Tartuffe, le héros aux deux visages

« Beaucoup d’hommes naissent aveugles et ils ne s’en aperçoivent que le jour où une bonne vérité leur crève les yeux. » Jean Cocteau

Tartuffe de Molière, ce n’est pas l’histoire d’un dîner de cons qui aurait mal tourné, mais c’est plutôt l’histoire de L’incruste  qui s’invite à la table d’un con. Deux Francis Veber pour le prix d’un. L’incruste, c’est Tartuffe. Ce faux-dévot tout de noir vêtu n’est qu’hypocrisie et concupiscence. Il n’a rien et veut tout, le beurre, l’argent du beurre, et plus encore

Qui est Tartuffe ?

Tartuffe rencontre Orgon à l’Eglise et voit en ce personnage le con chez qui il pourra tous les soirs crécher. Comme dans une rencontre amoureuse à la chorégraphie parfaitement synchronisée, la parade amoureuse de Tartuffe opère de façon magistrale. Notre homme, subitement devenu une publicité vivante pour l’Eglise catholique arrive à ses fins, c’est-à-dire à s’installer chez Orgon, trop bon, trop con.

Qui est-il cet Orgon ? Ce bourgeois, marié et père de famille, ayant autrefois participé à la Fronde, étouffe au sein d’un gynécée aux allures de cage dorée qu’il a lui-même construit. Soumis à sa mère, Mme Pernelle, il ne voit ni que sa très belle épouse  Elmire, doucement le méprise, ni que sans sa servante Dorine, la cellule familiale imploserait. Trois femmes puissantes règnent sur sa maisonnée. Notre homme est un pauvre petit garçon qui n’a pas grandi, en attente d’attention et de reconnaissance.

Orgon, victime d’un Tartuffe pervers narcissique

Tartuffe s’infiltre dans cette béance qu’est la souffrance d’Orgon. Tartuffe ne lâche pas Orgon d’une semelle, il l’écoute, le console, le valorise… et subitement disparaît, et brutalement devient distant… Au nom de la religion, affirme-t-il ! Puis réapparaît, aussi mielleux qu’au premier jour. Orgon, lui, accueille tel un don du Ciel l’ami qu’il a attendu toute sa vie et irait jusqu’à lui donner sa fille, sa femme et sa maison. Il faudra toute l’ingéniosité d’Elmire et l’intervention miraculeuse de l’envoyé du roi pour mettre fin aux manigances de Tartuffe, envoyé manu militari en prison. Tout est bien qui finit bien !

Un chef-d’oeuvre aux allures d’avertissement

Que nous apprend Tartuffe ? Tartuffe est un drame de l’aveuglement qui s’achève in extremis sur une fin heureuse que l’on n’attendait plus. Tartuffe nous invite à la vigilance, nous rappelle que l’on ne connaît jamais parfaitement ceux qu’on aime, ni ceux à qui on offre, un peu trop vite parfois peut-être, notre amitié, le gîte et le couvert.

Tartuffe, enfin, vaut tous les livres de développement personnel en matière de pervers narcissique, et nous montre que chacun de nous peut, à un moment de sa vie, devenir trop bon, trop con.

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Illustration : Yves Montand, Gérard Depardieu et Marie Dubois dans Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet (1974)

Deux mariages et un enterrement : Héloïse Dubuc ou qui est la première épouse de Charles Bovary ?

Vous ne le savez peut-être pas, mais Emma Rouault n’est pas la première épouse de notre « Charbovary » national !

Charles Bovary, un fils à sa maman

Un des plus grands drames de Charles Bovary est probablement celui d’avoir été sous la coupe de parents n’ayant fait pour lui que de mauvais choix ! Après avoir couvé cet enfant tel le lait sur le feu et l’avoir affublé d’horribles casquettes, M. et Mme Bovary, persuadés d’avoir enfanté un génie, retirent Charles du lycée, avec le projet qu’il suive par lui-même ses études de médecine.

C’est bien sûr un échec total. Charles, peu à peu, délaisse ses cours, découvre les joies du cabaret et rate l’examen d’officier de santé, qui n’a rien à voir avec la difficulté des études de médecine. Il obtiendra son examen cinq ans plus tard, et décidera alors de s’installer à Tostes, dans la campagne normande. Mais, comme le raconte le narrateur, « ce n’était pas tout que d’avoir élevé son fils, de lui avoir fait apprendre la médecine et découvert Tostes pour l’exercer : il lui fallait une femme. »[1]

Héloïse, vieille et revêche…

Mme Bovary lui en trouve une : Héloïse Dubuc, quarante-cinq ans, veuve et rentière. Le mariage n’est bien sûr pas heureux. Après avoir été sous la coupe de sa mère, Charles est lamentablement soumis à son épouse. Héloïse est une véritable perverse narcissique qui lit son courrier, espionne ses consultations, surveille son alimentation et ses tenues. Et l’humilie. Comme le petit garçon pris en faute qu’il n’a jamais cessé d’être, Charles encaisse, et ne dit rien.

mais aussi dissimulatrice et menteuse

Lorsqu’il rencontre Emma Rouault, c’est un nouveau monde qui s’ouvre à Charles et ce dernier passe sa vie aux Bertaux, la ferme des Rouault. Très vite Mme Bovary mère s’inquiète. C’est alors qu’un Deus ex Machina survient : la veuve Dubuc a menti, la vieille carne se révèle criblée de dettes ! Une violente dispute entre les deux époux éclate, et huit jours après, comme par miracle, Madame se meurt, Madame est morte.

Charles enfin libre, mais néanmoins malheureux (« Elle l’avait aimé, après tout. »[2]) attend beaucoup de son union avec Emma, auprès de laquelle il espère découvrir les joies de la félicité conjugale.


[1] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Première partie, 1857

[2] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Première partie, 1857

[2]

Illustration : Kristin Scott Thomas et Hugh Grant dans le film Quatre mariages et un enterrement de Mike Newell, 1994