Des mondes mélangés d’hier à la pluralité des mondes, la Méditerranée : Michel Filippi

« J’ai vécu la destruction d’une civilisation, l’effacement d’un espace culturel particulier qui n’existait pas seulement là mais qui était l’ordinaire de la plupart des ports méditerranéens, avec plus ou moins d’intensité, depuis plusieurs siècles. Je me suis rendu-compte que je pouvais me définir comme Méditerranéen, un Méditerranéen Pied-noir de culture française. Et je me suis intéressé à ce que ce monde produisait, avait pu produire et qui lui serait spécifique. »

Les réseaux sociaux nous offrent parfois d’inattendues rencontres et d’émouvantes affinités électives ! Cela fait plus de deux ans maintenant que je connais le philosophe Michel Filippi. Son éclectisme, sa générosité, son humilité et une constante fidélité envers Un texte Un jour ont fait, pour moi, de Michel, un allié, un ami, un compagnon d’esprit. Je suis donc très heureuse de pouvoir l’interviewer et vous présenter un intellectuel, un homme sensible, au sens étymologique du terme, qui passe sans souci d’Achille Talon à China Mieville en passant par Conan Doyle ou Derrida !

Michel, quel lecteur es-tu, et notamment quel lecteur de littérature classique es-tu ou as-tu été ?

J’ai été très tôt un lecteur  de littérature classique  dès que, ayant appris à lire, lire à haute voix puis « de tête », j’ai pris les livres que notre grand-père, nos parents aussi je pense avaient offert à mon frère aîné de 10 ans plus âgé que moi. Il y avait  Alexandre Dumas, Walter Scott, Hector Malot, Jules Verne et puis Voltaire, Victor Hugo, l’Enéide, l’Odyssée, mais aussi Graziella de Vigny. Quand je lisais Graziella je ne savais pas encore qu’une partie de ma famille était originaire de Procida. Je mélangeais ce livre à Colomba de Mérimée. Après ce fut plutôt des poètes comme José Maria de Heredia et les auteurs trouvés dans les différents Lagarde et Michard. Ce qui m’a surtout impressionné furent les poèmes du Moyen âge comme La Geste de Guillaume d’Orange. On peut dire que ce sont là mes classiques. J’aimerais y rajouter les romans moyen-âgeux de Conan Doyle, Ernst Wiechert, la poésie latine. Puis, j’ai arrêté de les lire ça ne me semblait plus avoir beaucoup de sens de le faire.

 Tu es philosophe. Comment as-tu rencontré la philosophie et comment est-elle devenue une compagne ?

J’ai l’habitude de rappeler qu’au lycée je me suis endormi dès la première minute du premier cours de philosophie, un endormissement proche de la stupeur et que je ne me suis plus jamais réveillé lors de ces cours. Etrange rencontre donc et qui aurait pu ne jamais avoir lieu à nouveau si mon épouse qui a une excellente culture philosophique classique européenne et aussi japonaise, dont la famille fréquentait quelques-uns des grands philosophes français modernes, n’avait repéré que je pensais comme un philosophe. Elle m’a incité à m’inscrire comme auditeur libre et là j’ai rencontré le cours d’Esthétique de Bernard Deloche et j’y ai vu ce à quoi je pensais, ce que j’avais appris, ce que je comprenais du monde.

Il m’a encouragé à faire une thèse que je n’ai pas soutenue et la philosophie allait à nouveau m’échapper lorsque j’ai rencontré la philosophe Anne-Françoise Schmid et après son mari le philosophe François Laruellequi m’ont accueilli, accepté comme « philosophe naturel ». Et c’est ainsi que petit à petit la philosophie est devenue ma deuxième compagne comme philosophie de la sensori-motricité.

J’étais autorisé, admis, accepté, compris, comme quelqu’un qui pense le monde d’une manière matérielle, dans le faire, dans ce qui est fait, comment c’est fait et comment ce faire est questions, mise en acte de connaissances variées par les gestes, d’une sorte de volonté corporelle, incarnée des humains quels qu’ils soient. Et ainsi le monde, les gens sont passionnants. En faisant ainsi j’ai la certitude de faire ce que des philosophes faisaient en côtoyant des marins, des marchands, des artisans.

 Quels classiques de la littérature constituent tes livres de chevet ?

Je dirais que les classiques tels que ceux que je lisais ne sont plus mes livres de chevet. Mes livres de chevet sont plutôt, je l’espère, de futurs classiques et ils sont en anglais, EmbassyTown de China Mieville, Anathem de Lean Stephenson et cela pour deux raisons, la langue, leur langage spécifique et le fait que les deux sont de grands lecteurs de philosophes dont les français pour Mieville. C’est extraordinaire  de lire, voir les mondes qu’ils en construisent et les énigmes que cela leur permet de déployer en premier lieu, des énigmes que je décrirais comme géométriques.

 Y-a-t-il des philosophes qui sont pour toi des maîtres à penser ?

J’espère ne pas avoir de maîtres bien que j’ai beaucoup lu Gilles Deleuze, Aristote, les deux m’impressionnent et un peu Jacques Derrida. Mais celui qui m’impressionne le plus, pour lequel j’ai une admiration profonde est François  Laruelle. Il est magique, il donne envie d’écrire, de penser « comme dans un rêve », vers un au-delà qui n’est en rien religieux, un au-delà de l’humain actuel. Et Anne-Françoise  Schmid dont la rigueur éthique, méthodologique, sa façon de penser les philosophes et les philosophies sont une leçon. Dernièrement j’ai commencé à m’intéresser à Yeshayahou Leibowitz retrouvant en lui une façon de penser le rapport de l’humain à Dieu qui m’était venue dans mon enfance, c’est une pensée d’une extrême rigueur, kantienne et qui vous dit avec qui il ne faut pas penser et pourquoi.

 Tu es un philosophe expérimentaliste ce qui semble dire que l’expérience et le réel constituent le terreau et la matière de ta réflexion. Pourrais-tu nous expliquer ton travail ?

Une meilleure définition serait de dire que si la philosophie expérimentaliste expérimente comme peuvent le faire les sciences, en profitant des sciences et non en étant solipsiste, elle se prend aussi comme objet d’expérimentation. Il n’existe pas une façon canonique de philosopher et les outils que nous utilisons sont pour la plupart contingents. Ce qui est très important pour moi est de rester dans le lieu de la philosophie comme la physique ou les mathématiques ont leur lieu. Dans ce lieu j’ai choisi le monde du sensible, l’Esthétique et le modèle sensorimoteur du vivant, comme ce qui est à explorer en tant que philosophe et ce qui permet d’explorer le réel.

Mais ça ne veut pas dire que j’ai un discours surplombant (Monsieur Je Sais Tout et Par Avance) sur les gens, ce qu’ils font, sur la neurologie, le cognitivisme, etc toutes les sciences qui s’intéressent à cette partie du monde. Je tente plutôt de construire des modèles de situation que je ne comprends pas et d’explorer comment les connaissances de différents domaines s’articulent à ce modèle, peuvent  le contredire  ou l’éliminer. Et puis je teste pour voir si le modèle permet d’apporter un surcroît de connaissances, de compréhension ou s’il ne sert à rien, ces connaissances, cette compréhension pouvant être obtenues d’une manière plus habituelle. Mais ce sont des connaissances, des compréhensions que n’importe qui usant de mes modèles peut obtenir sans devoir être un spécialiste de la philosophie ou d’une autre science. Ça passe par l’usage du corps, des sens, de la perception.

 Ta démarche pourrait-elle être assimilée à celle d’un Bachelard ou d’un Deleuze avec son Abécédaire, qui semblent partir du réel et de situations très concrètes pour éclairer le monde ?

Il existe une continuité  à mon avis d’Aristote à Bachelard à Deleuze en passant par Henri Bergson sans surtout oublier le philosophe Alexander Baumgarten au projet duquel j’essaie d’être le plus fidèle. Pour chacun d’entre eux. Et c’est ça être dans le monde, c’est profiter de toutes les connaissances que nous avons pour lire le monde de manière sensible, sensorielle et ce qui nous arrive, ce que nous faisons, d’une manière telle que nous pouvons la restituer cette lecture comme savoir pratique à chacun, avec des outils et des sources documentaires précises.

 Tu es originaire d’Algérie et  tu as pour projet de participer à une renaissance de la pensée méditerranéenne. Pourrais-tu nous en dire plus ?

Je suis né en Algérie, à Alger. Et j’ai vécu la destruction d’une civilisation, l’effacement d’un espace culturel particulier qui n’existait pas seulement là mais qui était l’ordinaire de la plupart des ports méditerranéens, avec plus ou moins d’intensité, depuis plusieurs siècles. C’est la civilisation des mélanges et des solutions que les uns et les autres trouvent pour exister ensemble bien qu’étrangers de différentes manières tout en étant aussi tellement  familiers.  J’ai cru cependant ne pas être concerné par cette affaire puisque je n’avais que dix ans lorsque je suis venu dans la France métropolitaine  qui n’est en rien la terre de mes parents ou du moindre de mes ancêtres dont j’ai la trace.

Disons que c’est en travaillant à ma philosophie, dans mes façons décrire, de penser, d’utiliser un vocabulaire,  la façon de traiter la syntaxe, qui ont fait émerger une signature qui avant n’était qu’un sentiment lancinant, désagréable et gênant, d’étrangeté. De ces dix ans, du contact avec mes parents, mon frère, ma grand-mère  j’avais enfin de compte emmené en moi quelque chose de là-bas et qui me constituait largement à un point que, discutant avec l’un des rédacteurs en chef d’El Watan, Hocine Lamriben, je me suis rendu-compte que je ne pouvais me définir que comme Méditerranéen, un Méditerranéen Pied-noir de culture française. Et je me suis intéressé à ce que ce monde produisait, avait pu produire et qui lui serait  spécifique comme un Jacques Derrida, un Jean Pélégri, Jean Sénac, Mouloud Mammeri, Emmanuel Roblès, Mouloud Ferraoun, Jean Amrouche et ailleurs un Andrea Camilleri, Constantin Cavafy, etc.

Mais c’est un type de monde, de dynamique qui a produit aussi Elias Canetti parmi d’autres. Un monde des mélanges que je ne retrouve pas dans la littérature et la philosophie actuelles que je connais même celles qui sont produites à Alger, en Sicile, à Naples, à Barcelone, à Alexandrie. J’appelle cela les mondes intermédiaires et je trouve qu’ils ont disparu et j’en rêve.

Et Je trouve aussi que lorsqu’ils sont possibles,  lorsque nous les portons dans notre tête, seuls, beaucoup cependant veulent se les arracher, arracher ce qu’ils vivent comme une étrangeté insupportable, destructrice, les niant comme vrais c’est-à-dire purs, au lieu d’en tirer des Merveilles,  des représentations  de ce qui n’existe pas ailleurs et qui à la fois constituent des dimensions de la réalité et manifestent l’invention humaine. Alors je voudrais que ma philosophie participe à ça non comme discours mais comme émanation d’un monde intermédiaire qui a existé et qui existe encore, comme possibilité de ce monde dans un ensemble maintenant pluriel.

 Quels ouvrages conseillerais-tu à un adolescent qui souhaiterait s’initier à la philosophie avant son entrée en Terminale ?

Si cet adolescent, cette adolescente, a de l’endurance, une histoire de la philosophie pour qu’ils comprennent que tout ce qu’ont fait les philosophes n’est pas gratuit, que ça n’a rien à voir avec ce dont on nous bassine actuellement, de la sagesse. C’est plus qu’un sport, c’est un travail dur et beaucoup des philosophes y ont laissé leur peau, ou leur santé, la considération sociale, etc. Un dictionnaire anglais comme The Cambridge Dictionary of Philosophy, il vaut bien une histoire, ferait l’affaire.

Maintenant  si c’est trop lourd, trop cher, si cela apparaît comme trop ardu je dirais Elias Canetti « La langue sauvée », ça parle de langues. Je crois qu’il n’existe pas de bons livres mais qu’il en existe de très mauvais. A la fin il vaut mieux un livre dont on dira en commençant  la lecture, puis en la poursuivant,  « c’est écrit en français mais je n’y comprends rien, je ne sais même pas de quoi ça parle », et en insistant subitement le cosmos de l’auteur nous apparaît. Il faudra bien avoir vécu cela pour s’affronter aux philosophes. Mais il est vrai que si ce n’est que pour apprendre à faire une dissertation dans les règles, à prétendument penser selon la manière philosophique et à en déduire de bonnes pensées philosophiques, tout cela n’a aucun intérêt.

 Pour finir… un petit jeu littéraire…

C’est la partie la plus difficile Sarah car, à mon sens, aucun de ces philosophes  ne peut tenir dans un personnage bien que …

Si Kant était un personnage de la littérature…

j’ai pensé à lui immédiatement comme Achille Talon en me souvenant d’un témoignage de ses promenades au parc, avec son invention pour tenir ses bas. Je ne considère pas AT comme un personnage ridicule, bien au contraire.

Si Jankélévitch était un personnage de la littérature…

Je connais très mal l’œuvre de Jankélévitch,  ça n’a jamais pris et je n’ai comme image de lui qu’à son piano, sa voix. J’ai l’impression qu’il aurait sa place dans Anathem, l’une des figures tutélaires qui ont fondé ces sortes de couvents philosophiques.

Si Bergson était un personnage de la littérature…

J’avais pensé à lui comme Sherlock Holmes, mais Holmes déteste l’ésotérisme à la différence de Bergson. Mais l’attention portée au corps, la volonté de s’affronter à des énigmes majeures pour les résoudre et leur capacité à confronter leur pensée qui à Moriarty qui à Einstein …

Si Lévinas était un personnage de la littérature…

 Je ne peux que m’imaginer à travers lui le monde yiddish et peut-être serait-il tout autant un personnage qui depuis son shtetl ne voit que l’immensité du monde, de l’univers, que le Rabbin de Joan Sfar. Ou son chat ?

Si vous souhaitez suivre le travail de Michel Filippi : http://lexemplaireeditions.tumblr.com/

Le dernier ouvrage de Michel : Manifeste pour une Stratégie expérimentale (2014) aux éditions Petra

Twitter : @FilippiMichel

Illustration : Michel Filippi © 2016 Hélène.P.Filippi

 

Les lectures d’une jeune fille rangée : Sarah Bouasse

« Des auteurs m’ont montré l’importance de se fier à ses sens, et notamment à son odorat. »

Longtemps je me suis parfumée de bonne heure. Et très longtemps j’ai cherché un blog de qualité sur le sujet ! Passionnée par l’olfaction et l’univers du parfum en général, c’est avec une grande joie et un immense intérêt que j’ai découvert il y a près de deux ans le blog Flair, de la journaliste Sarah Bouasse. Enfin un blog abordait l’univers du parfum de façon sérieuse, et exigeante, en s’intéressant à l’humain, à ceux qui portent du parfum comme à ceux qui construisent cet univers. Quel ne fut pas mon émoi lorsque Sarah me proposa une interview autour de ma passion pour le Chanel numéro 5 !

Deux ans après notre rencontre, Sarah continue l’aventure puisqu’elle vient de participer au lancement et à la création de la très belle revue Nez, première revue olfactive. Sont notamment au programme : un magnifique dossier consacré à Louis Aragon, un article sur le parfum de l’herbe coupée… Je ne vous en dis pas plus ! A part que je suis très heureuse de cette interview, au cours de laquelle, une fois n’est pas coutume, il sera aussi question de littérature anglo-saxonne.

Sarah, quelle lectrice es-tu et notamment quelle lectrice de classiques ?

J’ai été une enfant et une adolescente dévoreuse de livres, et si, par la force des choses, j’ai moins de temps aujourd’hui à consacrer à la lecture, je reste une grande lectrice. Je me rends compte que j’ai été façonnée par mes études et notamment par deux professeurs de lycée, qui nous faisaient lire énormément de classiques. C’est à ces deux professeurs que je dois la connaissance que j’ai aujourd’hui des classiques.

J’aime beaucoup Jean Giono que j’ai découvert au lycée. J’apprécie également les Lumières, notamment Voltaire ou Les Confessions de Rousseau qui m’ont beaucoup marquée. Au lycée, j’ai découvert Sartre et Perec, dont j’ai beaucoup aimé les autobiographies. J’ai également lu Les Fleurs du mal qui m’est resté. C’est enfin à mon père que je dois la fréquentation des nouvelles de Maupassant, qu’il me lisait étant enfant. « La Parure » reste d’ailleurs un de mes monuments !

Ce sont ensuite mes études d’anglais qui ont influencé mes lectures. J’ai été sensibilisée aux classiques anglais et américains, et cela se ressent dans mes auteurs de prédilection. J’aime Dave Eggers, un auteur américain, Zadie Smith, Virginia Woolf que j’ai dévorée, et j’aime aussi Edgar Allan Poe. Je voue un culte à Thoreau et à Walden. C’est un des auteurs qui m’a le plus marquée et j’ai lu tous ses écrits.

Parmi les auteurs français, j’ai une véritable passion pour Simone de Beauvoir, même si je ne sais pas toujours si l’on peut l’apparenter aux « classiques ». Ses écrits relèvent pour moi davantage de la sociologie ou de la philosophie, mais elle a écrit de très belles choses. Quelques anecdotes autour d’auteurs français : j’ai voulu lire La femme de trente ans de Balzac. J’avais beaucoup d’attentes autour de ce livre, qui m’a au final beaucoup déçue ! Et je n’ai jamais réussi à rentrer dans Flaubert, Proust ou Victor Hugo. Enfant, j’ai essayé de lire le premier tome des Misérables. Cette tentative, quelque peu présomptueuse pour une enfant si jeune, se solda alors par un échec !

Quoi qu’il en soit, deux auteurs ont marqué mon enfance de manière indélébile, il s’agit de Roald Dahl et de la Comtesse de Ségur. J’ai dû lire Les Malheurs de Sophie un nombre incalculable de fois ! Mais en réalité, je lis surtout de la philosophie ! Même si ce n’est pas très original j’adore Nietzsche, et en ce moment, j’essaie de me constituer une véritable culture philosophique classique. Je lis La République, des ouvrages de Sénèque ou Marc-Aurèle, mais là encore je n’ai pas vraiment de ligne directrice.

En parlant de littérature anglo-saxonne et de littérature française, perçois-tu une différence de culture, et d’esprit, à travers ces écrits ?

Sur le plan des auteurs classiques, j’aurais du mal à répondre, mais concernant les auteurs contemporains, c’est indéniable. Et c’est d’ailleurs ce constat qui m’a amené à faire des études de littérature anglaise in the first place !

J’ai l’impression que la langue anglaise a une souplesse et une malléabilité qui permettent aux auteurs anglophones de jouer avec la langue. L’anglais est une langue en constante évolution, qui permet des combinaisons linguistiques extrêmement variées (on peut créer un nouveau mot, un nouveau concept en séparant des mots par des tirets !) ; et il y a donc, pour répondre à ta question, selon moi, une véritable différence entre la littérature française et la littérature anglaise sur le plan linguistique et formel. Et c’est peut-être ce jeu avec la langue qui fait de la culture anglaise une culture plus facétieuse, plus ludique. Je suis convaincue que la grammaire et la structure d’une langue ont une incidence sur la façon dont pensent les gens qui la parlent. Ce n’est pas un hasard s’il y a des auteurs anglais extrêmement inventifs.

Tu es passionnée de parfums et d’odeurs. Y-a-t-il des auteurs ou des œuvres que tu associes à cet univers-là ? A part Süskind peut-être ?

J’ai lu Le Parfum de Süskind assez tardivement, il y a quatre ou cinq ans… Et très franchement, je n’ai pas eu l’impression que le livre m’ouvrait une porte vers l’olfaction…

Si j’ai du mal à associer directement des œuvres ou des auteurs à des parfums, ou des odeurs ; en revanche, certains écrivains excellent, selon moi, dans l’évocation de la sensualité, de la découverte des sens, que ce soit l’ouïe ou l’odorat. Des auteurs m’ont montré l’importance de se fier à ses sens, et notamment à son odorat. Parce quand tu es transportée sur deux ou trois pages par une description absolument incroyable de telle ou telle atmosphère produite par des sons, des odeurs, des visions, cela te fait prendre conscience que tu dois toi-même prêter attention, dans la vie, à ces choses-là ! Les bons écrivains sont ceux qui te font plonger dans une scène, et pour cela il faut nécessairement faire appel aux sens du lecteur parce que c’est par les sens que tu captes la réalité de l’instant.

 

Pour découvrir le blog Flair de Sarah Bouasse : https://flairflair.com/

Pour découvrir Nez, la première revue olfactive : http://www.nez-larevue.fr/

Illustration : Sarah Bouasse ©Lucie Sassiat