détresse et de son aliénation.

« Là, là, j’travaille comme une enragée, jusqu’à midi. J’lave. Les robes, les jupes, les bas, les pantalons, les canneçons, les brassières, tout y passe ! Pis frotte, pis tord, pis refrotte, pis rince… C’t’écoeurant, j’ai les mains rouges, j’t’écoeurée. J’sacre. À midi, les enfants reviennent. Ça mange comme des cochons, ça revire la maison à l’envers, pis ça repart ! L’après-midi, j’étends. Ça, c’est mortel ! J’hais ça comme une bonne ! Après, j’prépare le souper. Le monde reviennent, y’ont l’air bête, on se chicane ! Pis le soir, on regarde la télévision ! »[2]

 

L’homme rapaillé de Gaston Miron, 1970

Gaston Miron Photo : Archives Le Devoir

L’homme rapaillé est le recueil poétique le plus célèbre du Québec et Gaston Miron, personnalité militante, engagée, est un des poètes québécois les plus connus en France. D’ailleurs, le plus important fonds documentaire québécois en Europe, situé à Paris, est la bibliothèque Gaston Miron.

En québécois, « rapailler » signifie « Rassembler des choses éparpillées » et « L’homme rapaillé » est le recueil  de l’homme éparpillé qui dit la façon dont il s’est (re)construit. Les poèmes de Miron frappent au cœur par leur universalité, par leur souci d’une parole juste, profondément authentique, qu’il s’agisse de chanter l’amour inconditionnel (dans la superbe section « La marche à l’amour »), de célébrer la beauté de son pays ou d’appeler les Québécois à assurer leur indépendance.

Ainsi, dans « L’Octobre », Gaston Miron le promet : « nous te ferons, Terre de Québec / lit des résurrections / et des mille fulgurances de nos métamorphoses / de nos levains où lève le futur / de nos volontés sans concessions / les hommes entendront battre ton pouls dans l’histoire / c’est nous ondulant dans l’automne d’octobre / c’est le bruit roux de chevreuils dans la lumière / l’avenir dégagé / l’avenir engagé »[3]

 

Kamouraska d’Anne Hébert, 1970

Anne Hébert au début des années 1960  Photo: André Le Coz

Anne Hébert est une des plus grandes femmes de lettres québécoise et une de mes romancières préférées. C’est avec Kamouraska que je l’ai découverte ! Deuxième roman d’Anne Hébert, Kamouraska connut un vrai succès de librairie. Traduit en une dizaine de langues, vendu à 100000 exemplaires en moins d’un an, le roman fut adapté au cinéma par Claude Jutra avec Geneviève Bujold.

Inspiré d’un fait divers, le roman, dont l’action se situe au XIXème siècle, retrace l’existence tourmentée d’Élisabeth d’Aulnière qui a survécu à onze maternités, à des démêlés ave la justice et à la disparition du seul homme qu’elle n’ait jamais aimé… Après avoir été élevée par trois tantes bigotes, superstitieuses et étouffantes, Élisabeth a épousé Antoine Tassy, le seigneur de Kamouraska, un village reculé situé sur  les rives du Saint-Laurent. Ce très beau parti aux airs de beau merle se révèle violent, veule et infidèle. Loin des siens et de sa terre, recluse dans un obscur manoir dans l’enfer blanc de Kamouraska, Élisabeth connaît la souffrance indicible, presque fière de  ce « rôle de femme martyre et de princesse offensée ». Lorsqu’elle tombe amoureuse du médecin George Nelson, Élisabeth décide de se débarrasser d’Antoine.

Extrêmement singulier, Kamouraska est construit, comme souvent chez Anne Hébert, sur des symboles et oppositions : le sang contraste la neige, l’eau avec le feu, le bien s’oppose au mal et l’amour est une véritable tare. Éclaté dans sa structure, Kamouraska dit mieux que biens des œuvres combien le puritanisme et l’enfermement conduisent aisément au bord de la folie, et il offre un très beau portrait de femme. J’ai d’ailleurs présenté Élisabeth d’Aulnière dans Un prénom de héros et d’héroïne – dictionnaire des prénoms littéraires, aux éditions Le Robert.

 

Les enfants du sabbat d’Anne Hébert, 1975

On sort rarement indemne d’une lecture d’Anne Hébert, et Les enfants du sabbat en est le parfait exemple ! Tout aussi particulier mais néanmoins différent de Kamouraska, Les enfants du sabbat se situe au Québec, à deux époques différentes, en 1944 et dans les années 1930.

Sœur Julie de la Trinité est au couvent des Dames du Précieux-Sang.  Elle y est arrivée à l’âge de quatorze ans, ne sachant ni lire ni écrire. Éprise de vertiges sensuels, capable de prédire l’avenir comme de provoquer la mort, sœur Julie est suspectée d’être possédée par le Malin, et elle ne tarde pas à être enfermée. Mais qui est vraiment sœur Julie ? Est-elle vraiment fille, petite-fille et arrière-petite fille de sorcière, comme ses souvenirs d’enfance semblent le suggérer ?

Sœur Julie est la fille d’Adélard et La Goglue, deux êtres monstrueux qui l’ont élevée avec son frère Joseph dans de sordides cabanes de bois, dans la plus grande marginalité. Dans la vallée de la montagne de B…, Adélard et La Goglue ont en effet exploité la misère ambiante en organisant fêtes, orgies, et sacrifices, grâce à de l’alcool frelaté faisant perdre repères et tout sens commun à ceux qui en buvaient, et faisaient des kilomètres pour approcher leurs gourous. Julie et Joseph parviennent tant bien que mal à survivre, jusqu’au jour où ils deviennent les premières victimes de ces infernaux sabbats.

Fascinant et extrêmement dérangeant, Les enfants du sabbat est un roman fantastique qui revisite très habilement la figure de la sorcière et propose une critique acerbe de l’emprise de la religion sur la société québécoise dans la première moitié du XXème siècle.

À noter qu’une importante biographie consacrée à Anne Hébert vient d’être publiée aux éditions Boréal, Anne Hébert, vivre pour écrire de Marie-Andrée Lamontagne. Notre interview de Marie-Andrée Lamontagne est à retrouver via ce lien.

 

Pour en savoir plus :

Littérature du Québec, Catherine Pont-Humbert, Nathan, 1998

Anthologie de la littérature québécoise, Claude Vaillancourt, Guide méthodologique de Marc, Savoie, Beauchemin, 2018

Vous souhaitez relire « La passante » d’Émile Nelligan ? Téléchargez l’application Un texte Un jour sur iPhone et retrouvez-le au sein de la catégorie « Plus de textes ».

© Le déclin de l’empire américain, Denys Arcand, 1986 (photographie Guy Dufaux)

[1] Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, Tome III : 1940-1959 (sous la direction de Maurice Lemire), Montréal, Fides, 1982

[2] Michel Trembay, Les belles-sœurs, 1968, Leméac Éditeur

[3] Gaston Miron, « L’octobre », L’homme rapaillé, 1970, Presses de l’Université de Montréal

 

Perrine Perez, ou les classiques de celle qui a dit non…

« Lorsque je travaille sur la création d’un personnage, j’adore lier le façonnage de sa personnalité aux lectures qui se rattachent à lui, tant dans ses goûts imaginaires, que dans son style ou le rayonnement de son époque. »

 

 Tous les vendredis et samedis soirs, sur la scène de la Comédie des Boulevards, à Paris, l’hilarante Perrine Perez campe Celle qui a dit non, une jeune femme que le besoin d’accomplissement pousse à se jouer du système établi pour trouver son propre chemin. Déjouant les clichés propres à une situation très classique, Perrine Perez campe une galerie de personnages extrêmement justes. La finesse de son regard et la précision de son écriture nous ont donné envie d’en savoir plus sur les classiques qui avaient concouru à l’éclosion d’un vrai talent comique…

Perrine, quelle lectrice, et quelle lectrice de classiques êtes-vous ?

Je dirais que je suis une lectrice éclectique, je fonctionne aux envies, aux coups de cœur, au feeling. Je passe de lectures de polars/thrillers, dans le style Harlan Coben, ou comme en ce moment, le dernier Jacques Expert, « Le jour de ma mort », à des livres axés sur le développement personnel, en passant par des biographies (j’adore me plonger dans les histoires de vie d’artistes, de personnes engagées, de fortes personnalités qui créent leur destin ; c’est très inspirant). Et puis, lorsque je me passionne pour un domaine, j’ai ce besoin incompressible de dévorer des ouvrages dédiés à celui-ci, alliant apprentissage et parcours de vie. Depuis mon changement de vie, j’oscille entre des livres centrés sur les techniques de jeu d’acteur, d’écriture de scénario et des livres témoignages comme « Sick in the head », de Judd Apatow, dédié aux grands comiques américains, leur parcours, leurs aspirations, leurs doutes, leurs forces. Tout ceci me nourrit beaucoup.

Enfin, lorsque je travaille sur la création d’un personnage, j’adore lier le façonnage de sa personnalité aux lectures qui se rattachent à lui, tant dans ses goûts imaginaires, que dans son style ou le rayonnement de son époque.

Quant à la littérature classique, j’avoue que je ne suis pas une grande habituée, mais il m’arrive parfois de relire des ouvrages classiques. C’est d’ailleurs très intéressant de ressentir une nouvelle approche de la lecture et une connexion plus forte avec ce que voulait mettre en exergue l’écrivain.

Lorsque j’ai suivi ma formation aux Cours Cochet, j’ai pris beaucoup de plaisir à me replonger dans les pièces de Molière, Corneille, Shakespeare. Aujourd’hui, j’ai une envie toute particulière de me tourner vers des auteures classiques, comme George Sand, Colette, Simone de Beauvoir, qui, chacune à leur époque ont lutté pour imposer leur style et défendre la littérature féminine. A l’heure où les femmes unissent leurs forces pour lutter contre toutes formes de patriarcat, elles sont plus que jamais des références et des modèles de toutes nos générations de femmes.

Y a-t-il des classiques qui constituent vos livres de chevet ?

Les classiques auxquels je suis le plus attachée et qui ont une place dans ma petite bibliothèque coups de cœur classiques, sont des ouvrages de Victor Hugo, Emile Zola, Alfred de Musset, Charles Baudelaire… Peut-être de par mon parcours ou mes sensibilités, je suis plus attachée à la littérature du 19eme siècle, où d’ailleurs le théâtre devenait plus populaire.

Comment avez-vous découvert le théâtre et quels sont les dramaturges qui vous ont accompagnée dans votre parcours théâtral ?

J’ai découvert le théâtre avec une professeure de français extraordinaire, passionnée et désireuse de nous transmettre son enthousiasme créatif. J’étais plutôt portée par des créations de pièces contemporaines et puis je me suis intéressée au théâtre plus classique. Les dramaturges qui m’ont accompagnée dans cette nouvelle curiosité pour la création théâtrale sont Corneille, Alfred de Musset, Victor Hugo ou encore Shakespeare. Mais j’ai aussi puisé mon inspiration chez les grands de l’histoire du rire et notamment Charlie Chaplin. Aujourd’hui, je suis particulièrement sensible à la créativité subtile et sans limite d’Alexis Michalik. J’ai d’ailleurs vu Edmond plusieurs fois et j’ai eu plaisir à découvrir de nouvelles touches d’humour, dans les intentions de jeu ou les échanges entre personnages. Cela a donné une autre dimension à la pièce que j’ai adorée.

En tant que lectrice ou spectatrice, appréciez-vous le comique ?

Bien sûr, j’aime lorsqu’un auteur vient disséminer différentes touches comiques, acerbes dans les répliques de ses personnages ou l’absurdité des situations pour dénoncer, bousculer, déranger un système établi. Le comique a d’autant plus de force qu’il n’est pas attendu.

En tant que spectatrice, j’adore le comique sous différentes formes : dans l’absurde ou les jeux de mots et je crois que c’est dans la façon dont le comique enveloppe les personnages que ça me touche le plus. A titre d’exemple récent, j’ai adoré le film de Romain Gavras Le monde est à toi, qui mixe brillamment des éléments comiques sur fond de polar, par l’intermédiaire de ses personnages, comme celui de Vincent Cassel, dont l’interprétation est bluffante ou encore Isabelle Adjani, flamboyante dans son rôle de mère extravertie.

Celle qui a dit non est un spectacle résolument féministe. Comment ce projet est-il né ?

Le spectacle est en effet féministe, dans le sens où j’avais envie de mettre en lumière le parcours d’une femme qui ose dire non, fait fi des conventions sociales et rejette le rôle que l’on voudrait lui attribuer.

De ce point de vue, il est résolument lié à ma propre histoire et mon besoin de m’éloigner de la norme. Avec mon co-auteur, Csaba Zombori, on souhaitait que cette libération se ressente aussi bien dans l’histoire, que dans les traits de caractères des personnages, mais aussi dans la structure du spectacle. Thierry Sebban a d’ailleurs orienté sa mise en scène et sa création lumières pour accompagner l’évolution de la narratrice, ainsi que les tableaux qui reflètent les contradictions des personnages.

Y a-t-il des héroïnes féministes littéraires qui ont constitué une source d’inspiration ?

D’un point de vue classique, parmi les héroïnes littéraires qui m’ont inspirée, il y a bien sûr Elizabeth Bennet, dans Orgueil et Préjugés de Jane Austen. Elle s’appuie sur son caractère indépendant, sa forte personnalité et son audace pour oser refuser un mariage de convenance, à une époque où l’on attend d’elle qu’elle suive bien gentiment les directives imposées par le corps social de haut rang. Elle a aussi de l’humour, une certaine finesse dans sa malice et une observation très avertie du monde qui l’entoure.

Mais parmi les héroïnes féministes littéraires qui m’ont inspirée, j’ai aussi naturellement, très envie de vous répondre la fameuse Bridget Jones d’Helen Fielding ; je crois tout simplement, parce que la perfection de son imperfection me plaît beaucoup. Ce côté maladroit, presque enfantin, qui donne lieu à des scènes très drôles, offre une teinte de légèreté, mais aussi de complicité avec le lecteur. Elle apprend au gré des rencontres et situations qu’elle vit, à se donner plus de crédit et en accorder bien moins aux esprits critiques.

Le spectacle témoigne d’une réelle attention au langage et à ses évolutions, vous arrivez à croquer de nombreux personnages à travers des discours très différents. Avez-vous toujours été attentive à la façon dont les gens parlent, s’expriment ou écrivent autour de vous ? Des artistes vous ont-ils initiée à ce travail-là ?

En effet, nous avons voulu jouer sur cette dimension. Les personnages sont porteurs de contradictions inhérentes à leur génération et c’est avec beaucoup de plaisir et de malice que nous avons construit le champ lexical de chacun, comme un reflet oral de leur flamboyante personnalité, pour mieux surprendre le spectateur.

D’un point de vue personnel, j’ai toujours été séduite par les artistes qui manient la langue française à merveille, Fabrice Luchini en est l’exemple même. Je suis fascinée lorsque je l’entends parler et partir en improvisation.

Ma mère a toujours été très attentive, voire dictatoriale quant aux éventuelles fautes de français susceptibles de jaillir lors d’un dîner de famille. Je vous rassure, c’est devenu un running gag ; on l’imagine toujours en PLS si l’un de nous ose dire un « malgré que » ou « si j’aurais su » dans un élan d’affront linguistique intersidéral.

Donc il est vrai que j’ai hérité de cette propension à parler correctement. Je ne suis toujours pas passée à l’écriture des ados, ultra simplifiée des SMS et d’ailleurs, ça m’énerve de mettre 2 jours ½ à comprendre ce que m’envoie ma petite nièce…

Pour finir, après Celle qui a dit non écrirez-vous un jour Celle qui a dit oui ?

Ahah ! Très bonne question, mais vous savez, ce NON, élément déclencheur d’une page qui se tourne, est en réalité surtout un grand OUI à la liberté de vivre sa vie. Si un « Celle qui a dit oui » doit naître ; il est déjà en cours… 😉

Perrine Perez, Celle qui a dit non à la Comédie des Boulevards, les vendredis et samedis à 20h10

@Christine Ledroit-Perrin