Qui sont les pires beaux-parents de la littérature classique ?

On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille… On ne choisit pas non plus ses beaux-parents ! Petit tour d’horizon des beaux-parents les plus pénibles de la littérature classique française…

La belle-mère qui préférait l’ancienne : Mme Pernelle dans Tartuffe et Mme Bovary mère chez Flaubert

Mme Pernelle, mère d’Orgon et grand-mère de Mariane et Damis, dans Tartuffe, est également la belle-mère de la jeune et coquette Elmire, deuxième épouse d’Orgon. A la fois tyrannique et extrêmement critique, Mme Pernelle  use sans vergogne de son statut de matriarche pour juger sévèrement la conduite de chacun des membres de la famille et s’immiscer dans l’éducation de ses petits-enfants. Rien d’étonnant à ce qu’Orgon ait pu rechercher auprès de Tartuffe le « soutien » que sa mère ne lui offrait pas.

Mme Pernelle est notamment très sévère envers sa belle-fille et ne se gêne pas pour lui rappeler qu’elle n’est « que » la deuxième épouse d’Orgon :

« Ma bru, qu’il ne vous en déplaise, / Votre conduite, en tout, est tout à fait mauvaise ; / Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux ; / Et leur défunte mère en usait beaucoup mieux. / Vous êtes dépensière ; et cet état me blesse, / Que vous alliez vêtue ainsi qu’une princesse. / Quiconque à son mari veut plaire seulement, /Ma bru, n’a pas besoin de tant d’ajustement. »[1]

Si la mère de Charles Bovary n’a pas l’aplomb ni l’autorité de Mme Pernelle, elle nourrit un profond ressentiment envers Emma, deuxième épouse de Charles. Là où Mme Pernelle apparaît comme une femme froide et distante avec son fils, Mme Bovary mère semble surtout viscéralement attachée à son fils, qu’elle a manifestement toujours voulu protéger. Après lui avoir trouvé une première épouse, Héloïse, et assisté, impuissante, au naufrage de cette première union, Mme Bovary mère se résout, la mort dans l’âme, au mariage d’Emma et Charles. Sa nouvelle belle-fille, aux antipodes d’Héloïse, lui apparaît comme une femme qu’elle ne comprend pas et qui lui enlèvera pour de bon son fils. C’est sans étonnement que le lecteur découvre l’attitude de Mme Bovary mère lors du mariage des deux jeunes gens :

« Madame Bovary mère n’avait pas desserré les dents de la journée. On ne l’avait consultée ni sur la toilette de la bru, ni sur l’ordonnance du festin ; elle se retira de bonne heure. Son époux, au lieu de la suivre, envoya chercher des cigares à Saint-Victor et fuma jusqu’au jour, tout en buvant des grogs au kirsch, mélange inconnu à la compagnie, et qui fut pour lui comme la source d’une considération plus grande encore. »[2]

Les beaux-parents qui nous insupportent :  Monsieur et Madame Le Perthuis des Vauds dans Une Vie

« Petite mère » et « le baron » sont Adélaïde et Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds, les parents de Jeanne, l’héroïne d’Une Vie, et les beaux-parents de Julien de Lamare. Aristocrates foncièrement bons et aux joies simples et terrestres, « le baron » et « petite mère » ont élevé Jeanne sous cloche et l’ont  préparée, sans le vouloir, à une vie remplie de désillusions. Très attachée à ses parents, Jeanne ne peut vivre loin d’eux. Et c’est parce que Julien n’a plus de famille (et est d’ailleurs beaucoup moins riche que Jeanne) qu’une fois mariés Jeanne et Julien s’installent aux Peuples, la propriété familiale. Les beaux-parents de Julien sont constamment présents, imposent aux deux jeunes gens une routine familiale à laquelle il semble impossible de déroger et l’agacement de Julien envers ses beaux-parents se fait très vite sentir.

Julien, en homme cruel et insensible qu’il est, juge ses beaux-parents trop bons, trop faibles, pesants et maladroits, même s’ils lui apportent un nom, le gîte et le couvert, ainsi qu’une épouse. Navrés des très nombreux écarts de conduite de leur gendre, les parents de Jeanne, quant à eux, lui pardonnent tout, ou presque, et sont incapables d’aller au moindre conflit avec lui, ce qui ne fait qu’envenimer la situation. Les liaisons de Julien avec Rosalie ou Gilberte apparaîtront au jeune homme comme les seules échappatoires possibles à une vie familiale étouffante, et à un couple mal assorti.

Les beaux-parents qui nous déçoivent : le père et la mère Duroy dans Bel-Ami

La « Mé Duroy » et le « pé Duroy », comme ils se désignent eux-mêmes,  sont les parents de Georges Duroy, le héros de Maupassant, et qui deviennent, dans la seconde partie du roman, les beaux-parents de Madeleine Forestier.

C’est grâce à son ami Charles Forestier, rencontré au début du roman, que Georges intègre le journal La Vie française, et c’est grâce à sa femme Madeleine qu’il y reste. En effet, cette dernière, femme brillante et cultivée, tombée sous le charme de Georges, n’hésite pas à retravailler ses articles. Lorsque Charles Forestier tombe subitement malade, c’est Georges qui accourt au chevet de Madeleine et la soutient. Tous deux ne savent que trop bien ce qui est train de se jouer, et c’est peu de temps après le décès de Charles que Georges et Madeleine se marient, au mépris des commérages. Le jeune homme devient « Georges Duroy de Cantel », en référence au village de « Canteleu », près de Rouen, dont il est originaire.

A cette occasion, Madeleine, malgré les mises en gardes répétées de son mari, insiste pour rencontrer les parents de Georges, persuadée qu’elle les aimera beaucoup. « Les nouveaux époux » rencontrent donc « les vieux paysans ». Bien évidemment, la sophistication de Madeleine déroute les parents de Georges qui voient en leur bru « une traînée, cette dame-là, avec ses falbalas et son musc ». Madeleine, quant à elle, « ne mangeait guère, ne parlait guère, demeurait triste avec son sourire ordinaire figé sur les lèvres, mais un sourire morne, résigné. Elle était déçue, navrée. Pourquoi ? […] Les avait-elle vus de loin plus poétiques ? Non, mais plus littéraires peut-être,  plus nobles, plus affectueux, plus décoratifs. »[3]

Malgré ses propres origines populaires, malgré toute la meilleure volonté du monde, malgré sa curiosité pour un monde qui n’est pas le sien, Madeleine doit se rendre à l’évidence : ses beaux-parents la déçoivent, ne répondent en rien aux attentes qui étaient les siennes. Les jeunes mariés écourtent leur escapade normande, et Georges, sur le chemin du retour, l’avoue : ce voyage était une erreur.

Les beaux-parents qui nous humilient : Monsieur et Madame de Sotenville dans George Dandin

La palme des pires beaux-parents revient sans aucun doute à Monsieur et Madame de Sotenville, parents d’Angélique, qui est la femme du pauvre George Dandin.

George Dandin, un paysan fortuné, a souhaité s’élever par le mariage et a donc épousé Angélique de Sotenville, fille d’un gentilhomme campagnard. Malheureusement, la jeune femme n’est que mépris envers son mari  et George Dandin reconnaît qu’il a fait « une sottise la plus grande du monde ». Monsieur et Madame de Sotenville sont quant à eux extrêmement condescendants envers leur gendre et ne cessent de lui rappeler qu’ils ne sont pas du même monde.  Lorsque George réalise que sa femme est infidèle, et en informe ses beaux-parents, ces derniers prennent immédiatement le parti de leur fille, issue « d’une race trop pleine de vertu » et qui plus est de la « maison de la Prudoterie ».[4]

Pire encore, Monsieur et Madame de Sotenville exigeront de leur gendre que ce dernier implore, à genoux et publiquement, le pardon de sa femme pour l’avoir offensée. George Dandin devra aussi, tel un enfant pris en faute, répéter mot à mot les paroles de son beau-père et promettre « de mieux vivre à l’avenir »[5], alors que c’est Angélique qui est en faute ! C’en est trop pour George Dandin, qui ne voit qu’une issue possible à ce mariage infernal : « c’est de s’aller jeter dans l’eau la tête la première. »[6]

Au-delà du comique de caractère propre à la farce moliéresque, Monsieur et Madame de Sotenville, infatués de leur nom et de leur fortune,  apparaissent comme des personnages extrêmement cruels, renvoyant un homme à sa solitude, à son chagrin, et à un éventuel prochain suicide. Si leur nom prête à sourire, leurs propos et leurs actes confinent au drame !

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Illustration : Dustin Hoffman, Ben Stiller, Barbra Streisand, Teri Polo et Blythe Danner dans Mon beau-père, mes parents et moi (Jay Roach, 2004)

 

[1] Molière, Tartuffe, I, 1, 1664

[2] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Première partie, Chapitre IV, 1857

[3] Maupassant, Bel-Ami, Deuxième partie, Chapitre I, 1885

[4] Molière, George Dandin, I, 4, 1668

[5] Molière, George Dandin, III 7, 1668

[6] Molière, George Dandin, III 8, 1668

Qui sont les Héloïse de la littérature classique ?

« Il y avait dans la ville même de Paris une jeune fille nommée Héloïse, nièce d’un chanoine appelé Fulbert, lequel, dans sa tendresse, n’avait rien négligé pour la pousser dans l’étude de toute science des lettres. Physiquement, elle n’était pas des plus mal ; par l’étendue du savoir, elle était des plus distinguées. »

Abélard et Héloïse, Lettres, Lettre I, « Histoire des malheurs d’Abélard adressée  à un ami »

Héloïse, l’héroïne médiévale des lettres d’Abélard et Héloïse, a réellement existé !

L’histoire d’Héloïse et Abélard

Héloïse voit le jour à Paris en 1101. Après l’avoir placée dans un monastère, son oncle, le chanoine Fulbert, lui donne pour précepteur le théologien Pierre Abélard, l’un des plus éminents professeurs de son temps. Elle n’a pas dix-huit ans, il approche de la quarantaine.

Resté jusqu’alors chaste, Abélard, profitant des leçons qu’il est censé donner à Héloïse, la séduit et l’enlève. Héloïse met au monde un fils, Astrolabe, et épouse secrètement Abélard. Fulbert accuse le précepteur d’avoir trahi sa confiance et le fait émasculer. Abélard, atrocement mutilé et Héloïse se voient contraints à la séparation et à la vie monastique, malgré l’absence de vocation d’Héloïse.

Après plusieurs années de silence, Héloïse et Abélard entament une correspondance – en latin. Les deux anciens amants ne cesseront jamais de s’écrire jusqu’à la disparition d’Abélard, en 1142. Héloïse, elle, meurt vingt-deux ans plus tard, en 1164. Ils sont tous les deux enterrés au cimetière du Père-Lachaise, à Paris.

La correspondance de deux intellectuels

C’est bien sûr grâce à leur correspondance que l’histoire d’Héloïse et Abélard nous est connue ! Après la mort d’Héloïse, la correspondance tomba dans l’oubli avant de réapparaître au XVIIIème siècle. Le genre épistolaire était alors la mode, et la correspondance d’Héloïse et Abélard, ressortie dans une traduction du latin au français de Bussy-Rabutin en 1697, séduit par sa liberté de ton.

Prototype latin du roman d’éducation sentimentale, modèle du genre épistolaire classique, la correspondance veut surtout un véritable échange intellectuel, à l’image du couple formé par Héloïse et Abélard.

Héloïse, première femme de lettres en Occident

Première femme de lettres d’Occident à l’existence  des plus romanesques, Héloïse est une des premières  figures mythiques de la passion amoureuse.  Elle est surtout, derrière cette représentation de femme fatale et au-delà de sa rencontre avec Abélard, une véritable intellectuelle ayant œuvré pour l’accès des femmes à l’éducation et à un véritable statut au sein de l’Eglise.

Vous l’aurez compris, le prénom « Héloïse » est lourd de symboles et de sens. Sur le plan littéraire, on le retrouve chez Rousseau et Flaubert, mais attention à ces nouvelles significations !

Une nouvelle Héloïse… qui s’appelle Julie !

Le roman de Rousseau que l’on appelle parfois à tort  La Nouvelle Héloïse laisserait à penser que son héroïne s’appelle Héloïse mais il n’en est rien.

Julie ou la Nouvelle Héloïse est un roman épistolaire, qui constitue un échange de lettres entre deux amants, Julie et Saint-Preux. : Saint-Preux est, au début du roman, le précepteur de Julie et de sa cousine Claire. Saint-Preux tombe amoureux de Julie, mais le père de cette dernière refuse le mariage. La mort dans l’âme, Julie se verra contrainte d’épouser M. de Wolmar et le roman relate la correspondance des deux amants.

C’est Saint-Preux qui compare le couple qu’il forme avec Julie à celui d’Abélard et Héloïse. Selon Saint-Preux, Julie doit être une « nouvelle » Héloïse, une Héloïse moderne, à la fois vertueuse et au premier plan de la relation ; à la différence de « l’ancienne » Héloïse qui était, elle, effacée et soumise dans sa relation à Abélard.

Succès considérable lors de sa parution en 1761, Julie ou la Nouvelle Héloïse a également fortement contribué à la redécouverte du personnage d’Héloïse, et de son histoire avec Abélard.

Héloïse, la première épouse de Charles Bovary !

Nous l’oublions souvent, mais Emma Bovary n’est pas la première épouse de Charles. Flaubert prend un malin plaisir à écorner la symbolique du prénom Héloïse en nous présentant l’épouse de Charles Bovary comme une vieille femme acariâtre ! Plus de détails par ici !

Héloïse d’Ormesson…

Enfin, Héloïse est le prénom de la fille de Jean d’Ormesson… à qui l’on doit la maison d’édition Héloïse d’Ormesson !

Illustration : Edmund Blair Leighton, Abelard and his pupil Heloise