Lady Shagass, celle qui aimait Emma

« Si Emma Bovary était une héroïne d’aujourd’hui, elle passerait son temps sur Tinder et sur Happn et aurait ponctuellement des plans culs ! »

Les voies de l’érotisme sont parfois hautement pénétrables ! Il y a deux ans aujourd’hui, la blogueuse @LadyShagass consacrait un article à l’application Un Texte Un Eros ; l’occasion pour moi de découvrir un blog, Desculottées qui, comme son slogan l’indique (« Le blog qui en a dans la culotte »), tranchait par son audace, et sa sincérité ! Il me fallait donc vous présenter @LadyShagass. Cette passionnée de littérature classique n’aime rien tant que les personnages qui interrogent la morale, et voue un véritable culte à Emma Bovary. Elle nous raconte aussi comment, face à Paul Auster, elle s’est retrouvée atteinte d’une violente émotion, qui s’apparenterait presque au « syndrome de Stendhal » !

Quelle lectrice es-tu, et quelle lectrice de classiques es-tu ou as-tu été ?

Une lectrice de moins en moins assidue avec les années, à cause des écrans malheureusement… mais à l’origine, je suis une très grosse lectrice, et ceci depuis que j’ai appris à lire. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je porte des lunettes, car j’avais l’habitude de lire dans le noir, constamment, et à l’âge de huit ans j’étais déjà myope ! (rires)

Je suis une fanatique de littérature classique, et c’est probablement dû à mes études littéraires. Madame Bovary est d’ailleurs un de mes livres de chevet ! Je l’ai découvert de façon très conventionnelle – une lecture obligatoire de la classe de troisième, si mes souvenirs sont bons – mais j’ai été tout de suite happée par ce personnage, par la façon qu’avait Flaubert de décrire ses émotions, son envie constante de s’échapper et de tomber amoureuse à tout va… C’est véritablement un livre qui m’accompagne, le livre de ma vie, et c’est probablement ma passion pour ce classique qui a pu me causer quelques soucis dans ma vie personnelle ! (rires)

D’ailleurs, à y réfléchir, je suis fascinée par les personnages amoraux, qui franchissent les limites, en tout cas par ceux qui permettent d’interroger sa propre morale. J’ai également une passion pour le Dom Juan de Molière, même si pendant longtemps ni mon entourage ni moi-même n’ont compris ce qui pouvait m’attirer dans ce personnage ! Madame Bovary et Dom Juan sont en tout cas les deux personnages, les deux lectures qui me viennent en premier !

J’aime également Stefan Zweig, notamment Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, bien sûr, et Amok. Et je voue un véritable culte à Paul Auster, culte qui relève presque du pathologique ! J’ai eu la chance de le rencontrer une fois, à Paris, alors qu’il faisait une lecture dans un théâtre Alors que je faisais la queue pour me faire dédicacer mon livre, La Trilogie new-yorkaise, grâce auquel je l’avais découvert, j’ai fondu en larmes une fois arrivée devant lui… Je crois d’ailleurs que je lui ai fait peur, et je me souviendrai d’ailleurs toujours de la phrase qu’il m’a dite : « mais je ne suis qu’un homme ! Tout va bien se passer ! » (rires)

J’ai donc vraiment eu une période Paul Auster pendant quatre-cinq ans. Je l’avais un peu laissé de côté et récemment j’ai acheté un de ses derniers livres, décidée à me replonger dans son œuvre ! D’ailleurs, Paul Auster lui aussi interroge énormément les normes morales de ses lecteurs. Ses personnages sont souvent perdus, et évoluent, se transforment, sont confrontés à des choix. Ces perspectives et divers possibles me plaisent.

En tant que blogueuse sexo, es-tu amatrice de littérature érotique ?

A l’origine, pas spécialement, même si je commence à m’y mettre, en étant notamment contactée par des maisons d’édition. Une œuvre m’a réellement marquée, il s’agit de La rééducation sentimentale d’Emma Cavalier. C’est une trilogie à l’aspect psychologique assez fouillé, qui aborde l’érotisme par une voie indirecte, originale. En tout cas la littérature n’est pas, pour moi et à titre personnel, une porte d’entrée vers l’érotisme.

Si l’on revient à Madame Bovary, as-tu vu par exemple l’adaptation de Claude Chabrol ?

Je ne pense pas, mais j’ai en revanche vu Gemma Bovery d’Anne Fontaine ! J’ai trouvé Luchini très bien, comme toujours, Gemma Atterton magnifique, et d’ailleurs plus belle que la façon dont je me suis toujours représentée Emma Bovary ! C’était une adaptation vraiment intéressante même si je ne l’ai pas trouvée fidèle au roman ou à l’idée que je m’en faisais. Je n’ai pas retrouvé la tension intérieure que Flaubert exprime dans le roman. Gemma n’est pas bloquée comme peut l’être Emma dans le roman.

Et si Emma Bovary était une héroïne du XXIème siècle, qui serait-elle ?

L’Emma Bovary d’aujourd’hui aurait quelque chose de Kristen Stewart dans Cafe Society, le tout nouveau Woody Allen. Elle serait mariée non pas avec un campagnard mais plutôt avec un citadin très riche, ce qui la valoriserait socialement. Elle se ferait chier comme la mort mais l’aurait épousé par pure convention. Elle passerait son temps sur Tinder et sur Happn et chercherait l’émoustillement sur des forums et des plateformes en ligne. Elle aurait ponctuellement des plans cul… Bref, une aventurière du sexe comme on peut en voir au XXIème siècle !

Si vous voulez suivre le blog de @LadyShagass : Desculottées

Vous avez aimé cette interview ? Découvrez celle de Camille Emmanuelle, l’auteur de Sexpowerment  !

Illustration : Lady Shagass © Desculottees

Mélodie d’amour chante l’esprit de Camille Emmanuelle

« Ceux qu’on appelait les libertins étaient des philosophes qui s’opposaient au roi, aux curés, et qui luttaient pour les libertés individuelles, politiques et sexuelles. »

Passionnée de presse féminine comme de littérature érotique au point de lui avoir consacré une application (Un Texte Un Eros),  très sensible à la question des femmes et de leurs représentations, j’attendais avec impatience la sortie de Sexpowerment, Le sexe libère la femme (et l’homme) aux éditions Anne Carrière. Écrit par Camille Emmanuelle, journaliste et auteur de trente-cinq ans, cet essai à la fois jubilatoire et exigeant dresse un état des lieux de l’érotisme et de la condition sexuelle en France, appelant à une vie sexuelle épanouie et surtout libre de tout diktat. Avec franchise et humour, Camille Emmanuelle témoigne du fait que l’on peut vivre sa sexualité de mille et une façons, et que lire Pierre Louÿs, citer Michel Sardou et Félix Guattari tout en étant fan de Madonna est chose possible !

Un très bel ouvrage, donc. Il nous fallait soumettre Camille à la question !

Camille, quelle lectrice es-tu, et quelle lectrice de classiques es-tu ?

Je lis principalement des romans contemporains, particulièrement des romans américains ou anglais (Jay McInerney, Jonathan Franzen, James Salter, Nick Hornby font partie des mes auteurs cultes). Mais je dois avouer que depuis que je regarde des séries, je prends moins le temps de lire. Quand je regarde The Wire, j’ai l’impression de relire Shakespeare, l’effort intellectuel en moins, haha !

Y-a-t-il des classiques qui sont des livres de chevet pour toi ?

J’ai un rapport compliqué avec les classiques. J’ai fait un bac L, puis une prépa littéraire (Hypokhâgne – Khâgne), pendant laquelle j’ai « bouffé du classique ». Littérature médiévale, littérature du XVIIIème, etc. C’était super mais j’étais frustrée de n’étudier que des auteurs morts ! Après ces études, j’ai enfin eu le temps de lire des polars cubains, de la littérature française des années 90, des romans graphiques canadiens. Ce n’est que très récemment que je me suis replongée dans les classiques, lorsqu’une amie m’a offert Martin Eden de Jack London, écrit en 1909, une œuvre en partie autobiographique. Une écriture absolument bouleversante, un regard extrêmement lucide sur le monde contemporain : comment avais-je pu vivre toutes ces années sans ce livre sur ma table de chevet ? me suis-je dit alors. Depuis j’ai dépoussiéré les livres qui étaient un peu planqués au fond de ma bibliothèque. J’ai envie de relire les textes qui m’ont marqué dans ma vingtaine : les romans d’Italo Calvino, Les Raisins de la Colère de Steinbeck, ou encore Chien Blanc de Romain Gary. Et en écrivant ces lignes je réalise qu’ils ne sont pas si « classiques » que cela.

Y-a-t-il des personnages de la littérature classique que tu imagines, ou penses, puissamment érotiques, qui ont participé de ton imaginaire érotique ?

C’est cliché, mais le couple marquise de Merteuil et vicomte de Valmont, qui se moquent de la société pudibonde et se livrent à la débauche ont marqué mon imaginaire d’ado. Certes la marquise finit avec la petite vérole (spoiler !), mais cette image d’une héroïne « née pour venger son sexe », libertine, puissante, et perverse contrebalançait avec bonheur celle de la femme douce et romantique que je voyais par ailleurs fleurir dans la littérature et les films classiques.

Tu es passionnée de littérature érotique. Parmi les classiques de la littérature érotique, quels sont tes livres de chevet ? As-tu une période ou un genre de prédilection, comme la poésie d’Apollinaire par exemple, ou les romans de couvent du XVIIIème siècle ?

Ces livres ne sont pas sur ma table de chevet, mais dans une belle bibliothèque offerte par ma grand-mère, que j’ai appelé mon « Enfer ». On y trouve Pierre Louÿs, Anais Nin, Pauline Réage, Françoise Rey, Esparbec, mais aussi des livres comme Vénus dans le cloître par l ‘Abbé du Prat ou Les Délices du Fouet de Lord Drialys, des livres chinés chez des bouquinistes. Comme je l’explique dans Sexpowerment, j’ai toujours été fascinée par les textes érotiques mettant en scène des curés, des nonnes, etc. Une littérature érotique, certes, mais aussi subversive et drôle. Quand je partais en voyage avec mon amoureux, j’emportais un tome de l’Anthologie historique des lectures érotiques par Jean Jacques Pauvert (je parle au passé car là on vient d’avoir un enfant, on lit plus « les bébés animaux », « la comptine des perroquets »…) Dans l’avion ou dans le train on se lisait des extraits. Les textes du XVIIIème siècle sont particulièrement savoureux ? Certains nous émoustillaient, d’autres nous touchaient par leur poésie, d’autres enfin nous faisaient éclater de rire. Quoiqu’il en soit, il faut rappeler que les auteurs qui écrivaient des textes de culs avant 1968 étaient des punks : ils risquaient l’emprisonnement, ou pire. Ceux qu’on appelait les libertins à l’époque n’étaient pas des mecs ayant comme pseudo « gros-cokin75 », mais des philosophes qui s’opposaient au roi, aux curés, et qui luttaient pour les libertés individuelles, politiques et sexuelles.

Quels ouvrages conseillerais-tu à quelqu’un qui voudrait s’initier à la grande littérature érotique ?

Oulala, pas facile comme question. Les anthologies dont je viens de parler sont une bonne introduction à cette littérature. En un peu plus contemporain, je conseille toujours Venus Erotica, d’Anais Nin, petit chef d’œuvre.

Quel regard portes-tu sur le mommy porn et les romans comme Cinquante nuances de Grey ?

C’est le sujet de mon prochain livre ! Un pamphlet, contre ces mommy porns. Il se trouve que pendant un an, j’ai écrit, sous pseudo 12 romances érotiques façon Cinquante nuances, pour un éditeur français. Un bon job alimentaire, mais j’ai failli devenir folle. Car sous le vernis de modernité (ça se passe dans une capitale, la fille a un smartphone, mange des cupcakes et envoie des sextos), ces livres offrent une vision extrêmement rétrograde, conservatrice, hétéro-normé, et sexiste des hommes, des femmes, du sexe, de l’amour, du couple. Je ne devais pas écrire des mommy porn mais des Zemmour porn : la fille est jeune, naïve, quasi vierge, souvent timide, l’homme est milliardaire, puissant, et il va faire découvrir le plaisir à cette cruche… Un petit exemple : mon héroïne ne devait pas se masturber. C’était le héros qui devait faire jouir la femme. En 2014, donc…  C’est la littérature censée se lire à une main, qui est écrite avec les pieds, mais pour moi ce n’est pas le plus grave. Après tout Musso et Marc Lévy cartonnent. Non, le problème, c’est bien la fabrication massive de fantasmes destinés aux jeunes femmes, qui les corsettent mentalement plus qu’elle ne les libère.

Illustration : photographie de couverture de Sexpowerment, Le sexe libère la femme (et l’homme) aux éditions Anne Carrière.

Sexpowerment, Le sexe libère la femme (et l’homme), 240 pages, paru le 07 avril 2016 aux éditions Anne Carrière. 18 euros.