Quatre familles bourgeoises de la littérature classique européenne

Entre cocon rassurant et chemin tout tracé, le héros romanesque est parfois présenté au sein d’une famille, et la cellule familiale est alors l’occasion d’interroger la place de son personnage dans le monde. Doit-il s’affranchir des siens ? Doit-il perpétuer une lignée et si oui, comment pleinement s’y exprimer ? Par les obligations et modèles qu’elle impose, la famille bourgeoise est un véritable laboratoire de la destinée du héros, libre comme enchaîné. Nous vous présentons quatre célèbres familles bourgeoises de la littérature classique européenne, qui vous feront voyager de l’Angleterre à la France en passant par la Russie et l’Allemagne.

Orgueil et préjugés

La famille Bennet dans Orgueil et préjugés, Jane Austen, 1813

Roman le plus célèbre de Jane Austen, Orgueil et Préjugés narre, non sans humour ni ironie,  l’évolution psychologique et les mésaventures sentimentales des cinq sœurs Bennet, et brosse le portrait de leur inénarrable mère, qui ne rêve que de toutes les marier. La famille Bennet, issue de la bourgeoise, se compose donc de sept personnages.

Il y a le placide et distant M. Bennet qui a renoncé à trouver sa place au sein du gynécée agité, et Mme Bennet qui se couvre bien trop souvent de ridicule.

La première des sœurs est Jane, la plus sensible de la fratrie. À vingt-deux ans, Jane est hantée par le spectre du célibat. Elle cherche un mari et rencontre la perle rare en la personne de Charles Bingley.

Vient ensuite l’héroïne, Elizabeth, la plus brillante des sœurs, et la préférée de M. Bennet. Attentive, profondément légaliste, Elizabeth veille à la liberté fondamentale de ses jeunes sœurs, qui ne doivent pas être privées de mondanités à cause du célibat de leurs aînées.

La troisième fille Bennet est la pédante Mary, qui peine à susciter la sympathie du lecteur mais a le mérite d’avoir des ambitions  intellectuelles et musicales.

L’avant-dernière sœur Bennet est Catherine, surnommée Kitty. Aussi frivole que coquette, Kitty subit la très mauvaise influence de sa jeune sœur Lydia. Longtemps hermétique aux conseils et avertissements que lui donnent Jane et Elizabeth, Kitty manque de confiance en elle et monte aisément sur ses grands chevaux. Kitty peine, en réalité, à trouver sa place au sein de la famille.

La benjamine est la très inconséquente Lydia, qui s’enfuit avec George Whickam et met en danger la réputation de sa famille.

C’est une famille très vivante, contrastée et complexe que nous dépeint Jane Austen. Si Jane et Elizabeth apparaissent très équilibrées, Orgueil et préjugés témoigne de la difficulté à trouver sa place au sein d’une famille nombreuse, notamment en étant l’enfant du milieu, mais aussi de la touchante complexité des relations sororales, entre rivalité, identification et rejet.

 

Guerre et Paix

La famille Rostov dans La Guerre et La Paix, Léon Tolstoï, 1869

Monument de la littérature, La Guerre et La Paix exploite l’histoire individuelle pour dépeindre une Russie au bord d’un conflit apocalyptique avec la France de Napoléon. Entre amour, engagement militaire ou intellectuel, ses jeunes héros tentent de trouver un sens à leur existence, et Tolstoï parvient à établir un lien constant, et manifeste, entre l’intime et l’épique, le personnel et le politique. Plusieurs familles se croisent dans le roman, parmi lesquelles les familles Bolkonski, Kouraguine et Rostov. Arrêtons-nous sur cette dernière, la plus nombreuse et la plus sympathique.

Nathalie et Ilia Rostov sont les parents de Véra, Natacha, Nicolas, et Pétia. Ils ont recueilli Sonia, une cousine éloignée devenue orpheline. Par leur bonté et leur générosité, Nathalie, et surtout Ilia, incarnent joie de vivre, empathie et hospitalité. Fêtard invétéré, noceur et jouisseur, Ilia n’en demeure pas moins un mauvais gestionnaire et il sombre dans la neurasthénie lorsque la famille se retrouve acculée à la ruine lors de l’exode de Moscou. Figure aimante et généreuse, faite pour avoir et élever des enfants, Nathalie est un Phénix qui renaît de ses cendres et qui transmet à ses enfants son irréductible amour de la vie. Elle incarne, d’une certaine façon, la Russie, qui saigne et se relève face à l’offensive napoléonienne.

Fils aîné du comte Rostov, Nicolas, âgé de vingt ans, embrasse une brillante carrière militaire, accomplissant ainsi ses rêves d’enfant. Si son hédonisme teinté d’une légère immaturité le rend apte à perdre 43000 roubles en une soirée mais incapable d’épouser Sonia Rostov, Nicolas connaît une remarquable évolution à force d’être confronté au danger.

Véra, personnage secondaire, apparaît comme un modèle de stabilité sur lequel Nathalie peut compter.

Natacha, âgée de treize ans au début du roman, est une enfant mutine et qui aime plaire, en perpétuel mouvement. D’un caractère joyeux parfois proche de l’inconséquence, Natacha n’en reste pas moins profondément bonne et douée pour le bonheur. Un moment d’égarement la fait définitivement quitter le monde de l’innocence.

Plus mûre et plus abîmée par la vie que les enfants Rostov, Sonia ne peut s’empêcher d’être ponctuellement jalouse de Natacha dont elle est pourtant très proche. Amoureuse depuis l’enfance de son cousin Nicolas, Sonia, malgré ses sentiments, se résout  peu à peu à laisser partir Nicolas.

Impétueux et téméraire, Pétia, malgré les réticences de ses parents, s’engage dans l’armée mais est tué brutalement.

 

Les Buddenbrook

La famille Buddenbrook dans Les Buddenbrook, Le déclin d’une famille, Thomas Mann, 1901

Les Buddenbrook sont une famille de riche négociants de Lübeck, dont la réputation et la fortune se sont établies grâce à un investissement et des sacrifices sur plusieurs générations. Le roman de Thomas Mann relate le déclin de cette famille, ce moment de bascule où les fils dévieront, chacun à leur manière, de la trajectoire initiée par les pères. Par une attention de chaque instant portée aux détails et à la psychologie de ses personnages, Thomas Mann nous montre, parfaitement, ce qu’implique d’appartenir à une « grande » famille. Les Buddenbrook s’ouvre d’ailleurs sur une très longue et très belle scène de réunion familiale.

Qui sont-ils, ces Buddenbrook ?

Le roman évoque trois générations de Buddenbrook.

Il y a le grand-père Johann, qui en secondes noces a eu un fils, lui-même appelé Johann. Johann, le fils, s’est marié avec Elisabeth Kröger. Pur produit de la bourgeoisie hanséatique, belle et élégante, Elisabeth a su parfaitement contribuer à la perpétuation de l’héritage des Buddenbrook. Le couple a eu quatre enfants, Thomas, Antonie, dite Tonie, Christian et Clara, et ce sont eux que nous suivons particulièrement au sein du roman.

Thomas, le fils aîné, est le garant de la stabilité familiale, à travers des choix réfléchis et un goût immodéré pour le travail. S’il ressemble, enfant, à une caricature de son père, Thomas, en grandissant, parvient à tracer son propre chemin et à insuffler un nouvel élan à la maison Buddenbrook. Son mariage avec Gerda, musicienne hollandaise, lui sert de tremplin et d’assise pour ses ambitions politiques, mais Thomas connaît un drame personnel qui met fin à la lignée des Buddenbrook.

Christian est un personnage velléitaire broyé par une destinée familiale à laquelle il demeure totalement insensible. Il tente de devenir acteur et échoue dans tout ce qu’il entreprend, et est finalement l’incarnation d’une marginalité toujours revendiquée, mais finalement peu assumée.

Désopilante et très attachante, jolie, sémillante et vive, Tony a tout pour perpétuer brillamment la lignée des Buddenbrook. Elle connaît pourtant de tristes mésaventures conjugales qui témoignent d’un immense gâchis, et du déclin de la famille. Thomas Mann ausculte, avec une précision imparable, les mécanismes à l’œuvre dans les choix conjugaux qui sont faits pour elle. Tony a néanmoins une fille, Erika.

Clara est la benjamine de la fratrie Buddenbrook. Née prématurée, d’une santé fragile, Clara mène une existence austère. Autoritaire et intransigeante, elle épouse Sievert Tiburtius, pasteur originaire de Lettonie, avec lequel elle trouve un équilibre.

 

La famille Thibault dans Les Thibault, Roger Martin du Gard, 1922-1940

Cycle romanesque en huit parties, Les Thibault évoque le parcours de deux familles bourgeoises, les Thibault et les Fontanin, entre 1904 et 1918, et la façon dont la première Guerre Mondiale influe sur leurs trajectoires.

On suit surtout l’évolution de Jacques et Antoine, les deux fils de l’intransigeant Oscar-Marie Thibault. Ce dernier, archétype du notable soucieux de sa respectabilité, est un père tyrannique d’une extrême intransigeance. Homme politique conservateur et très installé, ce veuf catholique a élevé ses deux fils dans l’espoir qu’ils perpétuent tous deux la lignée des Thibault.

Antoine, l’aîné, est dans le premier tome, Le Cahier gris, interne en médecine. Brillant, sérieux et responsable, il fait la fierté de son père. Il devient un médecin entièrement absorbé par son travail, étranger aux points de vue moraux et éthiques qui étaient ceux de son père. Ambitieux et énergique, il est un homme d’action. Il sera le premier analyste et spectateur, impuissant, de la maladie qui le ronge.

De neuf ans son cadet, Jacques est un personnage frondeur et singulier, totalement récalcitrant aux règles et lois. Au début du Cahier gris, Jacques est devenu l’ami de Daniel de Fontanin, un camarade protestant sur lequel il exerce un certain ascendant. Bien que totalement chaste, leur amitié est jugée suspecte et le cahier gris dans lequel ils consignent une correspondance aussi fantasque que fiévreuse, est confisqué. Ulcéré, Jacques, voyageur dans l’âme, convainc Daniel de s’enfuir pour  Marseille, d’où ils pourront gagner l’Afrique. Plus tard, Jacques tombera amoureux de Jenny, la sœur de Daniel, et cet amour pur s’opposera à la passion d’Antoine pour la très libre Rachel.

 

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Illustrations :

Les Buddenbrook, de Heinrich Breloer, 2008 (photographie de Gernot Roll)

Guerre et Paix de Tom Harper, 2016 (photographie de George Steel)

Orgueil et Préjugés, Joe Wright, 2005 (photographie de Roman Osin)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De la page blanche à l’écran noir, dix adaptations de classiques au cinéma

La récente et première adaptation du roman Martin Eden au cinéma (le film de Pietro Marcello, avec Lucas Marinelli dans le rôle-titre, sort le 16 octobre 2019 en France) m’a donné envie  d’évoquer les liens entre littérature et cinéma, à travers l’évocation de plusieurs adaptations de classiques qui me semblent particulièrement réussies.

De Paul Guimard à Claude Sautet, le cas des Choses de la vie

Comme souvent, cette liste est totalement subjective mais j’aime à penser qu’une adaptation réussie n’est pas qu’un « copier-coller de l’œuvre», et que s’emparer d’un classique de la littérature pour l’adapter au cinéma implique d’une faire une véritable œuvre cinématographique, et non littéraire. Le cinéaste doit réellement donner sa vision de l’œuvre, l’interpréter en langage cinématographique (à travers des choix de mises en scène, lumière, point de vue, rythme et montage), quitte à ne pas être entièrement, totalement fidèle au roman. Un des exemples les plus frappants de ce parti-pris cinématographique se trouve peut-être dans l’adaptation, très réussie, qu’a fait Claude Sautet du roman Les Choses de la vie de Paul Guimard. J’ai d’abord vu le film, dans lequel on suit la vie d’un homme, dans son cours normal, avant un accident de voiture, qui nous est annoncé, succinctement par quelques prolepses. J’ai, bien des années après, lu le roman qui m’a semblé très différent, et dans lequel le héros avait un accident, et revoyait sa vie en flash-back. J’ai plus tard lu dans Sautet par Sautet de Dominique Rabourdin et N. T. Binh que Claude Sautet et Jean-Loup Dabadie, son scénariste, avaient eu l’idée de « retourner l’œuf de colomb », et donc de changer totalement la structure et la chronologie du roman. Le film, remarquable, est à mon sens plus réussi que le roman. Selon moi, Sautet a tiré un film inoubliable d’un roman qui l’était beaucoup moins. Peut-être que ce roman relevait davantage, en fait, de cinéma que de littérature, ou que Sautet avait une vision tellement personnelle, et forte de ce livre, qu’il se devait de nous la transmettre via le langage qu’il maîtrisait le mieux – le cinéma.

Michel Piccoli et Romy Schneider dans Les Choses de la vie

Pourquoi adapter une œuvre littéraire au cinéma ?

Il y a plusieurs façons de s’inspirer d’une œuvre littéraire pour en faire un film. On peut adapter, de façon entière et délibérée une œuvre littéraire, ou  alors simplement s’inspirer d’une œuvre littéraire, comme le fait par exemple John Ford dans La Chevauchée fantastique, qui reprend quelques éléments de l’intrigue de Boule de suif sur fond de western, ou Gérard Oury dans La Folie des Grandeurs, film librement inspiré de Ruy Blas.

Bien souvent, tout part du désir d’un cinéaste de donner sa vision d’une œuvre qu’il a aimée. Quand il s’agit de l’adaptation d’un ouvrage récent, il peut s’agir d’adapter un grand succès de librairie (The Reader de Stephen Daldry est par exemple l’adaptation du roman Le Liseur, de Bernhard Schlink), et on peut dire aujourd’hui que l’adaptation pour le cinéma ou la télévision est la suite logique de n’importe quel grand succès de librairie. Quand bien même l’adaptation serait décevante, celle-ci relance toujours la lecture, fera venir des spectateurs en salle, et s’appuyer sur un grand succès éditorial ne peut que rassurer un producteur.

Lorsqu’il s’agit d’un classique, les motivations peuvent être légèrement différentes. Le cinéaste peut vouloir faire redécouvrir un classique, donner sa propre vision de l’adaptation (quand l’œuvre a déjà été adaptée), mettre en scène une vedette dans un projet particulier, ou se lancer et relever un défi : celui d’adapter un classique a priori inadaptable, un classique que personne n’a adapté avant lui. Comment traduire, en langage cinématographique, l’amour fou entre Ariane et Solal, le nénuphar dans le corps de Chloé, ou l’odorat de Jean-Baptiste Grenouille ? Longtemps jugés inadaptables, Belle du Seigneur d’Albert Cohen, L’Écume des jours de Boris Vian ou Le Parfum de Patrick Süskind ont finalement été adaptés au cinéma. En revanche, on attend toujours l’adaptation de Voyage au bout de la nuit ou d’Ulysse !

Les contraintes de l’adaptation

Rappelons-le, une adaptation implique avant tout un travail sur le scénario. Y aura-t-il un narrateur ? Quel point de vue va-t-on adopter ? Comment suggérer et ne pas verser dans la tentation de tout dire ? Faut-il faire des ellipses ? Doit-on respecter la chronologie et le rythme du récit ou doit-on en changer ?

Le scénariste et son réalisateur peuvent aussi choisir de situer leur adaptation à une autre époque que celle de l’œuvre littéraire. Alors que le roman de Daphné du Maurier Ma cousine Rachel se situe au XXème siècle, la récente adaptation de Roger Michell, avec Rachel Weisz dans le rôle-titre, se situe au début du XIXème siècle. Les Liaisons dangereuses de Laclos a donné lieu à plusieurs adaptations situées à des époques différentes. Celle de Roger Vadim avec Brigitte Bardot se situe en 1960 ; celle de Roger Kumble, avec Sarah Michelle Gellar et Reese Witherspoon, Sexe intentions, se situe à la fin des années 1990. Le casting est également un aspect fondamental de l’adaptation.

Arrêt sur quelques adaptations


Une vie de Stéphane Brizé, 2016

Cette adaptation audacieuse et courageuse est un véritable bijou ! En misant sur l’ellipse, en passant sous silence certains passages cruciaux du roman, Stéphane Brizé crée une œuvre tout en intériorité qui ne cesse d’attiser la curiosité du spectateur. L’attention portée aux costumes et aux détails, les baguenauderies de Clotilde Hesme (Gilberte de Fourville)  qui n’est pas entravée dans un corset confèrent un aspect totalement intemporel au film.

La Normandie est magnifiée grâce à la photographie et les acteurs sont parfaitement choisis. Yolande Moreau et Jean-Pierre Darroussin sont les parents dépassés de Jeanne, Swann Arlaud est un Julien tout en froideur contenue, et Judith Chemla est une héroïne romanesque et meurtrie mais tout sauf pathétique.

Swann Arlaud et Judith Chemla dans Une vie

Les Misérables de Tom Hooper, 2013

Plus qu’une adaptation du roman, le film de Tom Hooper est une adaptation de la comédie musicale d’Alain Boublil     et Claude-Michel Schönberg. Si j’ai dû m’habituer, dans les premières minutes du film, à voir Jean Valjean, Javert ou Fantine chanter, j’ai été emportée par la somptuosité des décors (il faut voir la scène inaugurale du bagne) et le souffle épique qui traverse ce film. Il s’agit là d’une grosse machine, d’un divertissement spectaculaire et parfois grandiloquent, mais si vous aimez les comédies musicales, ne boudez pas votre plaisir. À noter que Sacha Baron Cohen et Helena Bonham Carter campent des Thénardier particulièrement réjouissants.

Fantine
Anne Hathaway dans Les Misérables

Gatsby le Magnifique de Baz Luhrmann, 2013

Moi qui n’aimais pas le roman de Fitgerald, je l’ai relu juste après avoir vu l’adaptation de Baz Luhrmann. Le film m’avait tant plu que je m’étais dit que j’avais dû manquer quelque chose, ne pas tout comprendre au roman. Aujourd’hui, je demeure hermétique au roman, mais je me dis que Baz Luhrmann, en m’incitant à relire le livre, a totalement rempli son pari !

Voir le film de Luhrmann, c’est s’imprégner d’une esthétique flamboyante, admirer des décors baroques et colorés, accepter les  audaces formelles et anachronismes musicaux. J’aime ce film car j’aime à croire que l’atmosphère des Roaring Twenties y est parfaitement rendue. Si le choix de Carey Mulligan en Daisy me surprend toujours un peu, je trouve que Leonardo DiCaprio et Tobey Maguire sont extrêmement convaincants. Ce Gatsby a peut-être moins d’âme que celui de Jack Clayton avec Robert Redford, mais, qu’il est efficace !

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Leonardo DiCaprio dans le rôle de Gatsby

Orgueil et préjugés de Joe Wright, 2012

Le film de Joe Wright est à l’image de sa bande-annonce : extrêmement réussi ! Grâce à des acteurs de haut vol et dont on sent le plaisir, à chaque minute (Donald Sutherland en tête), Joe Wright réussit à restituer tout l’esprit et l’ironie délicate du roman de Jane Austen. L’interprétation est enlevée, la bande originale sert la dramaturgie et le film alterne avec bonheur scènes comiques et dialogues plus intimistes. L’alchimie entre les cinq sœurs Bennet (Keira Knightley, Rosamund Pike, Jena Malone, Carey Mulligan, Talulah Riley) fonctionne à merveille et Brenda Blethyn campe une Mrs Bennet parfaite.

Jena Malone, Rosamund Pike, Talulah Riley, Carey Mulligan, Keira Knightley, Brenda Blethyn dans Orgueil et préjugés

La Reine Margot de Patrice Chéreau, 1994

« Bienvenue dans la famille ; tu verras, c’est une famille un peu spéciale ». Ces mots, ce sont ceux que glisse, perfide, le duc d’Anjou (Pascal Greggory) à l’oreille d’Henri de Navarre (Daniel Auteuil), juste avant son mariage avec Marguerite de Valois. Et si le film commence par un mariage, somptueux, il n’y sera question de que de mort et de violence. Dès les premières minutes du film, la tension entre huguenots et catholiques est palpable. La Reine Margot est un film hors-norme, charnel et écarlate (le rouge y prend toute place), pareil à un tableau, qui dévoile sans retenue les massacres de la Saint-Barthélémy et présente les Valois, un peu comme des Corleone. Le casting, international, est époustouflant et s’il convoque les habitués de Chéreau (Pascal Greggory, Jean-Hugues Anglade, Vincent Pérez) il sait sortir du cadre et nous offrir de très belles surprises (Miguel Bosé, en Henri de Guise, Virna Lisi en Catherine de Médicis, Jean-Claude Brialy en Coligny).

Alors que le roman évoque avant tout le personnage de La Môle, huguenot, et sa relation avec le catholique Coconas, Patrice Chéreau et Danièle Thompson choisissent d’investir le vide laissé par Dumas pour créer une Margot omniprésente, à la hauteur du mythe qu’est alors Isabelle Adjani.

Une adaptation extrêmement personnelle, réussie, qui a totalement revisité les films en costumes, et sans laquelle la trilogie consacrée à la reine Elizabeth, avec Cate Blanchett, n’aurait peut-être pas vu le jour.

Cyrano de Bergerac, Jean-Paul Rappeneau, 1990

Auréolé de nombreux prix (10 Césars, 1 Oscar, 4 Bafta, 1 Golden Globe, 1 prix d’interprétation à Cannes pour Gérard Depardieu), Cyrano de Bergerac est une adaptation qui a su apporter densité et souffle au texte d’Edmond Rostand. Tourné en décors naturels, enrichi de plusieurs scènes qui ne figurent pas dans la pièce, le film  tire parfaitement parti des possibilités qu’offre le cinéma, comme en témoigne, pour ne citer qu’elle, la scène de la tirade du nez. Si Gérard Depardieu est magistral dans le rôle-titre, Vincent Pérez (Christian), Anne Brochet (Roxane), Jacques Weber (de Guiche) ou le regretté Philippe Volter (Valvert) soutiennent aisément la comparaison et offrent une autre lecture de ces seconds rôles.

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Philippe Volter et Gérard Depardieu dans Cyrano de Bergerac

La gloire de mon père et Le château de ma mère d’Yves Robert, 1990

« Je suis né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers ».  Est-ce la voix de Jean-Pierre Darras qui nous récite, tel un poème, le roman de Pagnol ? Est-ce la symphonie des cigales qui accompagne la musique de Vladimir Cosma ? Est-ce la langue de Didier Pain, qui roule « les R comme un ruisseau roule de graviers » ? Les deux adaptations des Souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol sont une réussite totale, restituant parfaitement la magie de l’écrit sans ne jamais tomber dans l’hagiographie ni la mièvrerie.

Le casting, judicieux, convoque des acteurs rares, mais parfaitement dirigés : Thérèse Liotard est la tante Rose, Nathalie Roussel est une Augustine à fleur de peau. Quant à Didier Pain et Philippe Caubère, ils ont l’élégance d’habiter leurs personnages sans ne jamais les écraser.

Le choix d’un narrateur, d’un Pagnol adulte qui nous lirait des extraits du roman et replongerait dans ses souvenirs, était audacieux, et tout sauf évident pour une adaptation cinématographique. Dans ce cas précis, c’est une franche réussite.

Victorien Delamare, Julien Ciamaca, Nathalie Roussel et Philippe Caubère dans Le château de ma mère

 

Barry Lindon, Stanley Kubrick, 1975

Comment retracer les splendeurs et misères de l’impossible Redmond Barry de Barryogue, cet éternel imposteur qu’un indéfectible orgueil mêlé d’une inconscience juvénile conduit au plus étonnant des destins ? Si l’œuvre de Thackeray nous dépeint un héros menteur, vaniteux et si préoccupé de sa personne qu’il en devient franchement drôle (on rit vraiment beaucoup à la lecture de ce roman picaresque !), le film de Stanley Kubrick choisit de se concentrer sur l’envers du décor, et la cruauté de la farce qui se joue sous nos yeux ébahis. Les décors et la photographie sont magnifiques, et ont résisté au temps. En choisissant le dépouillement, en suggérant plutôt qu’en disant, en atteignant la maîtrise technique qu’on lui connaît, Kubrick atteint à l’universel, et nous rappelle que l’homme est toujours rattrapé par ses passions.

Ryan O’Neal et Marisa Berenson dans Barry Lyndon

Le Comte de Monte-Cristo de Robert Vernay, 1954

Difficile de choisir parmi les nombreuses adaptations du roman d’Alexandre Dumas. Celle de Robert Vernay, avec Jean Marais dans le rôle-titre, m’a profondément marquée. François Truffaut n’aimait pas cette adaptation qui prend des libertés avec le roman, et comporte quelques anachronismes (on pense notamment à une scène dans laquelle Edmond Dantès se fait passer pour Honoré de Balzac…) mais le casting, européen et notamment franco-italien, est remarquable, et le rythme parfaitement tenu.

Certains personnages sont volontairement comiques, et des plus sympathiques (je pense notamment à Daniel Cauchy en Andréa Cavalcanti, l’enfant abandonné de Noirtier de Villefort, ainsi qu’à Paolo Stoppa, qui joue Bertuccio) ; tandis que d’autres suscitent, presque malgré eux, sympathie et sourire. Par sa présence tranquille, le comte de Monte-Cristo ne fait que rehausser le ridicule de Noirtier de Villefort (Noël Roquevert) et de Fernand Mondego (Roger Pigaut) et c’est un grand sourire aux lèvres que je regarde à chaque fois ce film. Un divertissement drôle et émouvant, du grand spectacle à l’ancienne doté, selon moi, d’un charme irrésistible.

 

Jean Marais dans Le Comte de Monte-Cristo

Autant en emporte le vent de Victor Fleming, 1939

Voilà l’exemple typique du film qui contribue à l’accès d’une œuvre littéraire au statut de mythe. Moins de trois ans après la sortie du roman, le producteur David O. Selznick en achète les droits. Selznick impose Vivien Leigh (alors inconnue…), choisit de tourner en Technicolor et de gommer l’idéologie sudiste et raciste véhiculée au sein du roman (Margaret Mitchell y présente les noirs comme des êtres inférieurs). Au-delà du portrait d’une capricieuse Belle du Sud (« Southern Belle »), le film, spectaculaire, lyrique et romanesque, sacralise un Sud chevaleresque, qui se relève de tout, et considère l’esclavage comme un système pérenne et bon. Le film d’une durée de 3h30  s’apparente à une succession de tableaux, et chaque grande époque est incarnée par une dominante de couleurs (on passe du vert au noir en passant par le rouge et le marron). Le film remporta 10 récompenses aux Oscars.

Vivien Leigh dans Autant en emporte le vent

Et vous, quelles adaptations vous ont marqué ? N’hésitez pas à nous laisser un commentaire !

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Illustration : Daniel Auteuil et Isabelle Adjani dans La Reine Margot (Patrice Chéreau, 1994)