Entre légèreté shakespearienne et horizons sud-africains, l’univers arc-en-ciel de Marie-Hélène Fasquel

« Confronter le réel et les récits littéraires est une approche qui me passionne »

C’est au début de l’année 2017 que le grand public découvre Marie-Hélène Fasquel. Professeur de littérature américaine au lycée Nelson Mandela de Nantes, Marie-Hélène est alors la seule Française finaliste du prestigieux Global Teacher Prize. Le grand public découvre une enseignante passionnée, littéralement habitée par le souci de transmettre et de faire progresser ses élèves, grâce à des méthodes innovantes et des projets ambitieux portés par une énergie sans faille. Plusieurs mois après la finale du Global Teacher Prize, Mare-Hélène publie aux éditions François Bourin L’élève au cœur de sa réussite, dans lequel elle revient évidemment sur cette aventure, mais aussi sur son parcours et ce qui fait la singularité de son enseignement. Elle y apparaît comme une citoyenne du monde, ouverte à toutes les rencontres, toutes les cultures et toutes les littératures, et nous présente la langue anglaise dans sa richesse et sa diversité.

 Ouvrage à la fois humble et extrêmement positif, qui propose des solutions mais invite surtout à suivre son propre chemin professionnel et personnel, L’élève au cœur de sa réussite nous est apparu comme un vibrant plaidoyer pour une profession parfois mal comprise, ou décriée. A quelques jours de la rentrée scolaire, interview d’une enseignante qu’on aurait tous aimé avoir !

Marie, quelle lectrice de classiques es-tu ou as-tu été ?

J’ai toujours lu les classiques, mais de manière sélective, en fait, sans tenir compte des valeurs les plus reconnues. Boris Vian, par exemple, fait partie de mes auteurs fétiches. C’est vrai qu’il vient d’entrer dans la Pléiade. Une consécration. Ce qui a été longtemps critiqué chez Boris Vian, c’est justement ce qui me plaît le plus, son caractère protéiforme et qu’il se soit aventuré dans tous les genres, y compris la musique où il excellait. Je retiendrai Saint-Exupéry, un merveilleux conteur, mort à la guerre, bien que, paradoxalement, jamais vraiment sorti de l’univers de l’enfance. Je reviens bien sûr toujours vers Shakespeare, ce monument, mais au fond, ce que j’aime particulièrement chez lui, ce sont ses œuvres les plus légères, ses contes, qui me font rire, ce qui, comme pour Molière est extraordinaire après tant de siècles passés. L’univers ambigu de Michel Tournier, entre références à l’homosexualité et  aux Evangiles, m’a toujours fascinée. Pour finir je citerai Georges Sand, un écrivain classé pour les enfants, mais si touchant, que (comme Proust) tout le monde y revient tout au long de sa vie…

Y-a-t-il des classiques qui constituent tes livres de chevet ?

Les Rêveries du Promeneur Solitaire de Rousseau, car il y est question de flâneries dans la nature, d’herborisation et c’est l’un des moteurs de ma vie. De plus, le style de Rousseau est tellement beau, et la langue si parfaite ! A la recherche du temps perdu de Marcel Proust reste à portée de main. Je l’ouvre souvent à n’importe quel endroit pour y lire quelques phrases. Les circonvolutions de la langue qui correspondent si bien à l’esprit alambiqué du personnage me fascinent et sont pour moi aussi fortes que la poésie.

Quelles sont les œuvres que tu étudies avec tes élèves et celle dont tu voudrais nous parler plus en particulier ?

Voici les 13 œuvres que mes élèves préparent pour le baccalauréat 2019 (1ère puis terminale) :

  • Une œuvre de Shakespeare : The Tempest
  • De la fiction du 19ème au 21ème siècle : The Scarlet Letter (Nathaniel Hawthorne), The Garden Party and other short stories (Kathryn Mansfield), The Great Gatsby (Francis Scott Fitzgerald)
  • Des pièces de théâtre : Intimate Apparel (Lynn Nottage), Death of a Salesman (Arthur Miller)
  • De la poésie : Emily Dickinson, Rita Dove et Langston Hughes.
  • Des essais, lettres… : Letter from Birmingham Jail (Martin Luther King), Stranger in the Village (James Baldwin)
  • Des œuvres issues de la littérature du monde : The Metamorphosis (Franz Kafka), Disgrace (John Maxwell Coetzee), interpreter of maladies (Jhumpa Lahiri).

 Il y aurait beaucoup de choses à dire sur toutes ces œuvres, mais je vais me contenter de dire un mot de interpreter of maladies de Jhumpa Lahiri, un texte encore peu connu en France et intéressant à bien des égards, car il évoque un thème qui concerne à plus ou moins grande échelle tous les pays : l’acculturation. D’origine indienne, l’auteure vit aux Etats-Unis, et de ce fait, ne se sent jamais véritablement chez elle nulle part ; et ce déchirement, cette fracture définitive, sont très bien décrits dans son œuvre, recueil de nouvelles, qui a obtenu le prix Pulitzer. Par ce biais, il est intéressant d’étudier avec les élèves les problèmes soulevés par le multiculturalisme de la société américaine. Confronter le réel et les récits littéraires est une approche qui me passionne et que j’utilise fréquemment (en faisant appel à des collègues des pays dont j’analyse les œuvres et en organisant des projets avec leurs élèves par exemple).

Pourquoi as-tu choisi une œuvre de Coetzee ?

Mon lycée s’appelle Nelson Mandela et de ce fait j’ai eu envie de rendre hommage à l’Afrique du Sud. Ce qui a été facilité par l’arrivée en 2014 d’un assistant sud-africain, Gareth. Coetzee est l’auteur de ce pays que j’admire le plus. Il n’est pas facile à étudier car les sujets qu’il aborde sont très durs mais il est remarquablement efficace et ses textes sont proches de la réalité. Disgrace, notamment, nous fait partager les nombreuses difficultés traversées par le peuple arc en ciel après l’Apartheid. On peut y trouver de multiples références culturelles, en particulier à Lord Byron, ce qui permet d’approfondir la thématique principale de l’œuvre. L’importance de la symbolique, des images, le point de vue, tout dans Disgrace est source de réflexions. En revanche, bien qu’il soit aussi d’un grand intérêt, je n’ai pas pu étudier avec des lycéens, Waiting for the Barbarians, un livre du même auteur,  fort mais très cru, puisqu’il a pour sujet central : la torture.

On imagine que la littérature anglo-saxonne est contrastée et que la littérature australienne est différente de la littérature sud-africaine, ou néo-zélandaise. Pourrais-tu nous en donner un rapide aperçu ?

En effet, les styles mais surtout les sujets traités sont aux antipodes les uns des autres : l’Australie et la Nouvelle Zélande ont des littératures très marquées par les Maoris et leur culture mais aussi par leur héritage anglais. La littérature sud-africaine actuelle est de son côté essentiellement axée sur les problèmes sociaux.

Quels auteurs conseillerais-tu à quelqu’un qui souhaiterait découvrir la littérature anglo-saxonne ?

Je conseillerais (mais c’est très personnel bien sûr) : Oscar Wilde, Paul Auster, Arthur Miller, Ian McEwan, Jhumpa Lahiri, Langston Hughes.

Je fais souvent rire mes élèves quand je leur présente une œuvre comme l’une de mes préférées, car au fond, j’en ai beaucoup de préférées !

Tu publies aux éditions François Bourin L’élève au cœur de sa réussite, dans lequel tu reviens sur ton parcours professionnel et témoignes de ta passion pour l’enseignement. Selon toi, qu’est-ce que qu’apporte l’étude de texte littéraire à l’enseignement d’une langue ?

Depuis que j’ai moi-même (modestement) écrit quelques livres, j’ai pu mesurer à quel point l’écriture d’un livre représente une somme intense de réflexions. Quelques pages lues en quelques minutes sont souvent le résultat de plusieurs jours de travail.Ce phénomène, je n’étais pas sans l’ignorer, mais maintenant je l’ai vécu, ressenti. C’est tout autre chose ! Etudier un livre, c’est donc, selon moi,  étudier un condensé, une pensée, des mots, qui ont été  choisis et travaillés. Voilà ce qui fait la richesse d’une œuvre par rapport au langage parlé ! Et voilà ce qui fait l’intérêt d’étudier la littérature, et ce, au fond, quelle que soit la langue… 

As-tu d’autres projets d’écriture ?

Depuis toujours j’écris en tandem avec mon mari Thierry Erhart qui a collaboré à L’élève au cœur de sa réussite. Une dystopie, Le Feu Secret, est d’ores et déjà prête pour l’édition. Mon plus grand souhait est que l’aventure continue, cette fois,  sur le chemin de l’imaginaire !

Pour en savoir plus :

Le peuple arc-en-ciel (ou «Rainbow nation ») désigne le peuple sud-africain dans sa volonté du vivre-ensemble, dépassant les tensions raciales.

La page Facebook L’élève au cœur de sa réussite : https://www.facebook.com/mhfasquel/

Le blog professionnel de Marie-Hélène Fasquel : http://sharingteaching.blogspot.fr/

Qui sont les pires beaux-parents de la littérature classique ?

On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille… On ne choisit pas non plus ses beaux-parents ! Petit tour d’horizon des beaux-parents les plus pénibles de la littérature classique française…

La belle-mère qui préférait l’ancienne : Mme Pernelle dans Tartuffe et Mme Bovary mère chez Flaubert

Mme Pernelle, mère d’Orgon et grand-mère de Mariane et Damis, dans Tartuffe, est également la belle-mère de la jeune et coquette Elmire, deuxième épouse d’Orgon. A la fois tyrannique et extrêmement critique, Mme Pernelle  use sans vergogne de son statut de matriarche pour juger sévèrement la conduite de chacun des membres de la famille et s’immiscer dans l’éducation de ses petits-enfants. Rien d’étonnant à ce qu’Orgon ait pu rechercher auprès de Tartuffe le « soutien » que sa mère ne lui offrait pas.

Mme Pernelle est notamment très sévère envers sa belle-fille et ne se gêne pas pour lui rappeler qu’elle n’est « que » la deuxième épouse d’Orgon :

« Ma bru, qu’il ne vous en déplaise, / Votre conduite, en tout, est tout à fait mauvaise ; / Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux ; / Et leur défunte mère en usait beaucoup mieux. / Vous êtes dépensière ; et cet état me blesse, / Que vous alliez vêtue ainsi qu’une princesse. / Quiconque à son mari veut plaire seulement, /Ma bru, n’a pas besoin de tant d’ajustement. »[1]

Si la mère de Charles Bovary n’a pas l’aplomb ni l’autorité de Mme Pernelle, elle nourrit un profond ressentiment envers Emma, deuxième épouse de Charles. Là où Mme Pernelle apparaît comme une femme froide et distante avec son fils, Mme Bovary mère semble surtout viscéralement attachée à son fils, qu’elle a manifestement toujours voulu protéger. Après lui avoir trouvé une première épouse, Héloïse, et assisté, impuissante, au naufrage de cette première union, Mme Bovary mère se résout, la mort dans l’âme, au mariage d’Emma et Charles. Sa nouvelle belle-fille, aux antipodes d’Héloïse, lui apparaît comme une femme qu’elle ne comprend pas et qui lui enlèvera pour de bon son fils. C’est sans étonnement que le lecteur découvre l’attitude de Mme Bovary mère lors du mariage des deux jeunes gens :

« Madame Bovary mère n’avait pas desserré les dents de la journée. On ne l’avait consultée ni sur la toilette de la bru, ni sur l’ordonnance du festin ; elle se retira de bonne heure. Son époux, au lieu de la suivre, envoya chercher des cigares à Saint-Victor et fuma jusqu’au jour, tout en buvant des grogs au kirsch, mélange inconnu à la compagnie, et qui fut pour lui comme la source d’une considération plus grande encore. »[2]

Les beaux-parents qui nous insupportent :  Monsieur et Madame Le Perthuis des Vauds dans Une Vie

« Petite mère » et « le baron » sont Adélaïde et Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds, les parents de Jeanne, l’héroïne d’Une Vie, et les beaux-parents de Julien de Lamare. Aristocrates foncièrement bons et aux joies simples et terrestres, « le baron » et « petite mère » ont élevé Jeanne sous cloche et l’ont  préparée, sans le vouloir, à une vie remplie de désillusions. Très attachée à ses parents, Jeanne ne peut vivre loin d’eux. Et c’est parce que Julien n’a plus de famille (et est d’ailleurs beaucoup moins riche que Jeanne) qu’une fois mariés Jeanne et Julien s’installent aux Peuples, la propriété familiale. Les beaux-parents de Julien sont constamment présents, imposent aux deux jeunes gens une routine familiale à laquelle il semble impossible de déroger et l’agacement de Julien envers ses beaux-parents se fait très vite sentir.

Julien, en homme cruel et insensible qu’il est, juge ses beaux-parents trop bons, trop faibles, pesants et maladroits, même s’ils lui apportent un nom, le gîte et le couvert, ainsi qu’une épouse. Navrés des très nombreux écarts de conduite de leur gendre, les parents de Jeanne, quant à eux, lui pardonnent tout, ou presque, et sont incapables d’aller au moindre conflit avec lui, ce qui ne fait qu’envenimer la situation. Les liaisons de Julien avec Rosalie ou Gilberte apparaîtront au jeune homme comme les seules échappatoires possibles à une vie familiale étouffante, et à un couple mal assorti.

Les beaux-parents qui nous déçoivent : le père et la mère Duroy dans Bel-Ami

La « Mé Duroy » et le « pé Duroy », comme ils se désignent eux-mêmes,  sont les parents de Georges Duroy, le héros de Maupassant, et qui deviennent, dans la seconde partie du roman, les beaux-parents de Madeleine Forestier.

C’est grâce à son ami Charles Forestier, rencontré au début du roman, que Georges intègre le journal La Vie française, et c’est grâce à sa femme Madeleine qu’il y reste. En effet, cette dernière, femme brillante et cultivée, tombée sous le charme de Georges, n’hésite pas à retravailler ses articles. Lorsque Charles Forestier tombe subitement malade, c’est Georges qui accourt au chevet de Madeleine et la soutient. Tous deux ne savent que trop bien ce qui est train de se jouer, et c’est peu de temps après le décès de Charles que Georges et Madeleine se marient, au mépris des commérages. Le jeune homme devient « Georges Duroy de Cantel », en référence au village de « Canteleu », près de Rouen, dont il est originaire.

A cette occasion, Madeleine, malgré les mises en gardes répétées de son mari, insiste pour rencontrer les parents de Georges, persuadée qu’elle les aimera beaucoup. « Les nouveaux époux » rencontrent donc « les vieux paysans ». Bien évidemment, la sophistication de Madeleine déroute les parents de Georges qui voient en leur bru « une traînée, cette dame-là, avec ses falbalas et son musc ». Madeleine, quant à elle, « ne mangeait guère, ne parlait guère, demeurait triste avec son sourire ordinaire figé sur les lèvres, mais un sourire morne, résigné. Elle était déçue, navrée. Pourquoi ? […] Les avait-elle vus de loin plus poétiques ? Non, mais plus littéraires peut-être,  plus nobles, plus affectueux, plus décoratifs. »[3]

Malgré ses propres origines populaires, malgré toute la meilleure volonté du monde, malgré sa curiosité pour un monde qui n’est pas le sien, Madeleine doit se rendre à l’évidence : ses beaux-parents la déçoivent, ne répondent en rien aux attentes qui étaient les siennes. Les jeunes mariés écourtent leur escapade normande, et Georges, sur le chemin du retour, l’avoue : ce voyage était une erreur.

Les beaux-parents qui nous humilient : Monsieur et Madame de Sotenville dans George Dandin

La palme des pires beaux-parents revient sans aucun doute à Monsieur et Madame de Sotenville, parents d’Angélique, qui est la femme du pauvre George Dandin.

George Dandin, un paysan fortuné, a souhaité s’élever par le mariage et a donc épousé Angélique de Sotenville, fille d’un gentilhomme campagnard. Malheureusement, la jeune femme n’est que mépris envers son mari  et George Dandin reconnaît qu’il a fait « une sottise la plus grande du monde ». Monsieur et Madame de Sotenville sont quant à eux extrêmement condescendants envers leur gendre et ne cessent de lui rappeler qu’ils ne sont pas du même monde.  Lorsque George réalise que sa femme est infidèle, et en informe ses beaux-parents, ces derniers prennent immédiatement le parti de leur fille, issue « d’une race trop pleine de vertu » et qui plus est de la « maison de la Prudoterie ».[4]

Pire encore, Monsieur et Madame de Sotenville exigeront de leur gendre que ce dernier implore, à genoux et publiquement, le pardon de sa femme pour l’avoir offensée. George Dandin devra aussi, tel un enfant pris en faute, répéter mot à mot les paroles de son beau-père et promettre « de mieux vivre à l’avenir »[5], alors que c’est Angélique qui est en faute ! C’en est trop pour George Dandin, qui ne voit qu’une issue possible à ce mariage infernal : « c’est de s’aller jeter dans l’eau la tête la première. »[6]

Au-delà du comique de caractère propre à la farce moliéresque, Monsieur et Madame de Sotenville, infatués de leur nom et de leur fortune,  apparaissent comme des personnages extrêmement cruels, renvoyant un homme à sa solitude, à son chagrin, et à un éventuel prochain suicide. Si leur nom prête à sourire, leurs propos et leurs actes confinent au drame !

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Illustration : Dustin Hoffman, Ben Stiller, Barbra Streisand, Teri Polo et Blythe Danner dans Mon beau-père, mes parents et moi (Jay Roach, 2004)

 

[1] Molière, Tartuffe, I, 1, 1664

[2] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Première partie, Chapitre IV, 1857

[3] Maupassant, Bel-Ami, Deuxième partie, Chapitre I, 1885

[4] Molière, George Dandin, I, 4, 1668

[5] Molière, George Dandin, III 7, 1668

[6] Molière, George Dandin, III 8, 1668